#corse François Alfonsi « La difficile équation constitutionnelle »

Donner à la « question corse » une traduction institutionnelle dans le cadre de la constitution française : voilà le défi que l’Assemblée de Corse veut relever pour sortir de 40 années d’une crise qui a provoqué tant de drames politiques. Mais il faut inscrire la spécificité de l’île dans le corps d’un texte fondamental dont la logique jacobine est par définition contraire à cet objectif. Ce qui ne sera pas une mince affaire !…

La Commission Chaubon, et les constitutionnalistes qu’elle a associé à ses travaux, ont balancé entre plusieurs options fondées sur une même idée : puisque la constitution ferme la porte des évolutions institutionnelles attendues par le peuple corse, il convient d’extraire la Corse du « droit commun » de l’organisation des collectivités françaises grâce à une modification constitutionnelle spécifique.

Quel est le cadre actuel ? L’organisation territoriale de la France est régie par trois articles de la Constitution qui portent les numéros 72, 73 et 74, dont le contenu renvoie à la situation politique d’après-guerre, avant la décolonisation, ce qui avait conduit à définir trois types de territoires.

L’article 72 traite des territoires « métropolitains » ancrés dans l’espace géographique européen. L’article 73 traite des « départements d’outre-mer », territoires spécifiques éloignés, mais pour lesquels la souveraineté française est non révocable.

L’article 74 était alors conçu comme un sas pour des territoires encore français à l’époque, mais promis à l’indépendance, et donc ouverts à l’autodétermination. La liste en était longue, en Afrique ou en Asie.

L’inscription de l’Algérie, sous la pression de la population des « français d’Algérie », et sur fond d’intérêts stratégiques français primordiaux dans le Sahara (pétrole, essais atomiques), comme département d’outre-mer, c’est à dire relevant de l’article 73 et non 74, a conduit tout droit à la guerre que l’on sait, alors que le Maroc ou la Tunisie ont gagné leur indépendance de façon beaucoup moins coûteuse. Ceci pour rappeler que la question constitutionnelle n’est pas neutre, ni exempte de conséquences politiques.

Dans cet article 74 figurent encore deux Territoires d’Outre-Mer, Nouvelle-Calédonie et Polynésie Française (Tahiti), auxquels s’ajoutent des confettis hérités de l’histoire coloniale de la France, Wallis et Futuna dans le Pacifique, Saint Barthélémy et Saint Martin, deux petites îles dans la mer des Caraïbes, et Saint Pierre et Miquelon, une île de quelques centaines d’habitants au large du Canada. Tout récemment encore, l’Assemblée Générale de l’ONU, sollicitée par le gouvernement d’Oscar Temaru, a rappelé par un vote très large que la Polynésie française figurait, comme par exemple le Sahara Occidental, sur la liste des « territoires à décoloniser ». Cependant, les vives réactions diplomatiques de la France à ce vote, et les tergiversations qui entourent le processus d’autodétermination en Nouvelle Calédonie, montrent bien que le temps de la décolonisation, aux yeux de Paris, est bel et bien révolu.

La Commission Chaubon de l’Assemblée de Corse n’ayant pas recherché un projet d’autodétermination, loin s’en faut, elle a donc réfléchi autour des articles 72 et 73, pour que soit inscrite une mention spécifique relative à la Corse dans la Constitution française. Pour cela, l’argumentation des constitutionnalistes conduits par Guy Carcassonne apporte un éclairage très intéressant qui explique que la somme des spécificités actuellement en vigueur fait déjà de la Corse un territoire à part, et qu’il est « indécent, illogique et insultant que la Corse ne soit pas mentionnée dans le texte suprême (…) tandis que l’île de Clipperton, inconnue de tous, a les honneurs de la gravure dans le marbre constitutionnel ». Ils soulignent : « telle qu’elle est présentée dans la Constitution, la Corse est un territoire juridiquement inclassable, non identifiable. (…) Il est impensable que la Corse en reste à un statut hybride et silencieux ». Et ils dénoncent « l’incongruïté de l’absence de référence explicite (…) car, si ce territoire relève bien de l’article 72, ses compétences (qui devraient en principe découler, en bonne logique, de son statut) sont une sorte de mixture qui ressemble fortement aux catégories des articles 73, voire 74. Un territoire doté d’une organisation spécifique, d’un régime électoral propre, de la possibilité d’extension des compétences, de ressources fiscales indirectes dérogatoires, d’un droit de consultation sur les projets de textes législatifs et réglementaires, du pouvoir de propositions d’adaptation des lois et règlements, d’un pouvoir réglementaire sur habilitation, doit-il être encore qualifié de territoire « à statut particulier »? Assurément non, ce territoire, c’est « la Corse ».

Quelle conséquence, et donc quelle proposition, tirer de ce constat ? Deux options sont mises en débat : soit la rédaction d’un alinéa complémentaire, le 72-5, venant compléter l’article 72 de la constitution par une référence explicite à la Corse, ou bien inclure la Corse dans l’article 73, en rabotant la spécificité actuelle de cet article relative à l’Outre-mer, tout en gardant l’essentiel de sa structure.

Juridiquement, comme l’ont souligné les constitutionnalistes, la seconde option va plus loin et donne davantage de possibilités pour espérer mettre en œuvre une spécificité corse sur les dossiers essentiels comme la langue, le foncier ou la fiscalité, qui sont les trois grands thèmes sur lesquels portent le consensus réformiste au sein de la classe politique corse. Mais politiquement elle se révèle moins susceptible de faire consensus, le regroupement de la Corse et de l’Outre-mer provoquant encore des réactions négatives, ici, et même là-bas où la crainte existe d’un jacobinisme qui serait renforcé pour refuser des évolutions qui seraient alors applicables à la Corse. D’où la préférence pour l’instant donnée à l’option du 72-5 qui présente quand même le grand inconvénient de maintenir la Corse sous le chapeau d’un droit commun plus étroit.

En fait, c’est une négociation que le vote de l’Assemblée de Corse, prévu en septembre, devrait ouvrir. Ce qui suppose de définir un calendrier et de trouver un interlocuteur au niveau de l’Etat. Manifestement ni l’un ni l’autre ne sont constitués à ce jour. Côté gouvernement, pour l’instant du moins, la Vallsmania occupe l’espace et ferme la porte au dialogue. Quant à la réforme constitutionnelle, elle est renvoyée à la fin de la mandature au mieux, c’est à dire 2016. Entretemps, l’Assemblée de Corse aura été renouvelée en 2015, avec une nouvelle donne politique. Beaucoup dépendra de cette nouvelle donne pour forcer les portes du dialogue. Car, au bout du compte, quelles que soient les envolées jacobines que la Corse génère au sommet de l’Etat, seule comptera la volonté du peuple corse, inscrite dans la durée, et portée par une classe politique déterminée à aboutir.

François Alfonsi

Article paru dans ARRITTI n° Spécial d’août sur le projet de réforme constitutionnel

(en vente en kiosque).

(…)

by @Lazezu 

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