Comme si la mer était un territoire à part ! Dans une lettre doléance adressée à l’Agence des aires marines protégées, des représentants de la prud’homie des pêcheurs corses s’autoproclament maîtres de la mer (dixit). Ils revendiquent le droit de gérer le milieu à leur façon et régler entre eux la jouissance du territoire marin.
La cause de leur dépit : la Corse fait partie de la stratégie nationale (1) pour la création d’aires marines protégés (AMP) adoptée en 2007. Une convention de partenariat a d’ailleurs été signée entre la Collectivité territoriale de Corse et l’Agence des aires marines protégées. De nouveaux espaces de ce type seront bientôt créés dans une démarche visant à établir un état partagé des enjeux environnementaux, socio-économiques et culturels de l’espace marin. Les pêcheurs ne seront donc plus seuls à décider dans ces espaces dédiés.
Sans doute faut-il rappeler que la mer est en voie d’épuisement. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a lancé l’alerte : si rien n’est fait, il n’y aura peut-être plus une seule espèce de poisson comestible, d’ici 2050, dans nos océans. C’est d’ailleurs aussi pourquoi, un peu partout dans le monde, les États multiplient leur politique de développement d’aires marines protégées. En effet, dans ces espaces, les poissons vivent plus longtemps et grossissent davantage. Un atout, car les animaux de grande taille sont de meilleurs reproducteurs : ils produisent plus d’œufs que ceux de petite taille. Les poissons sont ainsi plus abondants dans les zones protégées et gérées. Leurs œufs et leurs larves dérivent vers les lieux de pêche aux alentours. Eux-mêmes peuvent émigrer à l’extérieur de la réserve.
À condition bien sûr de respecter les règles fixées dans une gouvernance partagée entre experts, État, pêcheurs et autres acteurs sociaux ou économiques.
Des pêcheurs corses s’insurgent ? Que ne se réjouissent-ils pas de voir ainsi leurs intérêts sauvegardés à long terme ? Vouloir s’affranchir de toute tutelle pour pêcher à son aise est bien sûr suicidaire. Mais c’est d’autant plus surprenant que la profession a maintes fois reconnu les bienfaits de « l’effet réserve ». Et pour cause, les suivis scientifiques réalisés depuis 20 ans dans la réserve naturelle des Bocche di Bunifaziu, permettent d’évaluer un indice de biomasse six fois plus important à l’intérieur des zones protégées et gérées, en comparaison de celui des zones laissées en libre exploitation et protégées mais peu surveillées. Les rendements des filets trémails sont du coup en augmentation significative depuis une décennie dans l’archipel des îles Lavezzi, classé depuis 1982 en réserve naturelle. Et les pêcheurs de Bunifaziu le disent et travaillent en harmonie avec les gestionnaires de la réserve.
Et quand les pêcheurs, auteurs de la lettre, argumentent en affirmant être les seuls détenteurs du savoir sur la mer, ils pèchent là (sans vilain jeu de mot) par vanité. Les suivre dans ce raisonnement serait ignorer que d’autres acteurs économiques, scientifiques ou gestionnaires évoluent eux aussi sur le milieu marin et qu’ils sont tous aussi légitimes. Ce serait considérer que l’avenir alimentaire d’une population peut reposer sur les seuls choix d’une catégorie socioprofessionnelle. Du reste, les pêcheurs de Bunifaziu le disent et travaillent en harmonie avec les gestionnaires de la réserve.
La décision de protéger la mer est bien de la responsabilité du politique qui prend là ses lettres de noblesse, c’est aussi le sens du vote citoyen qui délègue cette responsabilité à ceux qu’il s’est choisis.
Laisser la gestion d’un territoire entier aux mains d’une profession serait, aussi, omettre que mare nostrum est un lieu de biodiversité, un patrimoine, une richesse spirituelle pour l’humanité. La mer est autre chose qu’un seul garde-manger.
Les temps de crise, pourtant, devraient inviter à la prise de recul et à la lucidité.
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