Officiellement ce voyage était en principe prévu fin novembre, mais après la succession d’assassinats en Corse, les ministres de l’Intérieur et de la Justice se sont rendus deux fois dans l’île. La 1ère fois, cette visite fut précipitée (la nuit même de l’assassinat du président de la CCI de Corse du Sud, Jacques Nacer).
D’où les déclarations des deux ministres (comme celles du 1er ministre ou même du Président de la République) furent-elles plutôt improvisées, suscitant même des controverses. Aussi, les deux ministres promirent-ils de revenir, « le temps peut-être de mieux s’informer sur la situation et de préparer quelques annonces un peu plus réfléchies, allant au-delà des « clichés » voire du racisme anti-corse, assez répandu dans la société française, y compris au sein de ses élites « politiques, intellectuelles ou journalistiques » ( à l’image du scandaleux éditorial de Christophe Barbier, Directeur de la rédaction de l’Express). Ainsi on aura pu mesurer les efforts réitérés des deux ministres pour y échapper et au soin mis dans leurs annonces de peser chaque mot, voire chaque phrase.
Au-delà de la forme
Toutefois la répétition parfois lourde de certaines formules « la Corse c’est la France, c’est la République.. » n’aura échappé à personne. De même, si les ministres reconnaissaient le droit aux élus corses de proposer des évolutions (langue, institutions…) voire la révision de la Constitution, passage obligé, on n’aura pu que noter que cela n’était pas la principale préoccupation de ce gouvernement que les deux ministres représentaient ( nous l’avions déjà remarqué durant la campagne de François Hollande avec l’absence de prise en compte du problème politique corse) ….. mais peut-être fallait-il donner aussi des gages à Emile Zucarrelli (ami de Manuel Valls et principal soutien de Christiane Taubira au sein des Radicaux de gauche et lors de sa candidature à la Présidence de la République..) et consorts, ainsi qu’aux « jacobins de la gauche française et aux anciens de la Corse Française et Républicaine.
Volet « répressif »
Quoiqu’il en soit, si l’on en reste aux déclarations, nous avons pu apprécier la volonté d’éviter l’amalgame entre lutte contre la grande criminalité mafieuse et lutte la violence politique, de même que de refuser la confusion trop souvent institutionnalisée entre grand banditisme et nationalisme. Nous avons cru aussi déceler une certaine retenue vis-à-vis des services policiers et de leur action future (il faudrait d’ailleurs auditer leurs résultats depuis des années dans l’île et établir certaines responsabilités de leur hiérarchie en Corse, mais aussi à Paris) ou même judiciaires (lorsqu’on sait que le juge Thiel, grand champion de la lutte anti-nationaliste se complait à vouloir ressortir des affaires politiques vieilles de près de 30 ans, et ce alors que les assassinats se multiplient, endeuillant nombre de familles corses).
Les deux ministres ont insisté surtout sur les juridictions financières pour traquer le blanchiment, le racket et la spéculation…veillant à se démarquer de la politique répressive de l’ère Bonnet… Néanmoins nous avons noté un oubli criard sur les ravages de la drogue et le développement des réseaux de stupéfiants (une des bases de la mafiosisation en cours)
Les détenus politiques
Reste bien sûr les réponses vagues quant à leur rapprochement, alors que plusieurs détenus de droit commun ont été rapprochés, la seule réponse donnée étant que la loi sur le rapprochement s’appliquait mais qu’il fallait « laisser le temps au temps » (pourtant certains d’entre-eux sont définitivement condamnés).
Sulidarità n’a même pas eu de réponses concrètes sur l’attitude provocatrice des responsables de la prison de Borgu vis-à-vis des prisonniers politiques et de leurs familles lors des visites. La visite de la ministre de la Justice au Pénitencier-hotel de Casabianda, un tantinet provocatrice, aurait pu être évitée. Certains détenus politiques pourrraient y avoir leur place plutôt que d’autres pensionnaires de cet établissement dont la Corse se passerait bien (le tueur en série Emile Louis qui a tué plusieurs pensionnées handicapées y a séjourné, chargé de conduire les enfants du personnel à l’école à Bastia).
Volet économique
Après avoir rencontré les représentants des groupes politiques à la CTC, Manuel Valls a signé la 3ème convention du Programme exceptionnel d’Investissement (PEI) pour la période 2014-2016 (5480 millions d’euros pour la 1ère tranche, puis 1000 millions d’euros pour la 2ème tranche). Notons qu’il a jugé que ce « PEI avait permis à la Corse de rattraper son retard en matière d’investissements ». Il suffit de se référer à ce qui avait été voté par l’Assemblée de Corse (octobre 1988) avec la motion sur le peuple corse, où l’on parlait déjà alors de « Retard historique » en matière de développement des infrastructures, pour comprendre que malheureusement depuis beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et que le compte n’y est pas (mis à part les ronds-points à toutes les sauces..) Selon Manuel Valls, ces investissements auraient permis à la Corse de passer du 22ème rang des régions françaises au 16ème, et ce alors que le revenu moyen des Corses progressait de 44% (contre 31% dans l’Hexagone).
Avec la montée du chômage (+ 12% cette année..) les difficultés accrues des Corses pour l’accès à l’emploi et à la formation, au locatif ou à la propriété, nous pensons qu’il y a matière à réfléchir pour de vrais économistes corses sans avoir besoin de se référer aux habituelles pythies venues d’ailleurs, ne comprennant pas grand-chose à l’île et se contentant d’aligner des chiffres en oubliant les hommes et les femmes de ce pays qu’est la Corse, où les choses, y compris économiquement ont aussi leurs spécificités au-delà des grandes généralités et lieux communs habituels. Notons au passage qu’après tout la propagande faite sur la Corse, « région de France où se créaient le plus grand nombre d’emplois et d’entreprises », on doit aujourd’hui reconnaître que les emplois issus du tout-tourisme et du tertiaire profitaient surtout à des gens venus d’ailleurs (et pas seulement aux saisonniers) et qu’aujourd’hui, ce sont eux qui ne partant plus de Corse (la misère se vit sans doute mieux au soleil) font exploser les chiffres du chômage et des circuits de formation (une formation au service de la jeunesse corse !). Dans un autre ordre d’idées, le nombre croissant des usagers des restos du cœur (même si aujourd’hui, on clame à tout bout de champ que même des Corses vont aux restos du coeur, phénomène nouveau !) nous montrent aussi les limites de la pseudo-croissance qui ne profite qu’à des nantis ou privilégiés, alors que la majorité de la population (jeunes, étudiants, chômeurs, exclus, retraités se paupérise).
Volet institutionnel
Attendons de voir les propositions définitives (et consensuelles ) qui seront faites au gouvernement pour la suite. Nous verrons alors si les institutions françaises (Parlement ou référendum en Corse ou en France) accepteront de les prendre en compte ou à défaut, en cas de refus, de voir la volonté et la capacité des élus de Corse d’aller à la confrontation.
Pour conclure
Nous verront à l’usage quelles seront les applications de ces discours, même si nous avons appris à être un tant soit peu dubitatifs quant à la volonté des gouvernements de droite ou de gauche lorsqu’il s’agit de prendre en compte les aspirations collectives et les besoins réels de la Corse et des Corses. Cependant, reste au-delà des discours, des promesses et des incantations, que confrontée à une situation mortifère et à des problèmes douloureux, la société corse ne doit pas tout attendre des pouvoirs de droite ou de gauche à Paris, mais puiser au fond d’elle-même les ressources indispensables pour un sursaut salutaire.
Pierre Poggioli
Ribombu : Novembre 2012
Corsica Libera
Corsica Infurmazione, L’information Corse
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