« Je voudrais remercier les délégations étrangères qui sont venues, cette année encore, partager nos débats et ces moments de convivialité fraternelle qui caractérisent les Ghjurnate depuis 31 ans.
Je voudrais également remercier tout spécialement et chaleureusement les élus corses, dont les idées sont parfois très éloignées des nôtres, et qui ont eu le courage politique d’être ici, aux journées internationales de Corti pour chercher avec nous les voies de l’avenir.
J’adresse un salut fraternel à nos prisonniers et à leurs proches, et j’ai naturellement une pensée pour les familles de ceux qui ont donné leur vie pour la Corse.
Enfin, je remercie tous les militants qui ont, encore une fois, rendu possible la tenue de ces Ghjurnate.
La situation politique générale
Cette année, les Ghjurnate se déroulent dans une situation extrêmement particulière, puisqu’un espoir est né sur cette terre marquée depuis si longtemps par les échecs et par les drames.
Si dice chì « a rombu di pichja a petra rompe ». Depuis des années, nous avions parfois eu la désagréable impression de plaider en vain, voire de jouer les Cassandre. Pourtant, les autres responsables de l’île nous rejoignent aujourd’hui sur le constat, et même, souvent, sur les propositions. Depuis le début de cette mandature en 2010, un rapprochement des points de vue a pu être effectué. Déjà, l’an dernier, nous nous réjouissions du vote de notre motion sur l’officialité de la langue, de l’organisation des assises du foncier dont nous avions réclamé la tenue, de l’élaboration d’un agenda 21 conformément au contenu de notre projet Corsica 21, ainsi que d’une position commune des élus territoriaux sur la question des prisonniers.
Depuis, nous avons semble-t-il réussi à convaincre un grand nombre d’élus de la pertinence de notre proposition de citoyenneté corse. Le président du Conseil exécutif s’y est déclaré favorable, ce qui a constitué un événement politique assez inattendu.
Par ailleurs, le PADDUC présenté par Maria Giudicelli il y a quelques jours reprend les orientations préconisées depuis fort longtemps par les nationalistes.
Enfin, la nécessité d’une révision constitutionnelle pour la Corse est aujourd’hui largement admise.
De cette réalité nouvelle, il faut tirer deux conclusions : la première c’est que nous avons réussi à convaincre mieux que par le passé – et sans doute notre méthode et notre discours se sont-ils quelque peu améliorés –, la seconde c’est que l’on nous a écouté et souvent compris – ce qui tend à montrer que nos interlocuteurs également ont fait un effort de dialogue, effort qu’il nous faut saluer.
Bien entendu, nous n’en sommes qu’au début du parcours et des déconvenues peuvent survenir. Loin de tomber dans un optimisme béat, nous veillerons à ce que que les paroles soient suivies d’effet. Nous sommes en effet conscients de ce que de nombreux Corses – et pas seulement ceux qui nous accordent leurs suffrages –, sont attentifs à l’appréciation que nous portons sur l’évolution des événements politiques. Corsica Libera demeurera garante de la qualité des avancées et ne validera pas un dispositif politique insuffisant eu égard aux enjeux pour les Corses. Enfin, nous réaffirmons solennellement la position qui n’a jamais cessé d’être la nôtre depuis des décennies : nous ne serons jamais partie prenante d’une solution politique qui ne prendrait pas en compte pleinement la question centrale des prisonniers politiques.
Les difficultés demeurent nombreuses
Les difficultés demeurent nombreuses : en attendant les avancées que nous appelons de nos vœux, la langue corse continue à reculer, la terre corse continue à être aliénée, les dérives mafieuses continuent à se développer… Aussi, la situation impose à notre peuple la plus grande vigilance, particulièrement en ce qui concerne la question foncière.
Cette terre n’est pas à vendre, et certains Corses l’ont signifié clairement aux forces de l’argent.
Aucune décision d’aucune juridiction française ne peut permettre de défigurer nos rivages ; aucune instance étrangère ne peut autoriser ici ce que notre peuple interdit.
Tout jugement ou arrêt qui ouvrirait la voie à la destruction de notre patrimoine naturel serait naturellement nul et non avenu.
C’est la raison pour laquelle la notion de « hameau nouveau » telle qu’elle a pu être théorisée par quelque juriste n’ayant certainement jamais foulé le sol de notre pays, est purement et simplement caduque.
Elle ne recevra aucune application parce que le peuple corse le refuse et qu’il se donnera toujours, d’une manière ou d’une autre, les moyens de faire respecter ses choix fondamentaux.
Demain, ce peuple sera en situation d’élaborer ses propres lois. En attendant il est contraint de prendre certaines mesures conservatoires, dans un esprit de légitime défense et pour léguer aux générations futures l’environnement dont il a hérité.
D’aucuns objecteront le caractère illégal de ces mesures conservatoires. « Illégal », certes, si l’on prend en compte cette légalité transitoire actuellement appliquée sur la terre de Corse. Ma u bisognu abbatte a lege, perchè a lege hè fatta da l’omi è dumane a lege cambierà.
Les perspectives politiques
Malgré une évolution intéressante, nous ne sommes pas au bout de nos peines : il va falloir aboutir, rapidement, à la définition d’un projet global et cohérent validé par une majorité – la plus large possible – de l’Assemblée de Corse.
Nous allons donc poursuivre notre dialogue avec l’ensemble des responsables politiques de la Corse. Parmi ces derniers se trouvent les autres nationalistes, auxquels nous avons proposé, depuis des années, l’élaboration d’un projet commun de l’ensemble du mouvement national. Nous continuons à penser que cette méthode aurait été la meilleure et que si les nationalistes avaient parlé d’une seule voix sur les principales questions, les choses seraient allé beaucoup plus vite. Force est de constater que cette proposition ne convient pas au courant dit « modéré », dont nous aurions voulu faire un partenaire privilégié. Nous en avons pris acte et nous avons donc décidé de procéder autrement, à savoir d’ouvrir des discussions, d’emblée, avec l’ensemble du paysage politique corse.
Ces discussions sont actuellement en cours et nous comptons bien continuer à tenir toute notre place dans le débat sur l’évolution de la Corse. Avec la légitimité que nous confère les suffrages recueillis, bien sûr, mais aussi celle que nous tenons de plusieurs terrains de lutte depuis des décennies, celle que nous tenons des efforts déployés et des sacrifices consentis. C’est la raison pour laquelle Corsica Libera pèse davantage, à l’Assemblée de Corse et ailleurs, que les 10% de suffrages recueillis à l’occasion des élections territoriales. Aussi Corsica Libera, sans doute davantage encore que les autres formations insulaires, est comptable de l’avenir des Corses sur cette terre. Nous en mesurons la responsabilité historique. C’est pour cela aussi que nous avons su tendre la main. Si nous ne l’avions pas fait, qui l’aurait fait ?
Les initiatives que nous prenons aujourd’hui
Dans le fil de notre action de ces derniers mois et de ces dernières semaines, nous continuerons à œuvrer à la réconciliation de la communauté corse avec elle-même, mais aussi à la construction d’une solution politique.
Le premier étage de cette construction sera bien évidemment le projet élaboré à l’Assemblée de Corse. Mais il faudra ensuite que ce projet soit mis en œuvre. Or, le gouvernement français actuel – même s’il confirme dans les faits son intention affichée de prendre en compte la volonté de l’Assemblée de Corse – risque de rencontrer une difficulté : l’arithmétique la plus élémentaire nous indique que ce gouvernement ne dispose pas des 3/5 du congrès nécessaire à la révision de la Constitution. Par ailleurs, si une polémique devait avoir lieu à Paris sur la question corse, le projet de réforme serait gravement menacé. Aussi, un consensus intégrant la gauche et la droite s’avère nécessaire. À titre d’exemple, rappelons qu’un tel consensus a eu lieu il y a quelques années à Londres sur la question du processus Nord Irlandais : travaillistes et conservateurs ont jugé qu’une telle affaire était suffisamment grave pour éviter les polémiques stériles. À Paris en revanche, s’agissant de la Corse, à chaque fois qu’un gouvernement a tenté une ouverture, il s’est trouvé quelque politicien de l’autre bord pour tenter de le mettre en difficulté, et ce bien entendu pour des raisons totalement étrangères à la Corse. C’est cette situation qu’il convient d’éviter. Aussi, il est indispensable que l’ensemble des élus Corses, y compris ceux de droite, soient pleinement partie prenante du projet de réforme, afin de convaincre Paris de la nécessité de tourner la page du conflit, en faisant droit à des exigences qui seront celles de l’ensemble des Corses.
Dans cette perspective, Corsica Libera a décidé de prolonger le débat qui s’est ouvert aujourd’hui et de rencontrer les différentes formations politiques présentes en Corse et représentées au Parlement français. Dans les jours à venir, nous demanderons donc, pour commencer, une réunion bilatérale d’une part au Parti Socialiste et d’autre part à l’UMP. Il nous paraît indispensable de mettre sur la table, sans tabou, l’ensemble des sujets de discussion, afin de clarifier ce qui doit l’être et de tenter de lever les réticences pouvant encore se manifester.
Ouvrir les voies de l’avenir
Nous avons tellement entendu, ces dernières années, que la Corse était à la croisée des chemins que cette expression peut paraître quelque peu éculée. Et pourtant, qui ne se rend pas compte qu’après les différents processus de dialogue initiés ces dernières décennies – dont le dernier en date il y a dix ans –, un nouvel échec serait purement et simplement catastrophique ?
Qui ne comprend pas que les années à venir seront déterminantes quant à la pérennité du peuple corse sur la terre de Corse ?
Il nous faut donc mettre toutes nos forces dans la bataille qui s’ouvre aujourd’hui, une bataille pour la reconnaissance de nos droits collectifs.
Pour notre part, nous en sommes convaincus : viendra le moment où la question de la souveraineté pleine et entière, de l’indépendance nationale, se posera naturellement. D’abord parce que notre jeunesse y aspire, comme l’indiquent toutes les enquêtes d’opinion menées ces dernières années, ensuite parce que le système actuel à trois niveaux de pouvoir politique (la Corse, Paris et Bruxelles) ne pourra pas fonctionner longtemps, car il est porteur de lourdeurs et de complexité inutiles. Enfin parce que tout indique, dans notre façon de vivre et même notre façon de faire de la politique – qui étonne tellement les observateurs parisiens –, que la Corse n’est pas un morceau de France mais un pays différent, habité par un peuple singulier, qui a certes comme tous les autres peuples ses qualités et ses défauts mais qui a droit à l’existence en tant que tel, conformément à la logique, conformément à la morale politique, conformément aussi aux textes internationaux.
Cette question de l’indépendance se posera donc et ce sera à l’ensemble des Corses d’y répondre. Pour notre part, nous continuerons inlassablement à plaider pour le choix de la liberté.
Mais ce qui est actuellement à l’ordre du jour, c’est autre chose, c’est une réforme donnant au peuple corse les moyens de se projeter sereinement dans l’avenir, avec la garantie de ne pas disparaître, avec la certitude qu’il ne sera pas contraint de laisser la place, sur sa propre terre, à des étrangers fortunés. Notre proposition d’une citoyenneté fondée sur dix ans de résidence est la plus généreuse qui existe à l’échelle de l’Europe. Bien entendu, cette générosité de notre part ne s’appliquera pas à ceux qui veulent s’imposer chez nous par la force de l’argent, mais elle s’appliquera aux autres, à ceux qui sont venus en amis, et qui nous reconnaissent clairement en tant que peuple de droit sur cette terre.
Quelles que soient nos difficultés, gardons toujours en nous cette générosité et ne cédons pas aux tentations de repli sur soi, car cet état d’esprit qui touche aujourd’hui certains de nos compatriotes nous vient de l’autre côté de la mer. Cet état d’esprit n’a jamais caractérisé les Corses, notre histoire en témoigne. Pour notre part, nous défendons un projet ne visant aucunement à exclure mais à intégrer.
Demain, cette terre bénie des dieux fera vivre dignement et confortablement nos enfants et les enfants de nos enfants, mais aussi les enfants de ceux qui nous ont rejoint et qui ont voulu devenir Corses.
Demain, les voies d’un avenir radieux s’ouvriront devant le peuple corse, devant cette communauté venue du fond des âges et qui a traversé les siècles, tantôt les bras ouverts, tantôt le poing tendu, mais qui est toujours là malgré les forces considérables qu’elle a dû affronter.
Nous sommes toujours là pour nous battre, toujours là pour étreindre, toujours là pour tendre la main.
È s’è no simu quì, ghjè per custruì un paese,
Ghjè per fa triumfà e forze di a vita.
Ùn credite micca a pazzia chè stata detta mille anni fà: “Corsica, ùn averai mai bè”.
Ùn credite micca l’acelacci chì vi portanu tante stonde angusciose.
Avanzemu incù confidenza,
È femu, inseme, a Corsica di dumane.
Evviva a Corsica !
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