Ils sont toujours en prison : Teresa Toda, ancienne rédactrice en chef adjointe du journal Egin, Xabier Salutregi, rédacteur en chef de ce même journal, et quatre membres de son conseil d’administration. Deux journalistes emprisonnés et, ce, au cœur de l’Europe.
Retour en arrière : cela sera la dernière une du journal Egin le 15 juillet 1998 : « Aznar et le PNV continueront ensemble durant cette législature. »
Ce matin-là du 15 juillet 1998, le juge Baltazar Garzon ordonnait la fermeture du quotidien Egin, qui employait plus de 200 personnes, ainsi que de la radio Egin Irratia. Fait unique en Europe, l’irruption de forces de police dans un média légal fit grand bruit. L’opération du juge Garzôn s’inscrivait dans le dossier appelé 18/98, véritable imbroglio judiciaire visant à développer la thèse du « tout est ETA » et s’attaquant de fait à diverses couches et associations de la société appartenant ou proches de la gauche abertzale, et donc suspectées de fait, par le juge Garzon, de collaboration avec ETA. Des dizaines de personnes seront mises en examen. Le chef du gouvernement espagnol de l’époque, José Maria Aznar (PP), répondant à une question d’un journaliste l’interrogeant sur cette fermeture d’un journal, répondra : « Vous pensiez que nous n’oserions pas. Et bien nous l’avons fait ! »
Procès entaché d’irrégularités
La machine judiciaire ne s’arrêtera pas là. Encore onze années après la fermeture du quotidien, le Tribunal suprême espagnol rendait des sentences sur ce dossier 18/98. De fait, la journaliste Teresa Toda a été emprisonnée le 1er décembre 2007, après moult revirements de l’instruction et des dizaines d’audiences où elle se présentait encore libre à la barre, en liberté provisoire. Depuis 2007, cette journaliste dort en prison, aujourd’hui à Cordoue, hier dans d’autres prisons, dispersée au gré de la volonté des autorités judiciaires.
Peines de dix et douze ans
« Mon nom est Teresa Toda, je suis journaliste et membre du Basque Pen Club [association qui défend les journalistes et écrivains emprisonnés, ndlr]. Je suis en prison et purge une peine de dix ans, comme mon confrère Xabier Salutregi qui purge une peine de douze ans. Mon seul crime est d’avoir travaillé au sein de la rédaction d’Egin », écrivait Teresa Toda de sa cellule à diverses associations de défense du droit d’expression. Avec les dix membres du conseil d’administration du journal Egin, Teresa Toda et Xabier Salutregi seront donc condamnés dans ce dossier fleuve 18/98 où seront impliqués différentes associations basques, qu’elles soient culturelles ou politiques. Avec, en appel, des peines souvent réduites de plus de moitié par rapport au procès initial, que d’aucuns n’hésiteront pas à qualifier de procès politique tant les charges et les preuves étaient inexistantes. Les deux journalistes seront donc condamnés au cours de ce procès entaché de nombreuses irrégularités.
Il sera, entre autres griefs, reproché aux journalistes d’avoir interviewé un dirigeant d’ETA. Par ailleurs, au final, ce sont les propres tribunaux espagnols qui reconnaîtront la non-validité juridique de la fermeture du quotidien Egin, près d’une année après sa fermeture.
Une reconnaissance un peu tardive: entre-temps, la société Orain, chargée de la gestion du journal, était en proie, forcément, à de graves difficultés, et un nouveau quotidien, Gara, avait vu le jour. Les journalistes, eux, dorment toujours en prison.
B. MOLLE / G. CAVATERRA
MISE A MORT D’UN MEDIA
Le 15 juillet 1998 à 4h40 environ, 200 policiers espagnols, lourdement équipés, donnent l’assaut aux installations du quotidien Egin et de la radio Egin Irra-tia. Le siège central des médias et l’imprimerie, à Hernani, sont fermés ainsi que les bureaux de Bilbo, Iruñea et Gazteiz. Onze dirigeants du groupe de presse sont arrêtés. Près de 200 salariés se retrouvent sans travail et 18 personnes sont mises en examen. De plus, lors de l’opération, la rotative flambant neuve d’Egin est mise hors d’état de servir par les policiers. Cette opération, baptisée « Persienne », fut précédée d’une campagne destinée à préparer l’opinion publique à la fermeture du quotidien. « Egin cible, ETA tire » était le slogan de cette campagne.
Particulièrement visée, l’équipe d’investigation du quotidien basque dirigée par Pepe Rei. Celle-ci avait notamment dénoncé plusieurs scandales politico-financiers. Lors du macro-procès 18/98, en décembre 2007, onze dirigeants du groupe et journalistes d’Egin sont condamnés à des peines entre 4 et 24 ans de prison. Les activités de la holding Orain SA, mais aussi de toutes les entreprises du groupe (journal, radio, imprimerie, etc.) sont alors déclarées illégales.
Mais, en 2009, le Tribunal suprême (TS) espagnol annulait l’illégalité des entreprises et réduisait de moitié les peines de prison. Mais il était alors devenu impossible pour ces entreprises de reprendre leurs activités. Bien qu’un administrateur judiciaire ait été nommé par le juge Garzon dès août 1998, matériels et locaux étaient irrécupérables et la dette du groupe avait plus que doublé.
Les locaux d’Hernani qui avaient été scellés et dans un premier temps surveillés par la police, avaient été pillés. L’administrateur judiciaire n’a engagé aucune action visant à l’entretien des locaux ou du matériel. Il a également rapidement cessé de payer les mensualités de certains crédits. Comme ceux liés à l’achat du local d’Iruñea qui finira dans les mains de la Caisse d’Epargne de Navarre (CAN).
Répondant aux avocats de Orain SA. l’administrateur judiciaire a affirmé n’avoir rien pu faire à cause des mesures préventives prises par le juge Garzon (pourtant levées en 2003). Il a ajouté que son rôle était de « servir les intérêts de l’État ». Les nombreuses demandes adressées à la justice espagnole par les avocats semblent régulièrement se « perdre ». Le matériel et les locaux qui auraient dû être restitués à leurs propriétaires après la décision du TS ne l’avaient toujours pas été l’an dernier.
UNE DECISION PLUS POLITIQUE QUE JURIDIQUE
« Vous croyiez que nous n’allions pas oser ? » C’est la réponse que fit José Maria Aznar, Premier ministre espagnol, à la question d’un journaliste à la suite de la fermeture d’Egin et d’Egin Irratia. Cet échange intervint dans l’État turc où J. M. Aznar était en voyage diplomatique. Le fait qu’un chef de gouvernement en exercice s’approprie une décision prise théoriquement par un magistrat indépendant est inhabituel. Car, même lorsque cela semble improbable, les responsables politiques insistent sur la « séparation des pouvoirs ». Dans ce cas précis, un chef de gouvernement revendiquait ouvertement le caractère politique d’une décision juridique.
Cette décision intervient aussi dans un contexte particulier au Pays Basque. Au début de l’année 1998 y a en effet été créé le Forum irlandais, un espace de dialogue qui réunit politiques de différentes tendances et qui s’inspire de ce qui se passe en Irlande du Nord (c’est d’ailleurs en cette même année que seront signés les accords du Vendredi saint). Les rumeurs se font de plus en plus insistantes sur une possibilité de trêve d’ETA. Lorsque la décision de fermer Egin est prise, le gouvernement espagnol est au courant des mouvements qui sont en train de se produire. Mouvements qui se sont accélérés en cet été 1998 et qui aboutiront en septembre aux accords de Lizarra-Garazi, immédiatement suivis par une déclaration de trêve d’ETA.
La fermeture d’Egin et d’Egin Irratia peut dès lors apparaître dans ce contexte comme une tentative de déstabilisation des discussions en cours. D’autant qu’une dizaine d’années plus tard, à l’automne 2009, des dirigeants abertzale dont Arnaldo Otegi seront arrêtés là aussi deux mois avant une déclaration de trêve d’ETA.
À l’époque, plus de 1.000 requêtes avaient été déposées contre l’État turc pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme.
DE « EGINGO DUGU » A « EGIN DUGU »
Dès le lendemain de la fermeture d’Egin, ses journalistes s’organisent. Reprenant un titre déposé légalement mais en sommeil, Euskadi Information, ils sortent un quatre pages. Quelques exemplaires sont édités, et diffusés dans un premier temps de la main à la main. Ce sont ensuite les lecteurs qui photocopient les journaux et la diffusion se fait ainsi par effet boule de neige. Certains collent leur exemplaire sur les murs de leur quartier ou de leur village comme un dazibao. Très vite la solidarité financière s’organise aussi. Mais surtout une vaste campagne se met en place sous le slogan « Egingo dugu » (« Nous le ferons »). Des dizaines de milliers de personnes s’organisent dans tout le Pays Basque pour récolter des fonds. Cela donnera naissance à Ekhe, un fonds d’aide à des médias, qui permettra la naissance du quotidien Gara mais aussi de projets comme la radio Info7 ou encore le journal du pays basque.
Revue de Presse et suite de l’article : Sur le Journal du Pays Basque
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