(Unità Naziunale – Publié le 21 avril 2018) Gilles Millet, journaliste d’investigation en Corse, s’en est allé.
Le journaliste Gilles Millet (co-fondateur de Libération) s’est éteint samedi à Paris où il était hospitalisé depuis plusieurs semaines. Depuis la fin des années 90, le grand reporter était en poste en Corse pour les mensuel Corsica puis In Corsica. Il fut notamment l’un des piliers du journal Libération. Gilles Millet est l’auteur en 1979 d’un entretien resté célèbre de Jacques Mesrine, dans les colonnes du journal Libération. A
libération, Gilles Millet est chargé de s’entretenir avec les groupes clandestins basques et corses.
Toujours épris des marges, il se lie avec le mouvement nationaliste corse en couvrant l’affaire des «boues rouges» et l’occupation de la ferme d’Aléria, événement fondateur pour les indépendantistes corses. Insulaire de cœur, il comprend mieux que d’autres la complexité ambiguë de la société corse. Devenu un connaisseur respecté des convulsions qui déchirent l’île, il gagne le respect de l’opinion insulaire, pourtant chiche en admiration envers les pinsuti, ces continentaux dont les Corses se plaignent si souvent. (Journal Libération)
Revue de Presse
(France3Corse) (Corse Net Infos) (Corse Matin) (Libération) (Le Monde)
Gilles Millet poursuivra son travail à Libération, en 1998 il est à l’Evènement du jeudi, il enquête en Corse et sera interpellé par la DNAT (à lire ci-dessous). Il rejoindra en 2002 la rédaction de l’hebdomadaire Corsica à Ajaccio.
Journal Corsica, qui a cessé de paraître en 2014. Il est ensuite journaliste dans le journal In Corsica. Corsica était un des détenteurs des codes d’identification des communications des clandestins du FLNC.
L’hommage de Pierrot Poggioli, militant politique.
Décès à Paris où il était hospitalisé depuis plusieurs semaines, du journaliste Gilles Millet (Libération,Evènement du jeudi, nouvel Observateur…Corsica..In Corsica) un homme qui aimait la Corse et les Corses, et qui au fil du temps était devenu des nôtres:
ll avait participé activement, comme journaliste d’investigation et grand reporter, à la grande aventure de la création du quotidien Libération, né dans le bouillonnement de l’après mai 68..
Début des années 2000, il s’était établi en Corse, devenant un des journalistes du mensuel Corsica, s’installant Plaine de Peri (Corse-du-Sud).
Lorsqu’il traitait de la situation en Corse dans les divers médias avec lesquels il a travaillé depuis les années 70, puis dans l’île au sein du journal Corsica, il avait contribué par de nombreuses enquêtes et articles d’analyses à donner un éclairage plus proche et plus honnête des réalités de la Corse d’aujourd’hui, traitant avec talent et professionnalisme de la situation politique de l’île et des affaires liées au Grand Banditisme, refusant toujours de se laisser entraîner dans la facilité des clichés et du folklorisme propres à une certaine presse hexagonale lorsqu’elle traite de la Corse..
La Corse et les Corses perdent un ami sincère et désintéressée.. Il laissera un grand vide pour ses amies et amis.
Condoléances à tous les siens – RIP.
Quelques dates et Quelques articles du Mensuel Corsica sur le mouvement national.
A travers les articles c’est histoire récente de la lutte de libération nationale que Gilles Millet décrivait, sans taboo, et sans filtre.
Son interpellation dans le cadre de l’Assassinat du Préfet Erignac
Le 30 Juin 1998 : Interpellation de GILLES MILLET, journaliste à l’évènement du Jeudi !!! et de PIERRE JEAN LUCCIONI de FRANCE 3 Corse.
Il est descendu en caleçon: 6 heures du matin, ce n’est pas une heure pour réveiller un journaliste, spécialement Gilles Millet, déclare le journal Libération dans son article du 1er juillet 1998. L’interpellation de M. Millet a été ordonnée par M. Bruguière dans le cadre d’un dossier incident à l’enquête sur l’assassinat du préfet Claude Erignac à Ajaccio, le 6 février.
« Il est inadmissible qu’un journaliste, dont les qualités professionnelles sont reconnues par tous, soit traité comme un complice du terrorisme. Inadmissible que l’on confisque ses notes, ses dossiers, ses agendas et ses carnets d’adresses, sous prétexte qu’il est un spécialiste de la question corse. Inadmissible que soit ainsi violé le principe fondamental de la confidentialité des sources d’information », a déclaré Georges-Marc Benamou, directeur de la rédaction, dans un communiqué.
Deux journalistes, Gilles Millet, collaborateur de l’Evénement du Jeudi, et Pierre-Jean Luccioni, rédacteur en chef de France 3 pour la Haute-Corse, ont été entendus par la police, en marge de l’enquête menée par le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière sur l’assassinat du préfet Erignac. Le premier est en garde à vue. Les policiers s’interrogent sur leurs liens avec deux militants indépendantistes corses, incarcérés depuis le 6 juin pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » Roch Simoni et François Fazi. M. Simoni aurait affirmé avoir reçu des mains de M. Millet un rapport confidentiel des Finances sur le Crédit Agricole de Corse. Rapport qui avait été montré à l’écran sur France 3. A l’aube encore, mais cette fois à Bastia, un couple d’officiers du même service a été quérir un serrurier pour ouvrir l’appartement de Pierre-Jean Luccioni, rédacteur en chef adjoint à France 3, qui était en congé, au village. Il s’est rendu de lui-même à 14 h 30 à la PJ de Bastia pour y être entendu.
Le 2 Juillet 1998 : Dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du préfet de région Claude Erignac, le journaliste Gilles Millet a été mis en examen pour « recel de violation du secret de l’instruction » par le juge d’instruction parisien Jean-Paul Valat, à l’issue de 48 heures de garde à vue. Spécialisé dans les affaires corses, Gilles Millet est poursuivi pour avoir été en possession de copies de pièces d’origine policière concernant l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac. Ces pièces ont été saisies lors d’une perquisition menée à son domicile mardi matin.
Il vient à peine de sortir du bureau du juge d’instruction, mal rasé, et quelque peu énervé par quarante huit heures de garde à vue.
G. Millet : « Je pense que, parmi la trentaine de personnes inculpées, il y a effectivement des gens contre lesquels on a quelque chose, et des gens contre lesquels on n’a pas grandchose mais qu’on met dans une procédure d’association de malfaiteurs, ce qui semble très grave. Parce que si on veut rétablir l’Etat de droit en Corse, il faut montrer l’exemple et faire du droit. »
Le 03 Juillet 1998 : Reporters sans frontières vient de lancer une pétition de soutien à Gilles Millet – le journaliste mis en examen dans les affaires corses -, dont les signataires se déclarent « passibles (comme lui) d’être poursuivis pour recel de violation du secret de l’instruction ». « Il n’y a pas de journalisme d’enquête, de journalisme d’investigation digne de ce nom, sans recel de documents », affirme ce texte.
Ses réponses à D. Bruneti de TF1 suite à son interpellation
Le 3 Juillet 1998 : TF1 – D. Bruneti Cinq mois après le meurtre du préfet Erignac, l’enquête s’oriente vers des milieux nationalistes corses agricoles. Le juge Bruguière, et la division nationale antiterroriste du commissaire Marion n’ont certes pas d’éléments concrets pour désigner un tueur, mais ils font un immense travail de vérification et d’interrogatoire plus d’un millier pour comprendre les mobiles éventuels et le contexte de violence qui a précédé le meurtre. Une trentaine de nationalistes, dont M. Lorenzoni, en lutte contre le préfet, ont été arrêtés pour des motifs annexes. Et ce systématisme a même conduit à faire interpeller un journaliste pour ses contacts avec les nationalistes.
G. Millet : « Je crois qu’il continuait son travail d’investigation dans le cadre d’association de malfaiteurs. Et, en gros, sans doute qu’ils doivent être agacés par tout ce que sort la presse sur cette affaire. »
Vous le prenez à moitié comme un règlement de compte personnel ?
G. Millet : « Non je pense plutôt à un élargissement de la méthode qui est employée jusqu’à présent, c’est à dire, en gros, la méthode classique de la mouvance… Donc on tape tout ce qu’il y a autour, on tape ce qu’il y a autour, et si un journaliste, à un moment donné, intervient pour des raisons qui n’ont rien à voir, puisque je faisais des missions sur les agriculteurs, donc c’était logique que je vois ces gens là, donc, à ce moment là, on m’englobe là dedans. Est ce qu’il y a un règlement de comptes personnel du juge contre moi, cela, je n’en sais rien. Il faut lui demander à lui. »
Le journaliste libéré a tout de même été mis en examen pour la possession de rapports de police, comme il en circule en fait dans d’autres rédactions. Tollé des syndicats de journalistes, et de certains magistrats, qui commencent à critiquer un super juge, qui, prêt à toutes les procédures, n’a pourtant pas retrouvé les tueurs.
« Soixante Corses au total sont détenus et en attente d’être jugés dans des affaires de terrorisme, dont une vingtaine arrêtés depuis l’assassinat du préfet Erignac. » Et plus d’un millier d’arrestations !!!!! AFP du 8 Juillet 1998… Gilles Millet déclare que la plupart des dossiers sont vides.
23 octobre 2003 – Gilles Millet, actuellement journaliste du mensuel Corsica, a été condamné le 23 octobre 2003, par le tribunal correctionnel de Paris, à
1 000 euros d’amende avec sursis pour recel de violation du secret de l’instruction. Poursuivi également pour recel de violation du secret professionnel, il a été relaxé de ce délit. L’affaire a commencé le 30 juin 1998 avec une perquisition au domicile du journaliste Gilles Millet, à l’époque spécialiste de la Corse pour L’Evènement du jeudi, menée par la Direction nationale antiterroriste, dans le cadre d’une information judiciaire menée par Jean-Louis Bruguière, pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».
« 5 hommes à abattre »
Février et Mars 2006 – Le Mensuel Corsica sort un article sur les assassinats commandités par l’Etat, contre 5 représentants nationalistes Corses. (Source)
« Cet exécutif est à combattre et à abattre » FLNC UC
2 novembre 2006 – Toujours dans son rôle de journaliste d’investigation, il est à l’origine de divers articles sur le FLNC. Dont celui qui titrait « Cet exécutif est à combattre et à abattre » (Source)
L’interview du FLNC UC parue dans le mensuel Corsica par Gilles Millet
9 juillet 2008 – « Incendie de la Collectivité Territoriale de Corse : Un incendiaire présumé innocenté » article de Gilles Millet
9 aout 2009 – Deux hommes cagoulés se présentant comme membres d’un FLNC unifié ont revendiqué dimanche lors d’une conférence de presse clandestine en marge des Journées Internationales à Corte l’attentat à la voiture piégée fin juillet contre la gendarmerie à Vescovato. «Nous revendiquons la voiture, 6 heures du matin, 100 kg d’explosifs et appel téléphonique d’alerte contre les logements des forces militaires de la gendarmerie à Vescovato», ont dicté deux hommes au journaliste du mensuel Corsica, Gilles Millet, seul à avoir assisté à la lecture du communiqué.
7 juin 2011 « Colonna : le remake » par Gilles Millet
3 Aout 2011 – FLNC, Faut-il prendre leurs menaces au sérieux ? Par Gilles Millet
7 septembre 2011 – Retour à l’union nationaliste ? Par Gilles Millet
11 janvier 2012 – Paul-Félix Benedetti, « Corsica Libera est aujourd’hui incontournable » par Gilles Millet
13 mars 2012 – Assemblée Générale de Corsica Libera « Dans les coulisses de Corsica Libera » par le Mensuel Corsica
9 mai 2012 – Législative 2012 – Corsica Libera « En route pour les élections » [Paul Leonetti] par Gilles Millet
7 juin 2012 – Procès du 4 juin – « Une cellule ajaccienne du FLNC en procès » par Gilles Millet
7 juin 2012 – « Retour de nuit bleue » par Gilles Millet
13 aout 2012 – Après les politiques, les clandestins règlent leurs comptes par Gilles Millet
13 aout 2012 – L’itinéraire exemplaire d’Yves Stella par Gilles Millet
13 aout 2012 – Yves Manunta pour la mémoire par Gilles Millet
13 aout 2012 – Fin de partie pour Yvan Colonna par Gilles Millet
15 octobre 2012 – Boom sur les supermarchés ! [FLNC] par Gilles Millet
20 octobre 2012 – PADDUC : Pourquoi les nationalistes ont voté le projet par Gilles Millet
17 novembre 2012 – Antoine Sollacaro : « Un homme, une vie » par Gilles Millet
6 février 2013 – « Un FLNC performant mais conciliant » selon Gilles Millet de Corsica
15 février 2013 – « Les paillotes acte 2 » Par Gillet Millet de #corsica
21 mars 2013 – « En toute objectivité Monsieur Millet » Michel Stefani répond au mensuel #Corsica
10 avril 2013 – Dossier assassinat : Sale climat par Gilles Millet
14 mai 2013 – Le Symbole de la Testa Ventilegne par Gilles Millet
10 juin 2013 – Pierre Poggioli : « Le milieu va peser de plus en plus sur la société. » Gilles Millet
12 aout 2013 – « Sale temps pour Charles et Christophe Pieri » par Gilles Millet
10 septembre 2013 – « Souriez ! Vous êtes filmés ! » par Gilles Millet
9 juillet 2014 – Ajaccio : 350 procurations suspectes pour une annulation ? par Gilles Millet
MAI 2004
Les raisons de la colère
Ces dernières semaines à Ajaccio, Corte ou Bastia des jeunes sont descendus dans la rue pour se battre. Pour la langue corse, contre les supporters d’une équipe adverse, pour protester contre l’arrestation de Jean-Guy Talamoni ou régler leurs comptes avec des jeunes corses d’origine maghrébine. Pas toujours les mêmes et pour des raisons différentes. Mais que signifie, pour autant, cette violence identitaire ? Récit.
Premières bagarres jeudi 15 avril, à Bastia, après l’interpellation spectacle de Jean-Guy Talamoni. La nuit est tombée. Au rassemblement « de protestation », devant le commissariat, ont succédé les jets de pierres contre sa façade. Le cassage de vitres. Les cavalcades dans les rues avoisinantes. La recherche de cibles. Un vague regroupement devant la préfecture. Les vieux militants nationalistes ne savent pas trop quoi faire. Les jeunes, oui. Ils cherchent les flics qui, pour l’instant, intelligemment, se planquent. Pour calmer le jeu et désamorcer toute violence. Sans doute pour ne pas recommencer les conneries d’il y a quelques jours. Où leur seule présence avait fait quelque peu dégénérer les manifestations pour la langue corse. Ainsi, à Ajaccio, alors que quelques centaines de gamins s’étaient rassemblés devant la préfecture, avant sans doute de se disperser, leur imposante sortie et leur look désormais robocop, avaient fait basculer les choses. Aux insultes avaient succédé quelques jets de pierres et sans que cela paraisse vital, les CRS avaient répondu à coups de grenades lacrymogènes, puis effectué quelques descentes musclées sur des mômes dont l’âge ne devait pas dépasser 16 ans. Au grand dam de certains passants et patrons d’établissements, pas nationalistes pour deux sous, qui étaient intervenus pour protéger les jeunes et calmer les flics.
Pas grand-chose en fait. Mais quelques images-télé et photos qui, le lendemain, donnaient une importance qu’elle n’avait pas à l’affaire. Comme à Bastia. Comme à Corte. Accréditer l’idéee un climat de violence chez les jeunes. Avec un bout de réalité, certes. Mais les fantasmes en plus. Mais, comme on le sait ici peut être plus qu’ailleurs, les fantasmes peuvent jouer un rôle aussi important que la réalité. Et donc peser de manière non négligeable sur la réalité. Nous y reviendrons.
En attendant, retour à Bastia. À ces quatre CRS et à leur camion que les jeunes viennent de découvrir au bas de la place SaintNicolas. Enfin une vraie cible. Enfin l’État. Sa police et sa justice qui, justement, viennent de mettre Talamoni au trou sans qu’on sache, à ce moment, si « c’est une provocation » comme disent les manifestants. Ou le déroulement normal d’une enquête de justice néanmoins sous influence médiatique. Puisque, la veille, comme par hasard, prévenus, donc convoqués par on ne sait qui (les policiers ? Le juge ?) TF1 et France 2 ont débarqué pour assister à l’arrestation du leader de Corsica Nazione. Justement le jour où devait s’ouvrir la première session de l’Assemblée territoriale. Hasard de l’enquête judiciaire ? Ou mise en scène politicienne inspirée par le ministère de l’Intérieur ? Mystère. Doutes. Et donc, une fois de plus fantasmes accompagnant la réalité en la modifiant.
Et puis là, comme des cons, les quatre flics coincés entre leur camion et le mur. « Allez barrez-vous… Barrez-vous ! » hurle un mec enfoulardé en commençant à les caillasser. Une dizaine de jeunes plus ou moins masqués s’y mettent à leur tour. Les flics se tassent. Se replient contre le fameux mur. Effrayé, l’un d’eux sort même son flingue. Les pierres partent. Sur eux et leur beau camion qu’ils hésitent à démarrer. Les jeunes les entourent. Les contournent par une rue adjacente. N’osent pourtant pas « finir le travail » en les rejoignant pour les jeter à terre et les bastonner non sans brûler leur camion. Comme l’auraient fait des gauchistes parisiens dans les années soixante-dix, des mineurs « en colère » ou des agriculteurs du sud-ouest. Manque de matériel. De détermination. Ou, peut-être, simple souci inconscient de « rester dans le symbolique » et de ne pas passer, tout de suite, à un stade d’extrême violence. Et c’est finalement tant mieux. Pour tout le monde.
Quelques instants plus tard, alors que les policiers sont parvenus à s’enfuir, on revient à une configuration plus classique.
Des CRS ont pris position à quelques centaines de mètres entre la gare de Bastia et la préfecture. Barrière lointaine. Histoire de montrer que l’autorité, sans être provocatrice, n’est pas absente. Du côté des manifestants, on s’organise avec les moyens du bord. On a cassé des pots de fleurs pour en faire des cailloux, on s’est caché un peu plus le visage. Et tandis qu’un drapeau bleu blanc rouge volé au fronton de la sous-préfecture dont les portes ont été forcées, va être brûlé, les jeunes harcèlent le barrage policier. On court, on lance des projectiles et les autres répondent en balançant « en cloche » des lacrimos qu’on renvoie à coups de pied. De quoi faire de bonnes images pour les télés encore présentes. C’est pas grand-chose, mais c’est diablement symbolique. Avant la manif du surlendemain « où l’on sera mieux organisé » et où plus d’une centaine de jeunes, mieux équipés et organisés, va donner plus de réalité au terme de « guérilla urbaine».
En attendant certains, peu nombreux, crient « FLN FLN » même si la trêve est toujours d’actualité. Tandis que d’autres, avant de balancer leurs cailloux sur les casqués bleu marine, gueulent : « Français de merde », « Colons » ou tout simplement « Liberta ». Les « libertacides », si on peut dire ainsi, vont eux, dans les traces de leurs grenades lacrymogènes, descendre peu à peu vers le boulevard Paoli en chassant lentement les manifestants qui vont reculer vers le haut de la place Saint-Nicolas. Le tout, sans trop de dégâts matériels, mais dans une atmosphère de plus en plus lacrymale qui fait tousser et rougir les yeux au hasard des coups de vents. Vers 22 heures, c’est la fin. Et les adultes, en conseillant aux jeunes de se calmer, vont se disperser dans les bars, les restaurants ou rentrer à la maison.
Tout s’est finalement à peu près bien passé. Mais n’oublions pas qu’il y a quelques dizaines d’années, en 1975, après la dissolution de l’ARC (Action régionaliste corse) faisant suite aux événements d’Aleria, une manifestation quasi identique s’était terminée par la mort de plusieurs policiers, tirés comme des lapins par des manifestants « énervés ». Il est vrai qu’à cette époque les « forces de l’ordre », sans doute moins bien « drivées » et alcoolisées après une journée d’attente dans leur bus, s’étaient comportées de manière plus brutale en confondant passants et rebelles.
Tout ça histoire de dire qu’il n’y a qu’un pas entre un simulacre de combat de rue et un drame au retentissement quasi « historique ». Et qu’à la faveur d’un événement, somme toute minime, « tout peut basculer ». Surtout dans un climat délétère où les nationalistes malgré leurs 25 000 électeurs des territoriales, et leur actuelle bonne volonté à l’égard des autres forces politiques de l’île, continuent à être volontairement isolés par un cordon, soit-disant sanitaire et à bien des égard irresponsable.
Les jeunes qui, le 15 avril dernier, harcelaient les flics, n’étaient pas nés en 1975. Pas plus que ceux qui, à Ajaccio, Corte ou Bastia, se sont affrontés aux policiers après les manifestations pour la langue corse, eux qui souvent ne la parlent pas. Et qui, sans doute plus encore qu’en 1975, ont encore moins de raison d’espérer dans leurs possibilités d’insertion sociale. Sur le continent et surtout ici, en Corse, où, malgré quelques espoirs, l’économie est toujours sinistrée. Et où les garde-fous familiaux sont, pour des raisons à la fois économiques et culturelles, de moins en moins efficaces. Dans une société où les « valeurs traditionnelles », comme on dit, s’effacent au profit d’un individualisme et d’un consumérisme de plus en plus prenant.
Et puis la violence ne s’exerce pas uniquement « contre l’État » et ses représentants. Quelquefois elle dérive vers d’autres cibles. Paul, appelons-le comme ça, a 16 ans. Les 15 et 17 avril, lors des manifestations violentes de Bastia, il faisait partie des jeunes qui harcelaient les forces de l’ordre. Comme il avait participé, quelques jours plus tôt, aux manifestations lycéennes pour la langue corse. Il se sent évidemment nationaliste sans pour autant faire partie d’un mouvement précis. Issu d’une famille cultivée plutôt « progressiste », voire « de gauche », il n’est pas spécialement raciste, au contraire… Pourtant, en mars, il a participé sans état d’âme aux bagarres entre lycéens qui ont opposé de jeunes Corses « d’origine corse » à de jeunes Corses « d’origine maghrébine ». Bagarres banales qui, mine de rien, ont failli se transformer en ratonnades (racistes). Et qui sans nul doute annoncent des événements sans doute plus graves. C’est en tout cas l’avis de beaucoup d’observateurs bastiais.
Pourtant, depuis l’an dernier où une bagarre entre jeunes, rue Droite, avait entraîné d’autres affrontements puis une série d’attentats racistes, la fièvre, semblait être retombée.
Cette fois, à en croire, une rumeur largement répandue en Corse et reprise sans précaution par France 3, les incidents auraient été déclenchés par le refus de certains jeunes lycéens corses d’origine marocaine, « de participer à la minute de silence » qui, dans nombre de lycées et collèges français a été respectée à la mémoire des victimes de l’attentat de Madrid. D’où affrontements verbaux suivis d’échanges de coups entre lycéens d’origine différente.
En fait la réalité est tout autre. Mais, une fois de plus, réalité et fantasmes se sont mêlés pour établir une version qui ne fait que dramatiser une situation déjà dégradée.
Selon plusieurs témoignages, les bagarres auraient pour origine une discussion qui aurait opposé, dans le quartier du Fango, à Bastia, plusieurs jeunes Corses à des lycéens d’origine marocaine. L’un parmi ces dernier se voyant reprocher de s’amuser à déranger une grand-mère en sonnant fréquemment chez elle. Si la discussion semble s’être bien passée, plusieurs jeunes Maghrébins s’engageant à calmer le chenapan, elle aurait été suivie, le lendemain, d’un « cassage de gueule » du plaignant par d’autres jeunes. D’où riposte des amis de la victime et nouvelle bagarre, les protagonistes se connaissant fort bien les uns et les autres. C’est après un dernier affrontement, quelques jours plus tard, devant le lycée Vinciguerra, dans le centre de Bastia, que les choses auraient dégénéré. À en croire de jeunes Corses une « équipe d’arabes » (80 selon les uns, une trentaine voire moins selon les autres) s’en serait pris à plusieurs jeunes du lycée. C’est ce dernier incident qui aurait poussé une centaine de jeunes bastiais à se réunir le 18 avril, dans l’après-midi, devant ce même lycée « pour organiser la vengeance ». Vengeance qui, vers 17 heures, s’est transportée un peu plus loin au lycée Jean Nicoli où l’on est venu chercher des adversaires ayant « des têtes d’arabe ». Là, après avoir stationné devant l’établissement quelques éléments extérieurs au lycée y sont entrés. Plusieurs lycéens d’origine marocaine qui s’apprêtaient à sortir ont été entourés, insultés, frappés et ont dû finalement quitter l’établissement en passant par une porte plus discrète. Dehors plusieurs adultes s’étaient mêlés aux lycéens et ne faisaient rien pour les calmer. Au contraire. L’un d’entre eux a même expliqué au proviseur venu se renseigner : « Il paraît que chez vous il y a aussi des Arabes ».
Plusieurs de ceux qui ont été agressés n’en reviennent toujours pas : « on avait jamais eu de problème dans le lycée » où disent-il « l’ambiance a toujours été bonne avec les autres élèves ». D’ailleurs, à part quelques lycéens plus jeunes venus se joindre à leurs agresseurs, aucun élève de leur lycée n’a participé à cette vengeance dirigée contre des jeunes qui n’avaient rien à voir avec les précédents incidents. Mais dont le seul tort était de se trouver là et d’avoir des têtes jugées «étrangères».
Un peu plus tard, vers 19 h 30 la centaine de « vengeurs » s’est retrouvée en haut de la rue Droite où habitent beaucoup de Maghrébins. Entre-temps un appel à ce rassemblement douteux aurait été lancé sur Internet. Déjà prévenus par les premiers accrochages, les policiers avaient déjà pris position pour empêcher tout affrontement. Là encore des adultes se sont encore joints à ces manifestants d’un genre un peu particulier venu « casser de l’Arabe ». Même si des jeunes étaient plus venus pour régler des comptes avec ceux qui les avaient agressés quelques jours plus tôt que par racisme. Mais le fait est là : des jeunes sont descendus vers « un quartier » d’Arabes « pour se faire des Arabes ». Même si ces Arabes-là étaient, comme eux, nés en Corse et possèdent, comme eux, une carte d’identité française. Et si les policiers n’avaient pas séparé les deux camps tandis que certains habitants d’origine corse du quartier « calmaient le jeu », ce « rassemblement » aurait sans doute pris un tour plus grave puisqu’il aurait fini en bataille rangée.
Par ailleurs, durant la nuit, on a frôlé le drame puisqu’un extincteur rempli de chlorate a explosé près des bouteilles de gaz qui se trouvaient devant une épicerie. Si l’attentat avait complètement réussi, l’explosion aurait sans nul doute détruit une partie de la rue en tuant et en blessant ses habitants.
Depuis, les jeunes qui habitent la rue Droite et qui, pour certains, ont été agressés alors qu’ils n’avaient aucune responsabilité dans une quelconque bagarre, se méfient. Dans les semaines qui ont suivi les incidents ils hésitaient à « quitter le quartier » et évitaient de sortir le soir. Que ce soit dans un bar où une boîte de nuit. Histoire de ne pas prendre le risque d’être « pris à partie ». Leurs parents, eux, ont parfois plus peur encore. Plusieurs familles effrayées par les derniers incidents ont décidé « de retourner au pays ». De l’avis de beaucoup de jeunes concernés « ce n’est pas fini, même si par moment ça paraît se calmer ». Certains redoutent « qu’il y ait un mort ». Quelqu’un parle « de s’armer pour se défendre ».
Mais, surtout, au-delà du fait qu’aux quatre coins de la Corse des dizaines de jeunes sont prêts à se battre contre des policiers, des supporters de foot comme après le match de Bastia contre Nice, des lycéens d’origine étrangère ou entre eux, comme cela arrive aussi, le début de ratonnade de Bastia renforce, là encore, tous les fantasmes racistes. En effet, outre les rumeurs sur la minute de silence non respectée qui prouve qu’en Corse beaucoup font l’amalgame entre terrorisme, islam et la présence de jeunes Corses d’origine étrangère qui majoritairement ne s’inscrivent pas dans cette problématique, le moindre incident est décrypté au travers d’un affrontement supposé entre différentes communautés. Toute bagarre entre lycéens, pour peu qu’un jeune d’origine marocaine y participe prouve que « les Arabes foutent la merde ». Comme tout acte délictueux ou se trouve mêlé un jeune Maghrébin prouve que « les Arabes sont tous des délinquants ». Alors qu’on le sait les diverses agressions et bagarres notamment à Bastia sont le fait d’une minorité qui, rue Droite, de l’avis de tous, est peu présente. La plupart des incidents ayant pour origine des jeunes d’origine marocaine habitant dans d’autres quartiers de la ville. Mais, dans ce type de climat tout est possible. Il suffit qu’une bande de gamins stupides, comme cela est effectivement arrivé, bombarde les passants de clémentines plus ou moins mûres, saccage un coin d’église, agresse verbalement ou physiquement une femme, pour qu’aussitôt on agite le spectre de « l’invasion arabe » et de la complicité des pouvoirs publics qui, bien sûr, veulent vider la Corse des Corses… Sans parler des dealers qui, bien sûr, sont tous Marocains et « viennent pourrir la jeunesse ».
Alors qu’on sait qu’une grande partie du marché est tenue par les Corses, même si, effectivement, les « distributeurs » peuvent être d’origine marocaine… Dès lors, tout jeune Maghrébin est considéré comme un « envahisseur », surtout quand il a le mauvais goût d’être en groupe. Quant aux signes supposés de l’invasion, qu’il s’agisse de bars, de restaurants, pis, de mosquées, ils peuvent, comme on l’a vu, devenir des cibles quand la situation se tend. Comme certaines associations sportives supposées être des « repaires d’Arabes ». Qu’il s’agisse du centre de formation du Sporting où ils ne sont pourtant qu’une minorité ou de l’AJB (Association jeunesse bastiaise) dont les locaux ont été récemment « décorés» d’inscription « Arabi fora ».
Signe révélateur de ce climat : le forum matinal de RCFM où malgré les vaines tentatives de mise au point des animateurs, les intervenants expriment régulièrement leur défiance à l’égard des Corses d’origine arabe. En racontant des histoires fausses ou exagérées, en mettant en cause « les médias ou les pouvoirs publics » forcément complices de l’invasion. Toute chose illustrant le « complot » dont seraient victimes les Corses et qui est le signe d’une série d’angoisses identitaires qui ne font que se développer. D’ailleurs, comme le remarquait un animateur de la station, la plupart des interventions qu’elles concernent ou non « les Arabes » ne cessent de faire référence de manière incantatoire « aux valeurs corses ». Signe effectif qu’elles disparaissent tant on y fait allusion pour se rassurer.
Ces « tendances lourdes » qui traversent de l’avis de tous, une société corse angoissée et à juste titre à son sujet, sont de plus en plus perceptibles chez les jeunes. Outre une angoisse devant l’avenir et une perte de valeur commune a une grande partie de la jeunesse occidentale, les jeunes Corses, sans doute plus que d’autres, sont directement touchés par ce « marasme existentiel ». Alors que beaucoup ne peuvent espérer une véritable insertion sociale, ils sentent également qu’ils ont de moins en moins la possibilité, eux aussi, de se reposer sur leur « identité » et des « valeurs communes » qui disparaissent. D’où, souvent, leur engagement nationaliste contre un État, effectivement maladroit ou calculateur, qu’ils accusent de tous les maux, et les autorités locales censées le représenter. D’où leurs dérives vers l’alcool, la drogue, la vitesse en bagnole pour les uns. Voire la violence, le racisme ou le terrorisme pour les autres. Sans que de véritables barrières existent entre ces différentes pratiques.
Leurs aînés, malgré leurs espoirs et leurs combats, n’ayant pas réussi à « changer la vie », ils se trouvent confrontés à une société de plus en plus bloquée où effectivement, tant sur le plan social, économique, politique et culturel, rien ne semble changer. Malgré, ici où là, quelques îlots de « progrès » qui restent bien minoritaires. Et ce ne sont pas les récentes élections à l’Assemblée territoriale et leurs conclusions qui risquent de leur donner quelques espérances de changement…
Alors, c’est classique, dans une société qui reste statique, la violence, à défaut d’apparaître comme une solution est en tout cas un exutoire. Et il paraît de plus en plus difficile aux adultes qui ne se sont guère montrés à la hauteur des enjeux corses, de leur faire la morale.
Ils ne peuvent que se contenter de limiter les dégâts en encadrant leur révolte dans un cadre politique ce que tentent certains, ou en « calmant le jeu » quand ils le peuvent encore. Dans un quartier, un rassemblement, une manifestation sportive ou politique, un lycée.
« Mais l’école ne peut pas tout faire quand les pouvoirs publics eux-mêmes se montrent déficients en se contentant de répéter qu’il faut apprendre à vivre ensemble » explique un responsable du collège technique de Montesoro en faisant allusion aux récentes bagarres.
Et de mettre en cause l’absence de politique d’aménagement, de rénovation, de sécurité publique. Ce qui explique, par exemple, l’abcès de fixation sur la rue Droite à Bastia et les incidents qui en découlent. Une rue Droite qui, justement, représente « physiquement » les angoisses identitaires corses. Puisqu’avant de devenir un quartier délabré habité par une communauté d’origine marocaine, elle abritait jadis de grandes familles corses respectées qui y logeaient dans de somptueux appartements. À deux pas de la première mairie de Bastia qui justement était située rue Droite, nommée comme cela en référence à la « droiture » supposée de ces habitants. Toutes choses qu’ignoraient sans doute une partie des jeunes venu tenter de se venger contre leurs ennemis supposés.
Gilles Millet
Décembre 2008
Quand la police dérape : De l’arrestation de Jean-Christophe Benedetti à l’affaire Poilblan. Retour sur de bien curieuses pratiques policières.
La manière dont certains nationalistes dénoncent la « répression policière » en Corse est parfois caricaturale. C’est sûr. Mais ce qu’il y a de sûr aussi, c’est que parfois les policiers eux-mêmes se comportent de manière caricaturale en donnant corps aux visions les plus paranoïaques de leurs activités.
Ainsi, le jeudi 6 novembre, un militant du Rinnovu, Jean-Christophe Benedetti, hôtelier à Sartène, que le juge anti-terroriste Gilbert Thiel voulait entendre dans le cadre d’un dossier visant des attentats datant de 2005, a-t-il été interpellé dans des conditions étonnantes. Alors que, vers 17 heures, il rentrait chez lui en compagnie de sa femme et de ses deux enfants, de deux et six ans, qu’il venait d’aller chercher à l’école, il a vu débarquer huit hommes cagoulés en tenue de combat noire. Si lui a compris qu’il s’agissait de policiers, on imagine la réaction des gosses qui ont vu leur père menotté et enlevé par des zombis masqués. Pourquoi avoir choisi cette méthode (une convocation aurait suffi) et surtout ce moment-là ? Mystère. Pour Benedetti, après une halte à la gendarmerie de Sartène, le voyage a continué jusqu’au commissariat d’Ajaccio où il a été gardé 24 heures avant d’être relâché, sans que ses accompagnateurs – des enquêteurs de la police judiciaire et de la direction antiterroriste – n’enlèvent leurs cagoules. Le port de la cagoule est d’ailleurs devenu si « branché » chez certains policiers que, de temps en temps, on en voit certains en porter alors qu’ils sortent en voiture du commissariat pour circuler en ville. Pratique dont on ne sait si elle est révélatrice d’une peur panique de la population locale ou une simple frime destinée à impressionner on ne sait qui.
Les policiers continentaux du SNRO (Section nationale de recherche opérationnelle), une sorte de branche « action » des Renseignements Généraux aujourd’hui dissous, eux, n’étaient pas cagoulés lorsque le 31 octobre 2006, ils ont failli tuer un jeune nationaliste en fuite, Sébastien Poilblan. Une affaire qui, à l’époque, avait été racontée « à l’envers » puisque c’est Poilblan qui avait été présenté comme l’auteur d’une tentative d’assassinat sur les policiers. Le 7 novembre dernier, son procès, devant le tribunal d’Ajaccio, a remis les choses en place. On a compris, là encore, que les huit hommes du SNRO, sans doute plus par manque de professionnalisme que par perversion, avaient fait « n’importe quoi ».
Le 31 octobre, après avoir repéré Poilblan près de Carbuccia, dans la vallée de la Gravona, ils avaient pris sa voiture en filature sur la nationale Ajaccio-Bastia. Déjà on peut s’interroger sur la présence d’une section de recherche des RG pour traquer un homme qui s’est mis en cavale pour une simple bagarre d’ordre privé. À moins que la qualité de sa victime – un policier des RG – et sa qualité de militant nationaliste ne justifie un tel déploiement de forces. Quoi qu’il en soit, Poilblan s’est vite aperçu qu’il était suivi et a accéléré, avant de prendre la route de Cuttoli, puis de tourner dans une impasse conduisant à l’école de la Mezzana. Là, il a arrêté sa voiture, en est sorti une arme à la main et a attendu son premier poursuivant dont il ignorait alors le métier. Sitôt arrivé, le policier s’est affolé et a foncé sur le véhicule de Poilblan qu’il a percuté avant de faire demi-tour et de repartir. C’est là que Poilblan a fait usage de son arme, en tirant à trois reprises sur sa voiture. Ce dernier a prétendu par la suite que c’est son suspect qui l’avait suivi ouvrant le feu de face. Ce qui est démenti par les témoins et la balistique (les impacts ont été retrouvés à l’arrière de la voiture).
Mais l’aventure ne s’est pas terminée là. Lorsque Poilblan a repris la route de Cuttoli, en tenant la portière de sa voiture qui avait été abîmée, il est tombé sur les collègues du premier policier qui ont tiré pas moins de seize balles dans sa direction, histoire de le stopper définitivement. Miraculeusement, Poilblan s’en est tiré et pris la fuite. Il finira par se constituer prisonnier.
Les policiers ont ensuite expliqué qu’en passant devant eux, Poilblan les avait menacés d’une arme, ce qu’il a toujours nié et qu’ont démenti deux témoins qui se trouvaient sur place. Dans cette affaire, le procureur a collé à la version policière. Il a cependant omis de préciser aux enquêteurs que, quelques jours après la fusillade, il avait été contacté par un témoin qui confirmait que Poilblan n’avait pas menacé les policiers avec une arme. Et le 7 novembre, prenant la véritable mesure de cette affaire et du comportement des policiers, le tribunal d’Ajaccio n’a condamné Poilblan qu’à deux ans de prison. Devant la gravité des faits qui lui sont reprochés, on ne peut être que circonspect.
Gilles Millet
Mars 2014
Josepha Giacometti, « Finies les candidatures témoignages, contestataires ou force d’appoint »
La jeune nationaliste, membre de l’Exécutif de Corsica Libera et déja conseillère à l’Assemblée, est n°2 sur la liste de José Filippi à Ajaccio. Portait d’une militante plutôt douée.
Le nationalisme, Josépha Giacometti, est tombée dedans lorsqu’elle était petite. En effet, en 1983, lorsqu’elle est née, ses parents faisaient partie de la famille nationaliste et elle a été élevée dans ce milieu. La pression ne devait pas être trop forte, ni trop déplaisante, puisqu’elle n’a pas eu, comme d’autres, le besoin de s’en éloigner. Elle est devenue presque « naturellement », en tout cas paisiblement, nationaliste. Trop petite, elle n’a guère été traumatisée par la guerre sanglante qui, au début des années 90, a ensanglanté le mouvement, et elle est rentrée, très jeune (elle était en 3ème) alors qu’elle était au lycée Laetitia, puis au Lycée Fesch, dans un nationalisme apaisé. Précisément dans les organisations de jeunesse du mouvement. C’était le temps des réunions, des rassemblements, des manifestations et des slogans. A une époque où on ne faisait pas la différence, selon elle un peu « artificielle », entre nationalistes dits radicaux et dits modérés. « Il n’y a vraiment que deux points de divergence : la lutte armée et l’indépendantisme, explique-t-elle. En ce qui concerne la lutte armée, c’est un phénomène conjoncturel qui devrait disparaitre s’il y a de vrais avancées politiques. Et cela, les clandestins le disent eux-mêmes . Quant à l’indépendance, c’est notre vision culturelle et historique de la Corse, mais nous n’allons pas faire un putsch pour l’imposer. C’est l’ensemble de la société qui choisira et nous n’en sommes pas là ». C’est aussi pour cela, qu’encore naturellement, après avoir milité à « Corsica Nazione », elle s’est retrouvée dans l’Exécutif du mouvement « Corsica Libera », à sa fondation en 2009, « à une époque où il fallait faire entrer des jeunes ». Candidate en 2010 à l’Assemblée, elle a été élue conseillère territoriale et à dû mettre entre parenthèses ses études à l’Université de Corse (anthropologie). Là, elle découvre une machine lourde mais passionnante dans laquelle elle prend sa part de travail au sein des commissions « développement social et culturel » et « développement économique » tout en siégeant comme admistrateur à l’ODARC et à l’Office hydraulique. « Du travail à 70 % technique, précise-t-elle. Même si certaines décisions ont une connotation politique ». « J’ai eu la chance d’arriver à un moment où l’Assemblée a bien bossé, ajoute-t-elle. Ce qui n’a pas toujours été le cas » . Elle cite notamment le PADDUC : quatre ans de travail en commissions, des centaines d’auditions et finalement du beau travail adopté par l’Assemblée. Surtout, elle souligne le poids pris par les nationalistes à l’Assemblée « dont ils semblent être la seule force motrice ». D’où les avancées sur le droit de résidence ou la coofficialité de la langue. « En face, il n’y a rien ». Elle est heureuse que le président de l’Exécutif, Paul Giaccobi, semble suivre la voie tracée par les nationalistes. Le tout, elle le sait, en continuant à faire exister un clanisme et un clientélisme que les nationalistes continuent à combattre. Reste le fonctionnement même de l’Assemblée et de ses satellites qui, dit-elle pudiquement, doit être « optimisé ». Histoire de perdre moins d’argent avec un surcoût de personnel et de gabegie diverses…
Parallèlement à ses activités au sein de l’Assemblée, Josépha Giacometti a décidé de se lancer dans la bagarre pour la mairie d’Ajaccio, puisqu’elle est n°2 de la liste « natios-unis ouverte » de José Filippi. Heureuse, tant de l’union (« qui devrait avoir lieu partout en Corse ») que de l’ouverture, elle souhaite que, cette fois, les nationalistes ne soient pas là pour « une candidature de témoignage, de contestation, et ne servent de forces d’appoint à personne » (« on ne se vendra pas pour une place à la Capa »). « Même si la bipolarisation ajaccienne constituée par l’opposition entre Marcangeli et Renucci, nous dessert, il s’agit d’enclencher une dynamique qui continue à vivre après les élections, et qui jouera un rôle déterminant dans l’avenir » ajoute-telle. Bonne technicienne et bonne oratrice, elle sait qu’elle aura un rôle important à jouer dans cette aventure qui la passionne autant que celle qu’elle vit à l’Assemblée. De multiples activités qui lui laissent peu de temps pour se balader en montagne ou partir en voyage avec son ami, ce qui lui permet de souffler. A moins qu’elle n’écoute, entre deux chansons corses, U2, Stromae ou la fascinante chanteuse néo-zélandaise Lorde, sur son « I pad ».
Gilles Millet N°174 Mensuel Corsica