Les trois premières semaines du procès incontestablement vont dans le sens des thèses de la défense. Pour autant, le contexte politique de cette affaire pèse toujours autant et on ne saurait gommer toutes ces longues années où la culpabilité d’Yvan Colonna a été érigée en « raison d’Etat ».
Preuve en est, l’hésitation toujours prégnante de la Cour à organiser une vraie reconstitution dont elle a seule le pouvoir. Preuve en est aussi la façon même d’organiser ce procès…
Nous poursuivons notre relevé, jour après jour, des moments les plus forts du procès.
16 mai. La reconstitution, oui mais…
Si le principe de la reconstitution a bien été admis, la Cour a nuancé son propos : « il convient cependant d’attendre les dispositions des co-accusés pour fixer les modalités et les personnes qui y participeront ».
Pourtant, si elle le souhaite vraiment, la Cour peut imposer cette reconstitution. Elle peut imposer la présence des acteurs, et s’ils ne veulent pas y participer, elle doit faire jouer leur rôle par des policiers. Toute affaire criminelle a besoin d’une reconstitution. Très souvent, la vérité jaillit des précisions qu’elle seule peut apporter.
Pour l’heure, la date du 6 juin a été avancée par le président Stephan. Mais il faut attendre encore avant de savoir si nous aurons droit à une vraie procédure en présence de tous les acteurs. Un simple transport sur place ne saurait faire office de reconstitution.
Autre sujet d’inquiétude, l’organisation même du procès et la façon d’agencer le planning des audiences. Les accusations (rétractées depuis maintenant 10 ans) sont toujours mises en point d’orgue des débats. Et les enquêteurs qui ont défilé à la barre lors de la troisième semaine ont préparé le scénario de l’accusation qui affirme qu’Yvan Colonna est le « tireur ».
Or, pour un examen impartial, il aurait été plus logique, comme d’ailleurs l’avait réclamé la défense au président Stephan en avril dernier, d’entendre préalablement les accusateurs, ce qui aurait permis ensuite de confronter les mises en cause initiales et leurs rétractations aux éléments objectifs de l’enquête, témoins oculaires, témoins qui détaillent l’emploi du temps d’Yvan Colonna, constatations scientifiques (balisticiens et légiste) etc… Car enfin, les mises en cause initiales, qu’Yvan Colonna a toujours réfutées avec force, n’ont jamais été vérifiées ni confortées par aucune preuve matérielle. C’est un fait indéniable.
Pour le Comité de soutien d’Yvan Colonna, « la culpabilité ne se décrète pas par incantation, il faut en faire la démonstration avec des preuves matérielles irréfutables. Les magistrats de cette Cour doivent impérativement veiller au respect des grands principes qui fondent la justice. ». Et les débats démontrent qu’il n’existe aucune preuve pouvant étayer l’affirmation qui fait d’Yvan Colonna le tireur.
16 au 18 mai. Les manipulations de l’enquête
Cette troisième semaine aura vu défiler les enquêteurs qui ont asséné comme des vérités, «leur vérité». Ils n’appuient ces affirmations sur aucun élément matériel. Ils ont pourtant essayé d’en trouver : les écoutes téléphoniques et balises placées sous la voiture d’Yvan Colonna, dès 1998, ne figuraient pas au dossier parce qu’elles démontraient son innocence et pas sa culpabilité. La défense a obtenu (enfin) qu’elles soient versées au procès. Ces écoutes de la « piste agricole » constituent un élément à décharge pour Yvan Colonna. Elles démontrent que ses relations avec certains membres du commando étaient purement amicales ou commerciales. Elles démontrent aussi que Yvan Colonna était suspecté dès 1998. Son nom n’a donc pas pu apparaître spontanément durant les gades à vue des membres du commando un an plus tard. Et a très bien pu leur être suggéré, comme l’affirme la défense. Quant à la dissimulation de preuves placées dans des procédures parallèles, selon le commissaire Dragacci qui a déposé sous serment devant la commission d’enquête parlementaire en 1999, et confirmé à la barre : « Il s’agit d’une procédure « poubelle », c’est courant en matière d’antiterrorisme : il s’agit de dossiers incidents permettant de faire figurer des éléments ne figurant pas dans le dossier principal et de les cacher à la défense »… D’autres écoutes prétendument « conspiratives », elles, ont été détruites. Voilà ce qu’a été l’enquête puis l’instruction de «l’affaire Colonna».
– Ainsi, parmi les enquêteurs, figure Eric Battesti, des renseignements généraux, accusé par Serge Garracio (associé de Mathieu Filidori) de lui avoir demandé de déposer des explosifs dans sa propriété car les enquêteurs n’avaient pas les moyens d’inculper l’agriculteur. Nous étions alors en plein délire sur la « piste agricole ». Lors de la perquisition, les explosifs sont découverts et Mathieu Filidori fera plusieurs mois de prison, accusé à tort. 13 ans plus tard, il reste toujours inculpé comme plusieurs autres agriculteurs dans une procédure mise en sommeil depuis l’interpellation du « commando Erignac ».
– Quant à Roger Marion, citons les commentaires de Benoît Peruck, dans Le Figaro du 18 mai, sous le titre « Quand un policier manie l’art de l’esquive » : « Le rusé policier est un as de l’esquive, en tant que patron de l’enquête, il est censé tout savoir. Mais là, comme un lieutenant stagiaire, il répond qu’il ne peut utilement témoigner que sur les actes qu’il a lui-même accomplis. Surtout, il se coupe sur certains points embarrassants. Les Renseignements généraux avaient-il placé une balise sous la voiture d’Yvan Colonna fin 1998 pour surveiller ses déplacements – ce qui signifierait que les soupçons sur le berger de Cargèse existaient avant mai 1999 ? Le témoin refuse de répondre, ou répond qu’il ne sait pas, ou répond à côté. Autre point flou : Yvan Colonna a-t-il été placé sur écoutes par les mêmes RG ? Le témoin biaise, réfute, admet, perd la mémoire… »
« Il est tout de même troublant que des responsables policiers de ce rang soient, quand cela les arrange, aussi fuyants devant une cour d’assises, dans un tel dossier qui exigerait des dépositions irréprochables» conclue Le Figaro.
– Autre enquêteur entendu, Éric Tessier, commandant à la DNAT, toujours dans le Figaro, sous la plume cette fois de Stéphane Durand-Souffland : « Il affirme que le nom d’Yvan Colonna faisait partie des «objectifs» initiaux des arrestations de mai 1999, car son nom semblait sur toutes les lèvres à la DNAT – ce que nient farouchement les responsables du service. Or, lorsque la liste des personnes interpellées est finalisée, le berger de Cargèse n’y figure pas. Le fonctionnaire s’en étonne, dit-il, auprès de son supérieur direct, qui l’envoie aux pelotes. Le dossier regorge d’incongruités comme celle-ci… »
17 mai. Mathieu Filidori et Vincent Andriuzzi
L’un dans la « piste agricole », l’autre dans la « piste des intellectuels », ont eu à souffrir des errements de l’enquête. Leurs témoignages démontrent eux aussi les déviances auxquelles se sont laissés allé les enquêteurs au détriment de la vérité.
Tous deux racontent les conditions de leur interpellation et de leur garde à vue. « Ils ont trouvé chez moi un portrait de Sampiero et ils ont fait le lien avec cette ignominie de communiqué (ndlr : celui du mouvement « Sampiero ») raconte Mathieu Filidori. C’est infâme et le rapport de synthèse de Roger Marion est du même tonneau… En général, dans les enquêtes, on ferme les portes à mesure qu’on avance, dans mon cas on n’a jamais rien fermé. Cette piste agricole était infondée, elle reposait sur du vent, sur des déviations, toute ma famille en a été traumatisée…. Je ne savaiis pas ce que j’avais avoir avec ça ».
« Il n’y a jamais eu non plus un seul mot de la part des membres du commando pour dire que vous étiez innocent » remarque Maître Dupond-Moretti… Gilles Simeoni de son côté rappelle que la DNAT a impliqué Filidori avec de fausses preuves. Les bâtons de dynamite cachées dans sa propriété (lire ci-dessus). Eléments pour lesquels Filidori n’a jamais été interrogé par les enquêteurs ! « Ils ont été détruits, depuis, sans relevés d’empreintes ! » s’exclame Maître Dupond-Moretti.
Vincent Andriuzzi raconte à son tour les violences subies par sa femme en garde à vue et «l’histérie » des policiers. Sa seule présence suffit à rappeler le spectre de l’erreur judiciaire : accusé d’être le commanditaire de l’assassinat, il a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle sur la foi d’un faux PV rédigé par le Commandant Lebbos. Le même qui avait fait croire à des aveux alors que Vincent Andriuzzi avait toujours nié les faits qui lui étaient reprochés. Heureusement, la manipulation a pu être dénoncée au procès en appel, et il a été acquitté.
Pour la défense, Yvan Colonna a subi les mêmes méthodes infâmes pour impliquer un innocent. « Ce sont les mêmes procédures, les mêmes hommes, les mêmes façons de faire » dénonce Maître Gilles Simeoni.
18 mai. Bernard Bonnet
On s’attend toujours à tout avec lui. D’entrée, il dit qu’il a fourni au procureur Dinthillac des notes sur l’enquête « parallèle » qu’il a menée. Elles n’ont jamais été versées au dossier, ou elles ont disparu. « L’assassinat risque de ne pas être élucidé. Je crains qu’on ne sache pas qui a armé le bras des assassins… Il en est un qui sait tout, c’est Alain Ferrandi… » déclare le préfet-incendiaire. Sur Yvan Colonna, il déclare : « J’ai seulement dit qu’il avait le profil, ni plus, ni moins »… Sur les accusations du commando, il nuance aussi : « ces renseignements ne signent pas sa culpabilité, elles rendent son implication crédible »... Il atteste des dérives de l’enquête, parle d’une première tentative d’assassinat sur la personne du préfet, la défense en profite pour souligner encore une fois toutes les zones d’ombre de l’enquête. Il n’y a pas eu d’investigations sur cette tentative avortée. Et l’on n’a pas cherché à savoir non plus « ce que Colonna et les autres avaient fait ce jour-là » dénonce Maître Dupond-Moretti.
Bernard Bonnet poursuit. Pour lui, l’enquête n’a été « qu’un long égarement. Au lieu de chercher les coupables, on les a choisis ». Il atteste la thèse de membres du commando qui courent toujours. Ce ne sont pas les membres du commando qui ont commis les attentats de Vichy et de Strasbourg, dit-il. Et de désigner le groupe Sampiero comme « un groupe virtuel qui sert à protéger les instigateurs et à désigner de faux coupables »…
Pour Maître Sollaccaro, Bernard Bonnet « dit surtout, en faisant référence à Marcel Lorenzoni, qu’on a jeté en pâture des noms, comme des leurres, pour orienter les enquêteurs sur de fausses pistes afin de dissimuler les véritables auteurs. C’est ce que nous disons depuis le début en ce qui concerne Yvan Colonna, son nom a servi de bouclier pour empêcher les investigations de se diriger vers d’autres… ».
19 mai. Les pressions policières sur les femmes du commando
Citées par l’accusation, elles ont de nouveau témoigné du trouble et des pressions subits lors de leurs gardes à vue.
– Nicole Hubert-Balland, compagne de Joseph Versini raconte : « Quand vous vivez ce genre de chose, votre détresse est immense… Tout au long de mon interrogatoire, j’ai été harcelée… Un policier m’a crié dessus, m’a mis la pression en me disant que si je ne parlais pas, on allait faire cueillir ma fille sur son lieu de travail et mettre mon fils de six ans à la DDASS… Comme je ne parlais pas, j’ai été amenée à lire le PV de Pierre Alessandri sur lequel figurait les noms du groupe… J’étais dans la confusion… Les policiers faisaient les questions et les réponses… »
Elle poursuit son témoignage accablant quant aux méthodes des enquêteurs pour l’amener à déclarer ce qu’ils voulaient entendre. Ils lui ont présenté le PV d’Alain Ferrandi « comme une preuve irréfutable »… Elle a confirmé les noms. Après quatre jours et trois nuits en garde à vue, dans le froid, sans pouvoir se reposer, se changer, elle est présenté au juge Thiel qui «synthétise » dit-elle « ce qui a été dit pendant la garde à vue »… Elle poursuit encore : «difficile de démêler le vrai du faux, d’être sincère et d’avoir toutes ses capacités mentales dans ces conditions… Je me sentais très sale, j’ai dit oui pour que ça finisse et que je puisse rentrer chez moi. »
Elle précise à la Cour, comme elle l’avait fait lors des précédents procès : « La seule chose que je connaissais était l’implication de mon compagnon dans l’attaque de Pietrosella. Le reste, ce que j’ai pu donner ou interpréter, ne repose pas sur des choses factuelles, sur aucune certitude… Joseph ne m’a donné aucun nom, aucun détail, seulement le nom de Ferrandi ». Et d’ajouter encore : les policiers m’ont donné « des PV pré-remplis ».
– Jeanne Finidori, ex-épouse d’Alain Ferrandi craint cette nouvelle épreuve devant la Cour. Elle a écrit au tribunal pour s’exonérer de son témoignage. Le président Stephan lui a refusé cette faveur et a ordonné une nouvelle convocation.
– Corinne Cau, épouse de Martin Ottaviani, comparaissait pour la première fois. « Je n’ai rien à dire… Il gardait toujours tout pour lui. » dit-elle. Mais sur une question de l’avocat général, coup de théâtre, elle déclare avoir assister aux aveux de son mari en garde à vue ! Information qui ne figure sur aucun procès verbal. « Cela prouve qu’il n’y a pas eu de cloisonnement des gardes à vue et que les femmes ont servi de moyen de pression sur les membres du commando » dénonce Maître Antoine Sollaccaro. Un élément de plus en effet qui démontre qu’il n’y a pas eu cette «étanchéité» dont se prévalent les enquêteurs. Et cette étanchéité est capitale pour attester ou non de la crédibilité des accusations en gardes à vue.
20 mai. Incident d’audience
Comment interpréter l’incident ? Le journaliste Jacques Follerou, cité par la défense, était présent à l’audience ce 20 mai. C’est Maître Dupont-Moretti qui l’a reconnu dans le public et l’a signalé au président qui a immédiatement suspendu l’audience. Jacques Follerou avait mis en cause Yvan Colonna dans les colonnes du Monde le 22 mai 1999, avant même les premiers retours des gardes à vue des membres du commando. Son témoignage devait servir à démontrer que le nom de Colonna n’était donc pas apparu pour la première fois dans la bouche des membres du commando et que, bien au contraire, ce sont les enquêteurs (car il ne pouvait s’agir que d’une source policière) qui ont fait circuler son nom. D’ailleurs, interrogés sur ce point, Roger Marion ou Frédéric Veaux n’ont pas su expliquer cet article.
Jacques Follerou ne pourra plus témoigner. Un témoin ne peut assister aux débats, c’est formellement interdit par le code de procédure pénale. Cet incident est grave et peut motiver une cassation.
Que faut-il retenir de cette troisième semaine de procès ? Une enquête « sale » qui ne recule devant aucun moyen, qui traite les témoins comme des accusés et qui a été jusqu’à fabriquer de fausses preuves pour impliquer et laisser condamner des innocents ; un Yvan Colonna «ciblé» par les enquêteurs bien avant la mise en cause des membres du commando en mai 1999 ; des gardes à vue qui n’ont pas été étanches et ne se sont pas déroulées dans des conditions sereines, jetant le doute sur la crédibilité des accusations initiales ; des personnes impliquées qui n’ont jamais été appréhendées…
http://www.p-n-c.eu/