Le 23 mai 2010 [mise à jour : 08h00+10h30] : (Unità Naziunale, www.unita-naziunale.org – Corse – Lutte de Masse – Répression) Depuis le 19 mai, Patrizia Gattaceca, Marc Simeoni, Claude Serreri, André Colonna d’Istria et Frédéric Paoli comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris, soupçonnés d’avoir, à des titres divers, porter secours à Yvan Colonna durant sa fuite
.Étrange procès.
Il suffisait d’assister à l’ouverture de celui-ci pour mesurer le fossé d’incompréhension de part et d’autre de la Méditerranée. Déjà, l’énoncé – lourd – des chefs d’inculpation plante le décor avec une qualification de «terroriste» déclinée en autant de méfaits à mille lieux de la personnalité des accusés !
Cinq personnes qui à elles seules représentent une partie du microcosme de notre société, une artiste, enseignante de son métier, un consultant en management, un cuisinier, un professionnel du tourisme et un berger. Cinq personnes sans histoire avec la justice, rayonnant chacun dans leur environnement, largement appréciés de leur entourage, le regard incrédule, ayant bien du mal à comprendre comment ils se trouvent réunis devant un tribunal à risquer jusqu’à 10 ans d’emprisonnement… Un décalage qui laisse un sentiment de malaise même pour qui ne connaît pas les prévenus. Étrange aussi l’organisation même du procès où comparait Yvan Colonna, condamné à la prison à vie, et que l’on juge à nouveau, en même temps que les 5 prévenus, pour avoir trouvé une grenade défensive tout au fond d’un sac, au moment de son arrestation !
Étrange encore la manière d’organiser les débats. En deux temps, les 19, 20 et 21 mai, puis, après une interruption de quatre jours, les 25, 26 et 27 mai… et seulement pour des demi-journées, alors que les débats auraient certainement pu être resserrés !
Étrange enfin le contexte même du procès. Après celui en appel d’Yvan Colonna, qui, bien que l’ayant condamné, a jeté un trouble important dans l’opinion et parmi les observateurs médiatiques, tant les dérives et les abus de la police et de la justice antiterroristes ont été révélés au grand jour (relire le rapport de la Fédération International des Droits de l’Homme !). Dans l’attente surtout du pourvoi en cassation d’Yvan Colonna, dont le délibéré devrait tomber à la fin du mois de juin. Au risque donc de condamner les prévenus pour avoir receler… un innocent ! À quoi bon donc ce procès, plus de 7 ans après les faits ? Veut-on peser sur ce pourvoi ? Apporter la démonstration que tout un peuple était derrière lui, et qu’il faut donc encore sévir ? Veut-on démontrer que la «chasse à l’homme» tous azimuts sur l’ensemble du peuple corse (plus de 340 interpellation, des mois de préventive pour rien pour plusieurs personnes) était justifiée après l’assassinat du préfet Erignac ? Veut-on camoufler ainsi les dérives de cette justice d’exception en affirmant qu’il existait des réseaux organisés pour défendre Colonna ? La première journée à laquelle nous avons pu assister a plutôt «dégonflé» l’accusation.
Où sont les terroristes ?
La grenade défensive ? Elle était enveloppée «dans du papier genre sopalin» dira la juge, puis mise dans un sac, lui-même au fond d’un autre sac… Idem pour le chargeur sans pistolet. La présidente du tribunal elle-même reconnaît que ces «armes» n’étaient pas prêtes à l’emploi. Ce qui rend plus que plausible l’explication que donne Yvan Colonna. Pour la grenade «c’est un vieux militant gaulliste qui me l’a donnée, il a tellement insisté que je n’ai pas voulu lui faire de peine, je l’ai prise et je l’ai mise au fond de mon sac. Je comptais m’en débarrasser mais je l’ai oubliée par la suite.». Pour le chargeur, il a refusé l’arme et les deux chargeurs qu’on a voulu lui donner aussi. Lorsque la personne est partie, elle a oublié l’un de ces chargeurs. Yvan Colonna dit l’avoir conservé pour le lui rendre.
Il était un homme en fuite, aidé au gré de ces déplacements par les gens qui l’accueillaient, «pas tous des nationalistes. Frédéric Paoli est d’une famille de droite» dit-il. Celui-ci confirmera à la barre qu’il n’est pas nationaliste. Les cagoules ? «Des passe-montagnes pour ne pas me faire reconnaître des autres membres de la famille quand j’étais accueilli chez des gens». Les radios émetteurs ? « Ça ne passait jamais en montagne»… La présidente reconnaît que c’est du vieux matériel pas très efficace. La caméra ? «C’était pour regarder mon fils sur les cassettes que l’on m’envoyait». La présidente confirmera que c’est bien les images qu’on a retrouvées sur ces cassettes…
Yvan Colonna affirme qu’il n’y avait pas de réseaux, qu’on lui a ouvert la porte par pure hospitalité, mais que les gens avaient peur de la police, et que donc il ne restait pas longtemps. Souvent, c’était des personnes sans moyens, l’argent qu’on a trouvé sur lui était destiné à soutenir les familles qui l’aidaient.
Il explique aussi sa fuite, l’article de presse «Wanted, tueur de préfet», le contexte au règlement de compte, et la peur de se rendre: «Le juge Thiel avait dit qu’il voulait me régler mon compte». Très vite, il s’est trouvé prisonnier de sa fuite et du contexte de plus en plus lourd de «chasse à l’homme» qui s’amplifiait.
Une situation que tous ceux qui l’ont accueilli ont ressentie comme injuste. Ils ont agi par humanisme, convaincus de l’innocence d’Yvan Colonna, comme l’a réaffirmé Frédéric Paoli le 19 mai. «Je l’ai cru innocent, je le crois toujours innocent. Je l’ai vu fatigué, aux abois, j’ai accepté de l’héberger par humanité»…
C’est dans ce même état d’esprit que tous se sont exprimés durant les premiers jours de ce procès*.
«J’ai désobéi à une loi, mais j’ai aussi obéi à une autre loi : celle du devoir d’entraide, d’hospitalité et de solidarité» a confié Patrizia Gattaceca à quelques jours du procès. «Ce n’est pas exclusivement une valeur corse. Ça s’inscrit dans le respect de principes forts, comme la présomption d’innocence. En fait, je pense avoir rétabli une sorte d’équilibre, puisque Yvan était déjà présenté comme coupable par Nicolas Sarkozy avant même d’être jugé, lâche Patrizia Gattaceca. Ces principes-là, on me les a inculqués depuis ma plus tendre enfance. Chez mes parents, il y avait toujours « l’assiette en plus », pour le vagabond ou le voyageur de passage.»
Yvan Colonna a toujours clamé son innocence. On reste dans l’attente de la décision de la Cour de Cassation à propos de sa condamnation en cour d’Appel.
* Marc Simeoni nie avoir hébergé Yvan Colonna. L’appartement où il l’aurait hébergé selon l’accusation, il y vivait avec sa femme. Il dispose d’une grande véranda. Les voisins n’y ont jamais vu que le couple. Comment pouvait-il y héberger l’homme le plus recherché de France ? La carte bleue avec laquelle des achats pour Yvan Colonna auraient été effectués : « Si j’en avais eu l’idée, je n’aurais pas utilisé ma carte bancaire. Toute cette histoire est une contstruction destinée à impliquer mon père. Le lieutenant me l’avait dit lors de mon interpellation : « Ton père, c’est un gros morceau, je vais me le faire » »
Marc Simeoni, fils d’Edmond, frère de Gilles… la tentation est grande en effet de porter un coup à la fois à la défense d’Yvan Colonna, à la fois à une figure du nationalisme modéré dans l’île.