Cette seconde semaine de procès a martelé une évidence: il faut une reconstitution ! Et pas un simple déplacement sur place, une vraie procédure, avec balisticiens, légiste, témoins, protagonistes afin de confronter les éléments matériels de l’enquête. «C’est capital pour la manifestation de la vérité» a plaidé une nouvelle fois la défense. Et pour la première fois depuis 8 ans de tourmente judiciaires pour Yvan Colonna, elle semble être entendue..
La Cour a accordé l’organisation d’une reconstitution. Elle aura lieu au début du mois de juin. Probablement autour du 6.
Nous poursuivons nos comptes-rendus, jour après jour, des moments les plus forts du procès.
9 mai. La balistique a besoin d’une reconstitution
Quelle taille avait le tireur ? «équivalente à celle du préfet» avait dit le Dr Marcaggi en 2007, médecin légiste qui a examiné le corps du préfet. Aussi, lors du procès en appel, en 2009, la défense avait cité un expert balisticien audodidacte, Aurèle Mannarini, qui avait confirmé ces affirmations sur la base d’une analyse des éléments d’enquêteet notamment le point fixe d’un impact de tir dans le mur surplombant le corps de la victime et les trajectoires de tirs.
Les sarcasmes, pour le discréditer, de la Cour et de la partie civile avait poussé à bout le témoin. Cette attitude anormale est d’ailleurs ce qui a valu la cassation du procès en appel. La défense a donc cité cette fois-ci un expert agréé auprès des tribunaux, Jean Claude Schlinger.
Tandis que la partie civile citait son propre expert (non agréé par les tribunaux), Pierre Laurent.
Jean Claude Schlinger a conclu à trois tirs mortels sur cinq, des trajectoires de tir descendantes, un positionnement du tireur sur la même marche que la victime, en retrait, à l’arrière. Il avance aussi une chronologie: deux premiers tirs pratiquement équivalents, à bout portant, et un dernier tir à bout touchant. Enfin, un scénario: le préfet est assailli par deux hommes dont l’un fait feu à deux reprises sans l’atteindre, il tente de leur échapper dans un réflexe se courbe en avant, est atteint par deux balles mortelles quasi identiques, un dernier tir l’atteint quand il est au sol. Et une affirmation: l’impossibilité d’un tireur de 1m70 pour des tirs distants de 70cm.
Selon la défense, ces conclusions coïncident parfaitement avec la configuration des lieux (déclivité de la rue), les témoignages oculaires de la scène (deux tirs puis deux tirs rapprochés puis un dernier / deux hommes / un tireur grand); mais aussi avec les constatations chimiques de l’examen du manteau de la victime (tir à 70cm), les constatations médicolégales des blessures (entrées circulaires, deux tirs à bouts portant + un tir à bout touchant); les applications géométriques des premières constatations balistiques (trajectoires des balles et point fixe de l’impact dans le mur, tirs à 70 cm).
Mais pour l’expert de la partie civile Pierre Laurent, la chronologie des tirs n’est pas la même, et la taille du tireur ne s’évalue donc pas de la même façon. Selon que le premier tir est le dernier ou vice-versa, la taille du tireur peut s’évaluer entre 1,70m et 1m,80… Cette audience a donc martelé une évidence que ne cesse de revendiquer la défense depuis 7 ans: il faut une reconstitution !
10 mai. Aucun témoin ne reconnaît en Yvan Colonna le tireur
Joseph Colombani attendait le préfet au moment des faits. Il a vu la scène sans comprendre à ce moment-là qu’il s’agissait de lui. Il a vu deux agresseurs et décrit le tireur comme un «homme assez costaud», au «visage bien rempli», d’une «stature plus imposante» que le deuxième homme. Il ne se souvient pas du visage précisément, mais il affirme, comme il le fait depuis 7 ans qu’il ne reconnaît en Yvan Colonna le tireur. Il n’y a pas eu de «déclic» quand il découvre pour la première fois son visage à la télévision, pas plus quand il doit s’en expliquer devant les juges d’instruction, ni, à trois reprises, durant les trois procès où, à chaque fois, son témoignage restera le même.
C’est d’autant pénible pour lui et d’autant plus impossible d’imaginer une quelconque mauvaise foi, que Joseph Colombani était un ami du préfet assassiné.
Autres éléments important du témoignage de Joseph Colombani. Il a toujours décrit le tireur comme un homme grand, de 1m80 à 1m90. Sa description de la scène du crime fera dire Gilles Simeoni à la Cour qu’elle accrédite les dires du balisticien Jean Claude Schlingerqui affirme que les premiers tirs n’étaient pas des tirs à bout touchant, ce qui confirme encore la thèse d’un tireur de grande taille.
Deux scenarii s’opposent depuis le début. Celui de l’accusation donne trois hommes sur les lieux. Celui de la défense se réfèrent à tous les témoignages recueillis sur place: deux hommes. Les témoins n’ont jamais vu que deux hommes. Et, malgré les pressions des enquêteurs pour les faire varier de cette affirmation, ils n’ont eu de cesse de le répéter.
Ainsi Marie-Ange Contard est la seule à avoir pu dévisager le tireur, distant de quelques mètres seulement alors qu’elle passait en voiture à sa hauteur et qu’il venait de tirer. Croupière de son métier, elle est réputée physionomiste et n’a jamais varié dans sa déposition: un homme «entre 35 et 40 ans», le corps «sec et nerveux», les cheveux mi-longs «en dessous des oreilles», «blonds cendrés s’approchant du châtain», non grimé, les traits fins, la bouche «fine et étirée», le «menton pointu vers le bas», les «yeux petits» mais «le regard perçant»… Elle devient alors le «témoin n° 1» et est l’objet de tous les égards par les enquêteurs. Elle innocente les deux Maghrébins arrêtés à tort dans les premières heures de l’assassinat. Elle permet d’établir un portrait-robot de l’assassin. Durant un an elle sera entendu 8 fois par les enquêteurs. Jusqu’à l’arrestation du commando.
Après, elle devient suspecte. Elle est mise sous surveillance et a l’impression d’avoir dit «ce qu’il ne fallait pas dire»… se plaint de l’agressivité des policiers envers elle. Etrangement, elle ne sera pas confrontée aux membres du commando, ni à Yvan Colonna. «Être le témoin n° 1, c’est très lourd» avoue-t-elle à la Cour en racontant comment sa vie a été bouleversée par toute l’affaire. «J’ai toujours été formelle, ce n’est pas Yvan Colonna que j’ai vu ce soir-là, ce n’est pas lui».
Tous les autres témoins de cette soirée tragique attestent aussi n’avoir vu que deux hommes sur les lieux. Et s’ils ont du mal à s’entendre sur la taille du tireur, ils sont tous catégoriques : ce n’est pas Yvan Colonna qu’ils ont vu ce soir-là.
11 et 12 mai. Le mystère Vinolas
Il avait affirmé en 2009 que des membres du commando étaient toujours dans la nature. Qu’il l’avait fait savoir à différentes hiérarchies et qu’il n’avait pas été entendu. C’était un des incidents du procès en appel: le président de la Cour, également saisi, avait fait état de ce témoignage à l’accusation mais pas à la défense… Didier Vinolas a réitéré ses propos le 11 mai, puis, de nouveau entendu, le 12 mai. Il révèle ce qui saute aux yeux de tous dans cette affaire, quelles que soient les parties: Cour, défense ou accusation. À savoir, énormément de monde s’est impliqué dans cette enquête, sans pour autant collaborer, voire même en se livrant à une compétition préjudiciable à l’enquête: gendarmerie, police judiciaire, Division Nationale de l’anti-terrirorisme (Roger Marion), Renseignements Généraux (Bernard Squarcini et Battesti), Parquet de Paris (les juges Levert, Thiel et Bruyguière), Bernard Bonnet… Une rivalité des services qui a fait beaucoup de victimes collatérales et laissé énormément de zones d’ombre. Alors on peut raisonnablement supposer que lorsque l’occasion d’échapper à tout ce gâchis se présente à travers la mise en cause d’Yvan Colonna, c’est là un échappatoire qui a convenu à tout ce beau monde! Une camionnette blanche garée devant le théâtre, obligeant Madame Erignac à la contourner lorsqu’elle arrive pour assister au concert peu avant son mari. Une 205 blanche aussi qui démarre en trombe, et dont on s’apercevra par la suite qu’il s’agissait d’une fausse plaque d’immatriculation, l’empreinte non identifiée dans la procédure de Petrusella,… À toutes ces zones d’ombres, on doit ajouter aussi les éléments matériels et les témoignages qui contredisent les déclarations des membres du commando et qui n’ont pas été vérifiées et confrontées à ceux-ci.
Plus on avance dans le procès, plus se confirme ce que la défense ne cesse de dénoncer depuis 8 ans : les enquêteurs, comme les juges d’instruction, ont bâti un scénario à partir des déclarations contradictoires des membres du commando et s’y sont tenus envers et contre tout.
13 mai. Enquête sale réclame reconstitution !
Toute cette seconde semaine aura été un appel indirect mais tellement évident à la nécessité d’une reconstitution. La fin de semaine a confirmé les dérives de l’enquête à travers le témoignage de Démétrius Dragacci, ex-directeur du SRPJ d’Aiacciu. Le Figaro, sous la plume d’un chroniqueur de procès réputé, Stéphane Durand-Soufflant,commente «Me Dupond-Moretti l’oblige à faire visiter à la cour les coulisses peu reluisantes de l’enquête: rivalités policières de caniveau, création d’un «dossier-poubelle» – l’expression est du témoin -, sous la forme d’une procédure-bis destinée à ratisser plus large sans être gêné par la défense qui n’y a pas accès, coups tordus en tout genre aux forts relents d’égout judiciaire…»
En fin de journée la défense plaide une nouvelle fois pour l’organisation d’une reconstitution, acte «capital pour établir la vérité».
Si Yvan Colonna craignait d’être confondu par les éléments matériels de l’enquête auxquels il ne pourrait échapper, pourquoi s’obstinerait-il à réclamer cette reconstitution depuis le début de sa mise en cause ?
Ce lundi, la Cour ouvrait la possibilité… qu’elle confirmait en fin de journée : la reconstitution aura bien lieu ! Peut être un tournant dans la tourmente judiciaire d’Yvan Colonna.
Plus de détails sur le déroulement du procès : www.yvan-colonna.com