En faisant ce film, Thierry de Peretti a voulu matérialiser une situation « qui saisisse un peu la réalité de la Corse ». Ci-dessous, deux adhérents de « U Riacquistu di Portivechju » qui ont participé à la présentation du film, donnent leur appréciation. Une présentation qui comme l’auteur décrit notre île comme un « endroit compliqué, meurtri et offensé »…
Analyse de Dumenicu TAFANI
Les apaches : un regard sur le « Portivechju » que l’on ne veut pas voir.
Le vendredi 5 juillet, c’était l’avant-première du film de Thierry De Peretti. Je m’y suis rendu avec quelques a prioris : encore un film sur la violence en Corse, les gentils beurs contre Les méchants corses…..le scenario se base sur l’assassinat d’un jeune petit voleur par ses comparses. Un terrible fait divers qui a marqué notre cité.
Le titre était évocateur: les apaches. Une double lecture est proposée. Malfrats ou indiens…
La salle était bondée. Le film commence. Quelques longueurs au départ puis il s’installe dans un rythme plus rapide. Le scénario en une phrase : Une sortie alcoolisée en boite de nuit suivie d’un vol qui se terminera, quelques jours plus tard, par un meurtre au réalisme angoissant tant on se dit que les protagonistes de ce terrible fait divers pourraient être l’un de nos enfants.
Et c’est là que ce film nous oblige à notre propre introspection :
Nous fantasmons un « Portivechju » de carte postale avec un joli bord de mer, une place de l’église bien léchée, des hameaux peuplés de villageois corses et des riches touristes que nous toisons du haut de notre fierté insulaire… on continue à se persuader que c’est la seule réalité. Certains d’entre nous ont encore la chance de vivre au village avec une grande famille et des amis, de fréquenter régulièrement les restaurants porto-vecchiais et les paillotes de bord de mer. Il est même possible de fréquenter une famille française propriétaire d’une de ses maisons d’hyper luxe qui « adeure la Keurse et notre myrte ».
« Les apaches » nous ouvrent les yeux sur une autre réalité, celle de la majorité de la population : une ville avec ses HLM à la saleté repoussante. La périphérie des quatre chemins à la structure anarchique, aux chemins défoncés et aux bas cotés inexistants peuplée d’invisibles. Ceux que nous croisons tous les jours mais que nous ne voyons pas. Les pauvres; Corses, arabes, portugais… ils se ressemblent tous dans cette pauvreté aux yeux baissés. En face les possédants : touristes argentés ou jeunesse insulaire de la classe moyenne qui donnent le « la » par le nombre de bouteilles étalées au comptoir.
Entre ces 2 blocs : les jeunes. Sortis de l’adolescence ils rêvent de cette société « bling, bling » qu’ils touchent du doigt le soir en boite, où sur les plages de Palumbaghja. Cela reste un rêve. Dans la scène finale, le jeune corse qui se croyait un apache n’est vu que comme un indien pour les propriétaires de la maison de luxe qui ressemble à celle de Clavier.
Quand à la violence, verbale ou physique, elle est là, devenue le principal moyen de communication. Nos bases culturelles ont explosée, remplacées par une culture de comptoir « français de merde » où l’on mime la corsitude à défaut de la connaitre et de la pratiquer.
Bien sûr, on peut émettre quelques critiques sur ce film qui force quelque fois le trait mais l’interprétation de ses acteurs en herbe est exceptionnelle. Ils ne semblaient pas jouer, ils étaient.
Marco Biancarelli avait ouvert la voie d’un autre regard sur la Corse, pour ma part, d’une manière trop excessive et outrancière. Thierry Peretti a trouvé le ton juste. Son film devrait être projeté dans tous les lycées insulaires et à la commission sur la violence de l’assemblée de Corse. On y trouve certaines réponses parfois dérangeantes.
Analyse de Birgitt Leisten
Des scènes de lutte de classe en Corse. Cinq adolescents de Portivechju passent la nuit dans une résidence secondaire de luxe inoccupée où ils volent des objets sans valeur et deux fusils de collection…
Ce premier long-métrage de Thierry de Peretti commence comme une sorte de version corse de l’épisode de Marco et Ciro dans le Film Gomorra de Matteo Garrone: le jeux de quelques jeunes désoeuvrés qui se transforme en un cauchemar, des armes à feu utilisées comme si elles étaient des jouets – mais la guerre entre des clans mafieux qui se déclenche dans Gomorra, se décline dans Les Apaches dans une lutte de classe, faite de coups bas, d’humiliations, de problèmes de n’importe quelle dimension à résoudre sans faire appel à la Police.
Finalement un cinéaste nous raconte une histoire de la Corse qui s’éloigne des clichés, du folklore et des règlements de comptes entre mafieux! Il nous montre la ville de Portivechju et l’abime qui s’est crée entre le monde des gens aisés de nos résidences secondaires bien connues qui viennent passer leurs vacances dans leurs villas et des jeunes « indigènes » , des « Apaches » qui doivent faire de l’acrobatie psychologique quand ils sortent de leur « réserve d’indiens » pour se plonger dans l’abime qui mène à l’autre monde. Cet autre monde a quasiment dévoré tout le territoire et la ville inclus à la quelle ces jeunes n’ont pas l’impression d’appartenir. On les sent nager dans le vide, presque sans repères – une génération qui ne s’est même pas perdue, puisqu’elle ne s’est jamais trouvée. Leurs espaces vitaux sont précaires (un mobil-home, un garage de grande surface nocturne vide, un vieux 4×4, un coin perdu de la banlieue ou ce peu de nature sauvage qui n’intéresse personne d’autre) comme leurs relations affectives (l’amour avec une employée saisonnière, des aventures sexuelles hâtives, des rapports familiaux bloqués) et leur « gagne-pain » (des boulots à tout faire sur des chantiers, le chômage).
A aucun instant on a l’espoir que les jeunes protagonistes arrivent à une conscience de leur condition et ainsi il n’est pas étonnant qu’ils désignent une victime sacrificielle dans leurs propres rangs…
Certains spectateurs ont cru que l’auteur déresponsabilisait les jeunes de leurs actes. C’est faux. Le regard de l’auteur sera moral, mais il n’est certainement pas moraliste. Pour cause: Les jeunes sont éblouis par le strass du beau monde qui envahit leur territoire l’été, mais aussi leur espace intellectuel par tout moyen de communication du consumérisme. En un sens, les jeunes restent coupables, car rien ne les empêcherait de résister à ce monde, si ce n’est l’ignorance. C’est le premier message : « Comme c’est moche tout ça » dit un des protagonistes traversant une « PoVo-Ibiza » grouillante de touristes. Le thème de la xénophobie est présent comme une lutte entre pauvres. On y voit les Corses qui détestent les Français et les Arabes qui – eux même – détestent les Portugais et les Gitans etc. Le tout chapeauté par les riches qui méprisent les travailleurs. L’auteur nous montre les Apaches comme des classes inférieures qui composent la nouvelle population corse, les nouvelles générations de Corses et de Maghrébins (-Corses). Le message le plus important est la conclusion, tournée de façon assez artistique, sans un mot: Un jeune Corse entre dans la villa en question pour restituer les maudits fusils volés, où se déroule une fête dans le pur style V.I.P. au bord de la piscine. « L’indigène » corse observe un instant, rêveur et envieux puis disparait dans les fourrés, comprenant que ce n’est pas son monde. A ce moment, il est aperçu. C’est l’alerte silencieuse, couverte par le bruit de la musique. On l’observe – les acteurs observent le public – comme ce qu’il est pour eux: un intrus, un indien, une curiosité, pour ne pas dire un cafard. Les derniers gestes tiennent de l’obscénité la plus réaliste. En étant dramatique, ce film est aussi éminemment politique. Finalement, après vision, on sort de la salle avec une forte pulsion de squatter les 71.032 résidences secondaires de Corse qui représentent un tiers du parc immobilier de l’ile – juste pour commencer à changer un peu les choses…
Blog Riacquistu di Portivechju
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by @Lazezu
Revue de Presse et suite de l’article :
sur Corse Matin, sur Alta Frequenza, sur RCFM, Sur Corsica, Sur le Journal de la Corse, Sur Paroles de Corse
Sur Alcudina, sur Corsica Infurmazione/Unità Naziunale, sur France 3 Corse, Sur Corse Net Info (CNI)
Corsica Infurmazione: l’information de la Corse, des Réseaux sociaux et des Blogs politiques [Plateforme Unità Naziunale]