(Unità Naziunale – I Scrianzati – Publié le 21 mars 2021) Y avait-il vraiment matière à baptiser intempestivement le moment « d’historique » ou qualifier le processus de « sans précédent »?
« Historique »? Parce qu’entre l’histoire et l’actualité, il existe une nuance déterminante que la vieille mémoire militante entend rappeler en toute humilité. C’est « l’après », et seulement « l’après » qui pourra juger et qualifier la séance.
Car, pour l’heure, les seules références renvoient de manière intangible à toutes ces séquences passées d’un rapport de force permanent, parfois douloureux ou tragique, entre la Corse et Paris.
« Sans précédent »? D’amnisties des prisonniers politiques successives à l’avènement du statut particulier de l’île, dans les années 80, jusqu’à l’entame du processus Matignon, au début du 21ème siècle, le mouvement national a toujours porté ses revendications majeures au coeur du pouvoir étatique, notamment à la veille d’élections françaises.
Sortie de crise et intentions de l’Etat? En missionnant son ministre de l’intérieur, l’objectif premier était de circonscrire en priorité un possible embrasement du climat politique. L’évolution « programmée » et quasi « promise » par les mots d’un compte-rendu officiel non validé par l’opposition nationaliste, relève en l’état, volens nolens -, du spéculatif et de l’aléatoire.
Pendant ce temps, la Corse attend toujours fermement des réponses et des actes forts, au-delà même des trois revendications majeures du collectif initié par la jeunesse étudiante corse, un soir du début mars à l’Università di Corsica.
Dans ce contexte, les deux discours simultanés d’un État en campagne, d’Aiacciu à Aubervilliers, de Darmanin à Macron, ont fini d’alerter sur les limites de ses intentions réelles, à travers une définition de l’autonomie bornée de préalables et de frontières idéologiques préconisant l’abandon pur et simple du marqueur premier de notre identité.
En enfermant délibérément la langue corse dans le tiroir des tabous, Macron, fidèle à son discours du 8 février 2018 à Bastia, semble la condamner sans rémission.
S’il s’avère qu’un élu nationaliste ne défende ce point, cela constituerait au regard de notre combat une faute politique inqualifiable.
D’abord parce qu’il connait le contenu des statuts politiques des nations sans états ou régions d’Europe qui gèrent la coofficialité linguistique sur leur territoire.
Car comment les corses peuvent-ils imaginer une dévolution d’un pouvoir, décentralisé, autonome, voire même souverain, à quelque degré que ce soit, sans reconnaissance officielle du statut de leur langue ?
Au terme de 50 années de lutte, du Riacquistu à l’accession aux responsabilités du mouvement national, ghettoiser « a lingua di tutti, una lingua per tutti », la réduisant à une simple discipline scolaire, est proprement rédhibitoire.
Lorsque tout un peuple aspire à l’avènement d’une société biplurilingue, la langue est consubstantielle d’un règlement politique.
Adieu coofficialité ? Adieu reconnaissance du Peuple Corse? Mais de quelle « autonomie » croupion veut-on habiller ce pays? Quelle place et quel rôle pour le mouvement national dans cette négociation?
Comment enclencher en l’état un processus politique, efficient et pérenne, de discussions avec l’Etat de l’après-législatives, où puissent in fine se retrouver officiellement les aspirations et les fondamentaux hérités d’une lutte multiséculaire?
Dans l’attente, que le peuple corse fasse en sorte, face à l’Etat et à tous les tenants du renoncement, que ses dernières démonstrations de force soient les armes du combat d’une conscience nationale en route vers l’autodétermination.
Curagiu è forza à Yvan ! Eviva a libertà di sempre !
Saveriu Luciani
Un printemps corse en question(s)?