Même si le chef du commando explique la mise en cause du berger de Cargese comme une vengeance contre celui qu’il soupçonnait de les avoir balancés, les données fondamentales du procès sont restées à peu près les mêmes.
L’histoire des révoltés du Bounty a inspiré trois films. Un premier, en 1935, avec Clark Gable. Un deuxième, en 1962, avec Marlon Brando. Un troisième, en 1984, avec Mel Gibson.
En ce qui concerne l’affaire Colonna, c’est la même chose. Un premier procès aux assises, en 2007. Un remake en 2009. Un second remake en 2011. Et si, à la différence des films sur les « révoltés du Bounty », les acteurs n’ont pas changé, le scénario est resté à peu près identique. Avec un changement de conclusion en 2009 puisque la réclusion criminelle à laquelle avait été condamné Colonna en 2007 a été assortie d’une peine de sûreté de 22 ans en 2009.
Pour le reste, si l’on ignore encore la conclusion du procès de 2011, les données sont restées à peu près les mêmes. Même si, cette fois, elles ont été plus rationalisées. Il y a d’abord ce qui innocente Yvan Colonna. Il n’existe, en effet, aucun élément matériel contre lui. Il n’a pas été repéré par son portable comme ses présumés complices. Il n’a pas non plus été identifié sur place, puisque tous les témoins, dont certains que l’on ne peut soupçonner de lui être favorables, affirment ne pas le reconnaître. Et quelques-uns d’entre eux affirment même « qu’il s’agit d’un autre homme que lui ». Tout cela complété par des expertises qui semblent indiquer que le tueur du préfet Erignac était plus grand que lui, ce qui n’est pas le cas de Colonna.
Par contre, Colonna est compromis gravement par les déclarations faites devant la police, par certaines femmes des membres du commando, et pire, par des membres du commando qui l’ont formellement mis en cause. Accusations qui ont été réitérées devant le magistrat instructeur avant d’êtres annulées, parfois quelques années plus tard, les femmes et les hommes affirmant alors que Colonna « n’y était pas ». Tout le monde s’en est finalement tenu à cette position aux cours des deux procès aux Assises, la défense et eux-mêmes expliquant qu’ils n’avaient fait qu’aller dans le sens des convictions de la police pour sauver, qui leurs enfants, qui leur femme. Un raisonnement qui n’a pas été pris en compte par les magistrats, sans doute aussi parce que les responsables policiers ont, à chaque fois, fermement réitéré leurs accusations contre Colonna.
Surtout, beaucoup de gens se demandaient, y compris en Corse, ce qui avait bien pu pousser les militants aguerris du commando, à avoir gravement compromis un autre militant, par ailleurs leur ami. Lors de l’audition des membres du commando, aux Assises, le 24 mai dernier, on a eu un début d’explication. Colonna a expliqué qu’un des membres de la bande, Pierre Alessandri, l’avait contacté, pour participer à l’opération, ce qu’il avait refusé. Il était donc au courant du projet d’assassinat du préfet Erignac. Suivent les explications du chef du commando, Alain Ferrandi : « J’ai pensé un moment qu’il pouvait être l’informateur du préfet Bonnet. » Ce fameux Corte, dont on ne sait s’il a existé et qui, le premier, aurait fourni les noms des membres du commando au préfet Bonnet qui, à l’époque, n’avait pas été pris au sérieux par la justice. C’est donc pour se venger de Colonna que Ferrandi et ses amis l’auraient mis en cause lors de leurs interrogatoires…
Si cette hypothèse peut être confortée par l’existence de certains règlements de compte du même genre dans des affaires passées (dans les années 70 un groupuscule terroriste mao, les NAPAP, avait voulu compromettre l’un des leurs qui avait décidé de ne plus participer à un crime politique en utilisant une arme qui lui était attribuée), elle aura évidemment du mal à convaincre des magistrats professionnels. D’autant que l’on voit mal des militants nationalistes du niveau de Ferrandi et des autres se prêter à une « petite vengeance » aux conséquences aussi dramatiques pour leur ami Colonna. « La ficelle est un peu grosse » a d’ailleurs déclaré un avocat de la partie civile. Reste que cette histoire, ajoutée aux imperfections du dossier, peut accentuer le doute en ce qui concerne la responsabilité de Colonna dans l’assassinat d’Erignac. Ce doute suffira-t-il à emporter la conviction de la cour d’assises spéciale ? C’est toute la question, à moins que le ressentiment d’une partie de la magistrature à l’égard de Nicolas Sarkozy qui avait déclaré Colonna coupable, avant même qu’il ne soit jugé, les pousse à un acquittement très provocateur. Puisque le doute doit profiter à l’accusé.