La question de la langue corse est au cœur du projet de société que nous défendons. Elle fait l’objet d’un chapitre spécifique dans notre projet Corsica 21 dont une nouvelle version réactualisée vient d’être publiée. Afin d’être clairs quant à nos intentions en ce domaine, nous vous le transmettons ci-dessous avant de répondre succinctement à chacune de vos questions.
Depuis la prise de conscience initiée par le « Riacquistu » des années 1970 les Corses ont des représentations plus positives de leur langue, celle-ci a investi des interstices de l’espace public qui lui étaient autrefois totalement proscrits mais en dépit de ces progrès que l’on peut mettre à l’actif des combats de notre famille politique et de la créativité de nos artistes, le dispositif juridique actuellement en vigueur confine les pouvoirs d’interventionnisme linguistique de la CTC à du replâtrage alors même que les politiques publiques devraient d’abord procéder au gros œuvre.
Des fondations juridiques pour l’édifice linguistique
Le chantier doit démarrer avec une révision constitutionnelle permettant au corse d’être une langue officielle sur l’ensemble du territoire de notre île. Partout ailleurs en Europe, les politiques de revitalisation linguistique reposent sur ces fondations juridiques qui sécurisent l’ensemble de l’édifice linguistique, politique et culturel entrepris.
Notre rôle de précurseur et de rassembleur
A cet égard, nous sommes fiers d’avoir déposé la motion en faveur de la coofficialité du corse et du français, adoptée par 39 conseillers territoriaux en juillet 2011. Cela prouve à la fois l’utilité de notre formation politique qui est à l’origine de mesures importantes, mais aussi notre sens des responsabilités car si de façon générale nous recherchons le consensus autour de nos propositions, nous sommes encore plus sensibles à cela dans le domaine de la langue. Ce vote pour l’heure symbolique a enclenché la rédaction d’une proposition de statut de coofficialité sur laquelle nous travaillons activement. Rappelons ici quels sont les conséquences de cette mesure sur la pratique de la langue corse. Il s’agit d’une part, de donner des droits aux locuteurs de façon à ce qu’ils puissent l’utiliser dans tous les domaines de la vie privée et publique et d’autre part de donner des devoirs et des moyens aux institutions publiques et privées de l’île de façon à offrir des opportunités d’usage à tous les corsophones. La coofficialité a des répercussions transversales puisqu’elle se décline selon diverses mesures dans l’éducation, les médias, les services publics, les entreprises, la justice… Le retard de nos politiques publiques de revitalisation linguistique est à la fois une menace pour notre langue eu égard à son classement par l’UNESCO, mais il peut apparaître également comme une opportunité eu égard à l’expérience acquise dans d’autres Etats indépendants ou régions de l’UE. Le point commun de ces situations, c’est que la langue est un vecteur de cohésion sociale. Contrairement aux religions qui sont exclusives les unes des autres car on ne peut en avoir plus d’une, les langues sont des continuums, des sources de stimulation cognitive, d’échanges culturels et de prospérité économique.
Officialisation et enseignement
L’enseignement et la formation sont les principaux vecteurs de la reconquête. Si de nombreux progrès ont été enregistrés en la matière, de nombreux progrès restent à faire tant que l’ensemble d’une classe d’âge ne sortira pas de la scolarité obligatoire sans disposer d’un niveau B2[1] permettant d’engager une conversation courante. Cela constitue le préalable à la normalisation de l’usage de notre langue dans la vie quotidienne. L’objectif est de conduire les locuteurs à faire en sorte que l’usage normal du corse ne soit ni militant, ni passéiste, ni volontariste, ni belliqueux, ni affecté, ni institutionnaliste, mais quotidien, impensé, transparent, généreux, courant et légitime, c’est-à-dire normal.
L’état de la langue ou pourquoi délier l’Etat de la langue
A ce jour, si l’UNESCO classe le corse parmi les langues très menacées, nul ne connaît avec précision l’état des compétences des élèves à l’issue de leur scolarité. L’Ecole forme-t-elle des corsophones ? N’est-il pas dans l’intérêt de l’Etat de ne pas réaliser d’évaluations de cet enseignement? Existe-t-il un autre domaine dans lequel les politiques publiques ne sont pas évaluées? En ce domaine, à l’évidente incurie de l’Etat répond le replâtrage opéré par la CTC et les dotations qu’elle octroie aux écoles, aux collèges et aux lycées. La politique linguistique de la CTC et les différentes contractualisations, notamment dans le domaine de l’éducation ne doivent pas pallier les lacunes de l’Etat ou des communes. Qu’en est-il également des politiques de formation initiales et continues de l’Etat? Plus de dix ans après la première session du concours spécifique de recrutement des professeurs des écoles, non seulement le nombre de professeurs des écoles monolingues est toujours supérieur au nombre de professeurs des écoles bilingues, mais encore, il est en croissance constante. Le droit à l’expérimentation pédagogique est lui aussi soumis à des idéologies d’un autre âge. Pourquoi l’enseignement par immersion pratiqué ailleurs en Europe et dans des écoles privées, doit-il être encore interdit d’expérimentation? Combien de temps encore les formations de langue corse ne permettront-elles pas de donner d’entières compétences linguistiques aux candidats afin de basculer vers un concours unique bi/plurilingue de recrutement des professeurs des écoles ?
Dans le secondaire, en l’absence de directives claires aux chefs d’établissements, la création des filières se heurte au bon vouloir de ces derniers et à la mobilisation des familles. L’absence d’agrégation ouverte aux professeurs de corse et aux étudiants de l’IUFM apparait comme une discrimination à l’égard de notre langue et des fonctionnaires qui l’enseignent. Le refus d’intégrer le corse au dispositif du CLES lui donne moins de reconnaissance et de droits que les langues étrangères.
Un seul architecte
Dans ce contexte, comment peut-on continuer de croire en la sincérité de l’Etat? Depuis le statut Joxe, l’Etat contractualise la politique linguistique avec la CTC. Si au nom du rattrapage historique l’Etat doit accroitre ses efforts financiers en ce domaine, seule la CTC doit disposer de la maîtrise d’œuvre afin qu’à la fragmentation du pouvoir décisionnel et à la déresponsabilisation, succède une plus grande visibilité et efficacité des leviers. Cela interdira les injonctions institutionnelles contradictoires, dénouera les blocages actuels et réorientera les forces d’inertie. Seul un transfert de l’ensemble des compétences à la CTC du bloc Education-Formation et des secteurs touchés par la politique de revitalisation linguistique peut permettre d’inverser la tendance au déclin de la pratique globale dont le dispositif actuel a montré ses insuffisances.
Une langue inclusive
Par ailleurs, eu égard au statut du corse dans l’enseignement et des moyens qui lui sont concédés, nous observons à la fois une discrimination des professeurs de corse n’ayant pas accès à l’agrégation, une discrimination de la matière vis-à-vis des langues étrangères qui disposent d’un statut plus favorable dans le secondaire et le supérieur, ainsi qu’une ségrégation des publics scolaires car le manque de ressources humaines formées à l’enseignement bilingue limite l’offre scolaire, ce qui induit des processus d’évitement de certains publics et de différenciation des parcours scolaires au sein même de la scolarité obligatoire. Si aujourd’hui, les résultats des élèves aux évaluations nationales montrent de façon constante l’effet positif de l’enseignement bilingue sur les résultats scolaires, il ne s’agit pas de faire de l’enseignement bilingue un ghetto de classes élitistes, blanches et chrétiennes. Dans certaines écoles, la filiarisation a conduit à l’orientation de tous les élèves d’origine étrangère dans les classes standards. N’est-ce pas là le meilleur moyen d’instrumentaliser, de sédimenter et d’institutionnaliser leur origine culturelle ou ethnique ? Au contraire de ces mouvements observés dans l’espace scolaire, l’Ecole doit brasser et intégrer les élèves. C’est un moyen permettant l’inclusion de tous et la réussite scolaire de chacun. D’un point de vue didactique, il est bénéfique pour tous de croiser les populations d’origines culturelles différentes. Par exemple, les enfants d’origine portugaise, qui sont généralement déjà bilingues (français – portugais) se retrouvent dans la filière standard. Pourtant, ils pourraient beaucoup apporter aux classes bilingues, notamment du point de vue métalinguistique (réflexion sur la construction syntaxique, lexicale et morphologique des langues), ce qui au surplus les valoriserait eux-mêmes. Si cela se pratique déjà dans les classes les plus innovantes, il nous faut mieux accompagner ces bonnes pratiques. Alors que l’on voit se développer des programmes culturels avec l’extérieur de la Corse, intéressants au demeurant, il est paradoxal de ne pas mettre davantage en valeur la diversité culturelle d’ores et déjà présente sur l’île, avec comme ciment la langue du peuple d’accueil, à savoir le corse. Notre vision de l’Ecole et de la langue s’inscrit à rebours de ce dispositif ethnicisant et ségrégatif générateur de frustrations et de rejet. Au contraire, parce que la langue est une compétence qui peut s’acquérir tout au long de la vie et parce que la langue est le vecteur d’un lien affectif fort avec notre pays, notre discours sur la langue est inclusif. En ce qui concerne les nouveaux arrivants, cet enseignement ne doit pas être considéré comme une contrainte mais au contraire comme un droit, celui de vivre la société corse comme les Corses d’origine, car on sait que la langue est un puissant facteur d’intégration. Nous souhaitons inscrire dans le statut de la Corse le droit à l’apprentissage de notre langue et l’obligation pour nos institutions de s’acquitter de ce devoir à l’égard de toute personne vivant en Corse ou souhaitant y vivre, jusqu’à ce qu’elle obtienne au moins un niveau B2. Si tant est que l‘on s’en donne les moyens, notre langue pourra participer au raffermissement de la cohésion sociale en Corse, mais aussi, par les continuités et les contiguïtés qu’elles porte via ses parentés en Méditerranée, l’intelligence de la langue est un gage d’ouverture, de paix et de prospérité.
Développer la langue corse dans la société
Développer les médias en langue corse
Considérant la priorité donné à la langue corse dans le développement économique et culturel de l’île, il est naturel que les médias publiques deviennent monolingues, comme cela existe au Pays de Galles, ou bien en Catalogne et au Pays Basque. Cela se motive à la fois par les objectifs inhérents à la politique de revitalisation linguistique, mais aussi au regard de l’offre médiatique. Quiconque souhaitant disposer d’informations ou de divertissements en français est libre de se diriger vers d’autres services, ce qui est impossible pour le corse. Il s’agit là d’une péréquation du temps d’antenne. Au-delà de la nécessité d’équiper la langue et de produire des dictionnaires, traducteurs, manuels et méthodes d’apprentissage innovantes, gratuites et disponibles sur différents supports, la CTC doit soutenir et impulser l’adaptation des logiciels, moteurs de recherche et applications d’usage courant en langue corse en proposant une programmation pluriannuelle et en soutenant la création d’entreprise nouvelle ou le développement d’entreprises existantes en partenariat avec l’Université et l’ADEC.
Développer les opportunités d’usage dans la vie publique
C’est parce que l’enseignement est le pilier de la politique de revitalisation linguistique que l’on a parfois tendance à imaginer que l’enseignement de la langue corse suffit à soustraire la menace et développer ultérieurement son usage dans la vie publique. Il s’agit en réalité d’une méprise importante et si en dépit des a priori, il est aisé de porter quiconque vers une bonne maîtrise de quelque langue que ce soit[2], il est plus difficile de faire en sorte que son usage devienne naturel et spontané.
C’est à la pratique normalisée dans la vie publique que l’on mesure l’efficacité des politiques publiques. Cela prend certes du temps, mais les expériences basques, catalanes et galloises pour ne citer qu’elles ne sont pas sans intérêt. Il apparaît en premier lieu que les institutions publiques ne peuvent à elles seules redynamiser un environnement linguistique. Elles impulsent les politiques publiques et c’est par leur détermination et leurs moyens qu’elles acquièrent de la crédibilité et de l’efficacité. A ce sujet, la démarche visant à promouvoir la Charte de la langue corse manque de visibilité avec moins de 100 signataires en 5 ans alors même que toutes les institutions publiques et privées de l’île sont susceptibles de la signer ! Parmi les signataires, combien appliquent réellement leurs engagements ? À quel niveau ? Sont-ils suivis, accompagnés et contrôlés ? Où en est le projet de création des Case di a lingua ? S’il a fallu 5 ans pour ouvrir une Casa, faudra-t-il attendre encore 50 ans et l’an 2062 pour aboutir à l’installation des 10 Case prévues par le Plan 2007-2013 ?
Ce bref panorama de la situation du corse montre à la fois combien sont importantes les menaces et les discriminations qui pèsent au quotidien sur notre langue, mais également les enjeux et les opportunités qui s’offrent à nous dans les mois et les années à venir. Pour l’heure, tout reste possible et nul ne peut présager de l’avenir de notre langue. Pour peu que chacun apporte sa contribution à cette entreprise collective, ce bien immatériel par lequel les Corses s’identifient, se représentent et se projettent pourra non seulement être sauvé, mais plus encore, participer par l’épanouissement de notre peuple.
Question posées par l’AILCC
- 1. Vous prononcez-vous pour un statut de co-officialité de la langue corse ?
C’est à l’initiative d’une motion déposée par Corsica Libera que l’assemblée de Corse s’est prononcée en faveur de la coofficialité de la langue corse. Nous y sommes très attachés. Il s’agissait de l’une de nos 5 priorités lors de notre candidature en 2010. Pour ces élections législatives, l’élection d’un député de Corsica Libera permettra de relayer cette revendication au Parlement afin qu’il vote en faveur d’une révision constitutionnelle.
2. Etes-vous favorable à l’application de la feuille de route concernant la langue corse récemment proposée à l’Assemblée Territoriale de Corse et votée à une très large majorité par celle-ci ?
La feuille de route présentée en juillet 2011 n’a pas été soumise au vote des élus. Seule la motion déposée par Corsica libera au sujet de la coofficialité a été adoptée par une très large majorité.
3. Si ce n’est le cas, vous prononcez-vous pour une généralisation de filières bilingues dans le cadre de l’Education Nationale et, si oui, quels moyens envisagez-vous de mettre en œuvre pour y parvenir ?
—
4. Quelles actions comptez-vous mener en faveur de notre langue si vous êtes élu à l’Assemblée Nationale ? Comptez-vous œuvrer, notamment, pour que soit amendé – voire supprimé – l’article 2 de la constitution qui empêche toute évolution significative ?
Nous y avons largement répondu ci-dessus. Notre engagement depuis de nombreuses années sur ce sujet atteste de son caractère fondamental et prioritaire.
5. Etes-vous prêt à signer la charte des langues minoritaires à son degré le plus élevé ?
Nous ne voyons aucun obstacle à la ratification de cette Charte dont la France a signée quelques articles depuis près de 15 ans. Néanmoins, l’apparition de nouveaux espaces d’expression datent ce cadre juridique qui a aujourd’hui 20 ans. Il nous appartient donc d’en élaborer un nouveau plus pertinent qui tienne véritablement compte de la réalité langagière contemporaine afin de donner aux corsophones et à ceux qui aujourd’hui ne le sont pas, les compétences linguistiques, les moyens juridiques ainsi que les opportunités d’expression, de s’exprimer en langue corse dans toutes les situations de la vie privée et publique.
[1] Lorsqu’il atteint ce niveau standard de maîtrise avancée de la langue cible, le locuteur peut comprendre le contenu essentiel de sujets concrets ou abstraits dans un texte complexe, y compris une discussion technique dans sa spécialité. Il peut communiquer avec un degré de spontanéité et d’aisance telle qu’une conversation avec un locuteur natif ne comporte de tension ni pour l’un ni pour l’autre. Il peut s’exprimer de façon claire et détaillée sur une grande gamme de sujets, émettre un avis sur un sujet d’actualité et exposer les avantages et inconvénients de différentes possibilités. Il s’agit du 4e niveau de compétences sur une échelle en comptant 6.
[2] Par exemple, les footballeurs jouant à l’étranger parviennent tous à apprendre la langue du pays dans lequel ils s’expatrient.
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