La mort du Président Ruairí Ó Brádaigh (5 juin 2013 ) est une perte immense pour le peuple irlandais, pour lequel il a tant combattu et auquel il aura consacré toute sa vie. Il a été et restera un de ses responsables les plus éminents et les plus représentatifs de son combat. Il était venu plusieurs fois en Corse durant les années 80, où je l’avais rencontré.
Je l’avais aussi rencontré plusieurs fois dans des colloques internationaux dans les années 80. Nous nous étions rencontrés ainsi que son frère en novembre 2008 à Dublin. Je présente mes condoléances émues à sa famille et à tous ses proches, mais aussi aux responsables et militants du Republican Sinn Fein et à tous les Républicains irlandais qui luttent pour la réunification de la République d’Irlande.
Pierre Poggioli
Photos Liberationirlande (juin 2013)
IRA-ETA-FLNC : Trois mouvements armés en Europe (Pierre Poggioli-déc 2012)
Ruairi O’Bradaigh : Extraits
Jeune Volontaire de l’IRA dans les années 50, né de parents républicains ( père, conseiller municipal républicain, paralysé et invalide ayant été grièvement blessé par les Anglais en 1919 était décédé en 1943) s’engage après la pendaison en 1940, de 2 jeunes volontaires de l’Ira en Angleterre (Barnes et McCormack). Ancien instituteur (Comté Rosemond) dirigeant politique et député (années 60). Président toujours réélu jusqu’en 1983, depuis la formation du Sinn Fein provisoire en 1970. Négociateur de la trêve en 1975 avec Londres, puis interdit de séjour en Grande-Bretagne, donc en Irlande du nord, dès la reprise des hostilités.
Durant la campagne des frontières (1956-1959) Ruairi O’Bradaigh fait partie du «Conseil de l’Armée» qui enverra des «Colonnes volantes» à partir du Sud pour attaquer les forces de sécurité au Nord. Son Unité «la colonne Teeling» frappe dans le Comté Fermanagh. Capturé au Sud, interné au camp militaire du Curragh, il s’évade en 1959 avec Daithi O’Conaill, futur vice-président du Sinn Fein (années 70-80).
Cette campagne se cantonne aux régions frontalières, Belfast et Derry restant calmes. L’IRA se bat au nom du peuple irlandais, mais celui-ci se contente d’approuver, sans trop s’impliquer. Même si la campagne de l’IRA, menée à partir de la République d’Irlande, n’a guère d’influence sur le gouvernement et celui-ci n’a guère d’influence sur cette campagne, occupé à gérer les problèmes internes inhérents à toute coalition politique hétérogène, elle va embarrasser John Costello dont la faible majorité dépend du soutien des Républicains du Clann na Poblachta. Cette coalition au pouvoir à Dublin va éclater le (28 janv. 1957). Le Clann na Poblachta de Sean McBride, dont certains membres soutiennent l’IRA, se désolidarise du gouvernement, pour des questions économiques et son peu de capacité à impulser la Réunification. Sa chute ramène Fianna Fail au pouvoir. Eamon de Valera forme un nouveau gouvernement. Inquiet de la poussée du Sinn Fein toujours sur une position abstentionniste au Dail (qui en gagne 660000, obtenant quatre élus, dont Ruairi O’Bradaigh, futur Président du Sinn Fein provisoire, alors en prison) et par la situation, alors qu’en un an, près de 300 incidents majeurs ont ponctué la Campagne des frontières, il rétablit la législation répressive, internant les membres de l’IRA au camp de Curragh.
Sa Campagne des Frontières s’avérant un échec. Apres un calme relatif durant l’année 1960, 1961 finira par des morts, alors que l’opinion publique ne soutient plus la campagne et que de nouvelles préoccupations politiques, de nouvelles personnalités et des nouvelles idées politiques améliorent les conditions de vie au Sud, rejetant la question de la frontière au second plan (Sinn Fein perd ses quatre sièges à l’élection de 1961 et plus de la moitié de ses électeurs). Après le calme de l’été, une patrouille de police tombe dans une embuscade à Jonesborough, dans l’Armagh (12 nov.). Le commissaire William Hunter est tué. Dublin réagit après les protestations de Belfast et Londres, réinstallant la « Cour criminelle Spéciale » (22 nov.) composée d’officiers de l’armée de l’Etat libre. Après les élections de 1961, le nouveau ministre de la Justice, Charles Haughey veut prendre des mesures plus dures pour mettre fin à la campagne, et réprimer les activités de l’IRA. Mais l’IRA prend les devants, annonçant officiellement la fin de sa campagne, mettant fin à tout service actif à plein temps des Volontaires (26 févr. 1962). L’IRA reconnait l’échec en raison notamment de l’opinion publique, «distraite du problème suprême qui doit être celui du peuple irlandais : l’unité et la liberté de l’Irlande».
La douloureuse mission de sonner la retraite revient à Ruairi O’Bradaigh (Rencontre à Dublin, nov. 2008), chef d’état-major de l’IRA. Défait, le mouvement mènera une réflexion et une intense activité politique lui ayant fait cruellement défaut durant les années écoulée : « Nous nous sommes orientés vers une réorganisation et un examen des raisons de notre défaite».
L’IRA vire à gauche, en l’absence d’un soubassement idéologique solide, hors la solution de la violence armée. Au Sud, l’IRA devait s’infiltrer et prendre la tête des mouvements de masse, participant aux manifestations pacifiques de la «nouvelle gauche» (défilés protestataires, sit-in, occupations de propriétés privées). Ruairi O’Bradaigh: « Mais l’IRA se démilitarisait progressivement et je n’approuvais pas cette orientation. Je pensais que les deux ailes du mouvement devaient se battre de concert. Je m’opposais à l’idée réformiste de siéger aux deux Parlements, Nord et Sud, symbolisant la division artificielle du pays» (Portrait d’un président, Dossier Irlande Libre par Faligot Roger, avril-mai 1983, N°30, pp. 16-18).
Début des années 70, la division Offficels-provisoires : Pour Ruairi O’Bradaigh la future scission était inévitable (Rencontre à Dublin, nov. 2008): «Je le pense. La fraction qui avait pris la direction […] ne comprenait pas ce qui se passait dans les ghettos du Nord en 1969. Je me souviens avoir demandé à Billy McMillen, Commandant de la Brigade de Belfast: « Combien d’armes avons-nous ?», «nous avons ce qu’il faut », me répondit-il. Mais plus tard, j’ai découvert que Belfast possédait ce que possède toute unité dans la campagne la plus reculée, un fusil, un pistolet-mitrailleur Thompson, une Sten et des révolvers. Bref, le strict minimum pour s’entraîner. Aucune préparation sérieuse».
La tactique des Provisoires (qui la demanderont dans un ultimatum le 5 sept. 1971) est l’abolition du Stormont, en même temps que le départ des soldats anglais, leur objectif est d’obtenir le droit à l’Autodétermination, n’ayant aucune hostilité envers les Protestants. Cette position sur le Stormont est une différence importante avec les Officiels qui ne veulent pas de son abolition, car cela entraînerait, selon eux, moins de démocratie. Le point de vue provisoire est partagé par une aile du Sinn Fein., dont le leader Ruairi O’Bradaigh (réélu Président sans opposition à la Conférence annuelle : 24 oct. 1971) affirme au printemps 1971 qu’il faut faire chuter Brian Faulkner, 1er ministre à Belfast, dernière carte institutionnelle de Londres. Son éviction signifierait la fin de l’Autonomie du Nord et le retour au gouvernement direct de Londres, avec la révocation du Statut politique instituant la Partition (1921). Les Provisoires adoptent la guérilla pour gagner le soutien des Irlandais, dérégler la machine administrative de Belfast et lasser l’opinion anglaise. Selon le journal The Observer (18 juil. 1971) : «La majorité du pays n’y verrait rien d’irresponsable dans l’abandon de l’Ulster, car ce pays est étranger à la majorité des Anglais».
Le problème stratégique des Provisoires (FALIGOT Roger, op. cit., pp. 264-265) semble alors leur analyse face à l’offensive du Loyalisme au Nord, car ne voulant pas d’une «guerre civile», Ruairi O Bradaigh évoquant la nécessité «d’un retrait par étapes des troupes britanniques». Les Provisoires veulent arriver à une nouvelle trêve et obliger les Britanniques à négocier (O RIAIN Sean (Gerry O’Danacher), Provos, Patriots or Terrorists ?) : «L’IRA peut, elle l’a déjà fait une fois dans le passé, les obliger à s’asseoir à une table de conférence».
Les années 80 : Au 75ème Ard Fheis (19-20 janv. 1980) à Dublin, en présence de nombreuses formations internationales (basque et corse) Gerry Adams, annonce un tournant : «L’IRA ne pourra pas remporter de victoire militaire au Nord !». Il pense désormais que le combat politique et non militaire fera plier le Royaume-Uni un jour. Et pour contrebalancer le poids de la communauté loyaliste du Nord, le Sud doit faire la différence au plan diplomatique, politique et social. Il faut faire cesser l’inaction de Dublin, voire sa collaboration avec Londres. Le réalisme de la nouvelle génération s’exprime dans ses mots. La génération de la Campagne des frontières de 1956, craint un abandon relatif de l’action militaire, refusant la participation aux élections, voire la participation à la vie politique du Sud, car cela constituerait une hérésie pour eux. L’équilibre est maintenu ainsi que l’unité (FALIGOT Roger, op. cit., p. 250), avec une répartition équitable des responsabilités. Ruairi O’Bradaigh et son frère Sean sont reconduits. Gerry Adams et Daithi O’Conaill sont Vice-présidents. Joe Cahill et Walter Lynch sont Secrétaires généraux. Ils vont rassurer la base qui s’inquiète d’une possible scission. Mais le sort des prisonniers incite à l’unité. La crise des prisonniers va souder la communauté républicaine, des deux côtés de la frontière, ainsi que la diaspora et l’opinion internationale. C’est d’ailleurs par crainte d’une explosion du mouvement que les amis de Gerry Adams n’ont pas poussé plus vite à la participation électorale du Sinn Fein, insistant en permanence sur le lien traditionnel perdurant entre la vieille IRA et celle d’aujourd’hui. L’opposition vient aussi des Traditionalistes, tels Ruairi O’Bradaigh, Daithi O’Conaill, Sean McStiofain, tristes de voir des anciens comme eux, Joe Cahill ou John Joe McGirl, s’associer à Gerry Adams. Les Traditionalistes se situent sur une ligne traditionaliste et légitimiste d’un mouvement républicain authentique, et d’un gouvernement légitime ‘de jure’ (‘de droit’, par opposition au gouvernement de Dublin qui est le gouvernement ‘de facto’ –de fait). Ils rejettent les institutions de l’état du Nord et du Sud de l’Irlande qu’ils considèrent comme une usurpation de la République de 1916 ((opposition par rapport aux Constitutionnalistes). Gerry Adams rappelle judicieusement que refuser de suivre le vote Sinn Fein, c’est refuser de suivre les décisions de la lutte armée, d’où si on vote contre une décision de l’IRA on ne peut pas invoquer la poursuite de la lutte armée de l’IRA. Un tiers des délégués quittent Sinn Fein avec Ruairi O’Bradaigh, Volontaire puis Chef d’état-major de l’IRA, député abstentionniste en prison, Président, «An Uachtaran», c’est-à-dire successeur de Padraig Pearse et dans la tradition républicaine, Président de la République quand l’île sera réunifiée. Parmi eux, des hommes et des femmes qui ont joué un rôle clé lors de la scission de 1970 : Daithi O’Conaill (Dublin) Billy McKee et Bob Murray (Belfast) Sean Keenan (Derry) Brendan McGill (Donegal) Franck Glyn (Galway) Kathleen Knowles et Tony Ruane, Richard Behal, ancien responsable international qui les quittera peu après. Les anciens Michael Flannery de NORAID ou Tom Maguire, dernier Républicain vivant du Dail clandestin de 1919. Ils créent le Republican Sinn Fein (journal Saorse-liberté). Mais l’IRA interdit la moindre tentative de création d’une IRA rivale, qui serait assimilée à de la «haute trahison».
Depuis le Processus de paix : L’IRA d’aujourd’hui, les Provisoires, est représentée par Sinn Fein. L’IRA provisoire tente aujourd’hui de faire pression sur ses dissidents en leur interdisant d’agir. Avec l’IRA Véritable qui tente de s’organiser publiquement par la mise en place du Comité pour la souveraineté des 32 Comtés, (Référence à l’unité de l’Irlande composée de 32 Comtés, et non 26 depuis la Partition), existe aussi depuis 1986, l’IRA de la Continuité, représentée par le Republican Sinn Fein de Ruairi O Bradaigh, ancien secrétaire général du Sinn Fein jusqu’en 1983.
Plusieurs fondateurs de l’IRA Provisoire et du Sinn Fein en 1969-1970 ont suivi O’Bradaigh et O’Conaill en 1986. Parallèlement ils vont former un Conseil de l’Armée pour maintenir la ‘continuité’ de l’IRA. Son existence ne sera rendue publique qu’en janv. 1996 (‘Revolutionary’ IRA emerges, Saoirse, févr. 1996). C’est la 1ère IRA alternative aux Provisoires (Pour une histoire interne de la CIRA voir: J. Bowyer Bell, Republican IRA: An emerging secret Army, Saoirse, sept. 1996 et ‘Old Brigade’ links to ‘new’ IRA, Saoirse, mars 1997). Sa 1ère action armée majeure est une bombe qui détruit le Killyhevlin Hotel dans le comté du Fermanagh le 14 juil. 1996 (WHITTE, W. Robert, O’BRADAIGH, Ruary. – The life and Politics of an Irish Revolutionary. – Bloomington: Indianapolis, Indiana University Press, 2006, 437 p. Cf. Interview de nov. 2008, Dublin).
by @Lazezu
Revue de Presse et suite de l’article :
sur Corse Matin, sur Alta Frequenza, sur RCFM, Sur Corsica, Sur le Journal de la Corse,
Sur Alcudina, sur Corsica Infurmazione/Unità Naziunale, sur France 3 Corse, Sur Corse Net Info (CNI)
Corsica Infurmazione: l’information de la Corse, des Réseaux sociaux et des Blogs politiques [Plateforme Unità Naziunale]