Militant depuis toujours, ancien chef des clandestins, élu, nationaliste bien sûr. Historien de sa propre histoire, écrivain frénétique et désormais thésard. Pierrot Poggioli est tout cela à la fois. Risque de confusion des genres ? Même pas : avec lui, la rigueur est de… rigueur.
MATIGNON. Selon Poggioli, le processus de Matignon aurait pu amener la Corse plus loin. « Une démarche à ciel ouvert freinée par la défaite de Jospin, en 2002 ».
« Corse-Irlande-Pays basque. Trois « luttes de libération » au coeur de l’Europe, des années soixante-dix à nos jours », par Pierre Poggioli.
Dans cet intitulé, tout sonne comme une évidence. Du thème à l’auteur. Et quitte à soutenir une thèse durant trois heures devant des spécialistes (à l’université d’Aix-Marseille), autant obtenir la distinction qui va avec : « Mention très honorable, avec félicitations du jury ». Comme une cerise sur le gâteau d’un parcours entamé dans les années 70, couronnant la relation plutôt chaotique entre l’étudiant et l’université, pour cause de militantisme aigu. Désormais, il faudra lui donner du docteur – ce titre qui, en Corse, fait les élus. Un docteur ès sciences politiques.
Militant. De Pierrot Poggioli, on connaît surtout l’engagement politique des premières heures, qui en fera un pionnier du mouvement nationaliste. Entre cavales et prises de pouvoir, son influence sur les organisations clandestines le placera à la tête du FLNC, pendant plus d’une décennie plus ou moins glorieuse. Plus tard, il sera l’un des premiers à abandonner « l’impôt révolutionnaire » et à vouloir sortir le nationalisme de la clandestinité pour que le courant pèse sur l’échiquier politique. Ce sera l’Accolta Naziunale Corsa, en 1989. La lutte armée devient alors un point d’appui et non plus le moteur de l’action. Tout ceci, ce passionné d’Histoire et de sciences politiques le raconte au fil d’une dizaine d’ouvrages. Auxquels s’ajoute désormais une thèse. « Certains de mes interlocuteurs me voyaient comme un chercheur-militant. Ce qui a provoqué de l’empathie ou au contraire des blocages chez certains ». Il a donc fallu que le thésard mette de la distance entre ces deux facettes : « une véritable gymnastique », glisse-t-il, dans un sourire.
Pouvoir. Bien sûr, on entend aussi les critiques. Formulées contre un homme de tête mais surtout de pouvoir, qui tout au long de son parcours voudra être un leader. La fin des années 80 et la décennie 90 changeront le paysage nationaliste. Sur son passé, Poggioli admet avoir fait des « choix ». « On fait des fautes, des erreurs, mais c’est la vie. On avance et on mûrit avec ». Aujourd’hui, au sein de Corsica Libera, dont il est l’un des porte-parole, il se définit comme « militant ». « Je suis issu de la génération de 70. Depuis, tout a changé. Il faut avoir la force et la volonté de prendre certaines distances et remettre en question certains dogmes ». Pour lui, il s’agit de repenser l’ensemble de l’idéologie nationaliste dans le cadre de la construction européenne et de la mondialisation.
C’est ce qu’il essaie de faire passer à la nouvelle génération. Une responsabilité dont il se sent investi. A ses yeux, sa génération a failli à bien des égards, sur ce point. En particulier auprès de sa jeunesse. Ces « enfants-rois » pour qui tout a été facile et qui ont oublié la valeur des choses et les grands principes. « Nous avons baissé les bras », admet l’ex-conseiller territorial. C’est peut-être pour cela que Poggioli est devenu formateur (à l’Afpa), engagé notamment contre l’illettrisme.
Regard. Ainsi, ce militant pas comme les autres pose son regard sur la classe politique insulaire, sur la Corse et sur les Corses. Toujours sans concession. Quitte à déplaire. Elu à l’assemblée de Corse de 1984 à 1998, l’institution, selon lui, a perdu son « aura » et « sa capacité à aller au conflit avec l’Etat ». Brasser des idées, c’est bien. Mais lui attend désormais du concret de la nouvelle majorité. Et une évolution. Vers l’obtention d’un pouvoir législatif, peut-être par le biais de la réforme des collectivités ou par un projet commun qui sera soumis aux présidentiables de 2012, mais surtout par la capacité de rassemblement des nationalistes. « Tout ne sera pas fait pour autant », prévient-il. Effectivement, restera le plus difficile à accomplir : passer de contre-pouvoir à pouvoir en place. Sans décevoir.
Intransigeant. Mais la Corse et les Corses sont-ils prêts ? A cette question, le tableau dressé par Pierrot Poggioli est plutôt sombre. « La Corse va à vau-l’eau : la dépendance, le déracinement, l’acculturation, l’économie assistée, le tourisme non maîtrisé, le chômage… » La liste est longue et la conclusion sans appel : « Si on pense que tout va bien en Corse, c’est qu’on vit sur Mars ou qu’on n’est pas Corse ». L’homme n’est pas tendre non plus avec les insulaires : « Ils subissent et avalisent tout. Le seul devoir de citoyen qu’ils exercent, c’est de voter. Et, le plus souvent, ce n’est pas un acte d’adhésion. Ou si adhésion il y a, c’est en faveur des seuls nationalistes ».
Parce que, selon lui, on ne vit pas en Corse comme en Ardèche ou en Ile de France, il ne faut pas « s’endormir ». Une identité, une langue, une culture préservées, des Corses en capacité de « rester chez eux », une solution politique trouvée, un modèle de société qui reste à inventer… Voilà comment Pierrot Poggioli imagine la Corse dans une dizaine d’années. Un rêve qu’il n’est pas seul à partager.
16/06/2011 24 Ore n°305
Par Caroline Ettori