Très intéressante réunion vendredi dernier à Prupià organisée à l’initiative de l’Office des Transports de la Corse, dans le cadre d’un programme d’échanges financé par l’Union Européenne, en présence de responsables corses (les Présidents de la CTC et de l’OTC, le Président du Conseil Général 2A, les Maires de Bonifaziu et Prupià) et des autorités sardes, de la Giunta Regionale et des collectivités correspondantes (Provincie di Sassari è d’Olbia, mairies de Porto Torres et Olbia).
Une même volonté émerge : profiter de la nouvelle programmation européenne 2014-2020 pour changer de braquet dans la coopération entre le deux îles, avec un axe prioritaire, celui des liaisons maritimes qu’il faut enfin développer de façon volontariste.
L’état des lieux des liaisons Corse/Sardaigne se résume malheureusement à peu de choses. S’il existe une ligne y compris hors saison touristique entre Bonifaziu et Santa Teresa di Gallura, c’est grâce à la Giunta Regionale de Sardaigne qui consent une subvention de 1 million d’euros annuels à la Saremar pour assurer la liaison entre les deux îles l’hiver, sans contrepartie aucune de la Collectivité Territoriale de Corse ou des autorités françaises. Voilà déjà quelque chose qui est totalement ignoré en Corse.
De son côté, l’enveloppe de la continuité territoriale France-Corse finance la liaison bi-hebdomadaire Marseille/Prupià avec un cargo mixte de la CMN, dont le navire et l’équipage doivent rester à quai de 8 heures à 19 heures selon le cahier des charges de la DSP (Délégation de Service Public) pour laisser le temps aux transporteurs de décharger leur cargaison avant de rembarquer pour Marseille. D’où l’opportunité ouverte pour la CMN de proposer une traversée Prupià-Porto Torres à moindres frais, par un aller-retour réalisé durant cette journée d’attente. Au fil des ans, cette offre, de facto indirectement financée par la dotation de continuité territoriale, a trouvé sa place et les tonnages transportés ont commencé à se développer. Mais les équilibres financiers sont fragiles et l’espacement entre deux rotations est trop grand : le camion débarqué doit pouvoir livrer, recharger et repartir dans les 24 heures, 48 heures au maximum. Actuellement, c’est impossible à faire avec seulement deux rotations par semaine. Le dossier de la troisième rotation, qui nécessite un financement public modeste, est sur la table depuis le début des années 90, il y a vingt ans, sans avoir jamais débouché ! Ainsi, les quelques transporteurs habitués de la ligne sont obligés de retourner par Bonifaziu/Santa Teresa di Gallura, ce qui est un handicap considérable au développement de cette liaison. La CMN a sollicité une aide pour surmonter la difficulté. Demande restée lettre morte…
De son côté, le navire affecté à la traversée des 14 km (à peine !) des Bocchi di Bonifaziu, s’il a le mérite d’exister, n’est pas à la hauteur du 21ème siècle. Il est inapte au transport des handicapés, et il doit annuler ses traversées si les conditions de mer sont par trop difficiles. Améliorer le niveau de la prestation pour cette ligne qui accueille déjà près de 250.000 passagers annuels grâce au tourisme est donc un impératif.
Pour le fret, le port de Prupià est mieux indiqué que celui de Bonifaziu, très enclavé dans un site peu propice au trafic des poids lourds. Idem pour son pendant en Sardaigne, Porto Torres, qui donne accès au cœur de l’activité économique sarde, contrairement à Santa Teresa de Gallura très excentré. La liaison CNM traite 70.000 T de fret, mais elle ne trouve pas son équilibre financier, et, comme on l’a vu, son développement est entravé faute d’une troisième rotation.
Dans un cas comme dans l’autre, il faut faire un choix politique : ou bien accepter des reculs a priori impensables (arrêt de la ligne Porto Torres/Prupià, fin de la desserte hivernale dans les Bocchi de Bonifaziu), ou bien s’engager enfin dans une action concertée pour le développement des deux itinéraires, qualitativement et quantitativement. En 2013, près de 50 ans après le traité de Rome par lequel la France comme l’Italie devenaient déjà l’une et l’autre membres de « l’Europe des Six », l’arrêt des lignes existantes serait un échec politique dramatique. L’autre choix c’est de mettre en place une Délégation de Service Public européenne dans le cadre des futurs programmes de coopération. C’est manifestement ce que l’assemblée réunie à Prupià veut faire, et le plus vite sera le mieux !
D’autant plus que, si on y réfléchit un tant soit peu, le développement de ces lignes Corse /Sardaigne est un enjeu européen de premier ordre. Car, dans les faits, l’existence pour des raisons historiques d’un réseau dense de connexions maritimes entre la Corse et la France d’une part, entre la Sardaigne et l’Italie d’autre part, fait de la liaison Corse-Sardaigne le « chaînon manquant » d’une route de la mer qui pourrait être proposée presque immédiatement en substitution à un trafic poids lourd sur-saturé sur l’axe Marseille/Gênes. L’Europe y gagnerait en bilan CO2, en coût des infrastructures autoroutières, et les deux îles prendraient leur place dans un trafic qui donnerait aux escales fret de Porto Torres et Prupià davantage d’activité. Et, avec une coopération plus avancée, pourquoi ne pas aller plus loin et envisager une ligne de cargo mixte entre Barcelone/Prupià/Porto Torres/Barcelone, une fois par semaine dans un premier temps ? La remorque partant de Barcelone pour Rome pourrait faire escale en Sardaigne, et celle pour Marseille faire escale en Corse. Ce serait autant de trafic en moins sur l’autoroute sur-saturé au niveau de Montpellier. Et ce serait sans doute une opportunité pour redéployer la SNCM dans le bassin ouest de la Méditerranée, encore vierge de concurrence, alors que les lignes vers l’Italie sont très concurrencées.
A partir de cette première concertation menée à Prupià, les projets qui se font jour ouvrent de très intéressantes perspectives. Ils montrent que la coopération Corse Sardaigne est un « gisement économique » pour les deux îles. Il faut en faire une priorité désormais.
François ALFONSI
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