(Unità Naziunale Publié le 20 mars 2020 à 13h02) La France s’apprête à réduire le dépistage du coronavirus à des cas limités.
Cette décision est contraire à l’attitude de tous les pays ayant eu à ce jour des résultats positifs dans leur lutte contre l’épidémie, ainsi qu’aux préconisations de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Or, la doctrine française est prétendument fondée sur un conseil scientifique dont le Président demandait pourtant hier soir sur France 2 la massification des tests ! La décision de réduire les tests constitue manifestement une lourde faute alors que de l’avis général, il faudrait leur donner un caractère massif. La Corse ne peut, dans une situation de cette gravité, être soumise à des décisions incompréhensibles prises à Paris ne prenant en compte ni le caractère aigu de la contamination sévissant dans l’île, ni l’avis des institutions internationales.
J’ai écrit en ce sens au Préfet de région, puis au Directeur Général de l’Organisation Mondiale de la Santé.
PJ : courrier au Directeur Général de l’OMS
Ogettu : Carences de l’Etat français dans la lutte contre le Covid-19 en Corse
Monsieur le Directeur général de l’Organisation Mondiale pour la Santé,
La Corse est devenue un des principaux foyers de l’épidémie de Covid-19 en Europe, juste derrière l’Italie. Avec le plus fort taux de létalité sur le territoire dit métropolitain, déjà 8 décès pour 340 000 habitants au 19 mars 2020, et malgré les mesures actuelles de confinement, le dispositif de lutte contre le virus demeure partiel. Ainsi, la menace de propagation sur l’ensemble de l’île est aujourd’hui considérable.
L’insularité aurait dû être une première barrière, or il nous a fallu attendre le 17 mars 2020 pour que l’Etat français autorise la restriction des flux de passagers depuis la France et l’Italie aux seuls flux médicaux d’urgence, alors même que tous les Etats avaient déjà fermé leur frontière avec l’Italie. Touchée de façon plus précoce et de façon plus virulente par la crise, la Corse s’est vue appliquer par la France les mêmes mesures que sur l’ensemble de son territoire, au risque de mettre en danger la vie des Corses.
Depuis le début de la crise, malgré le retour d’expérience de l’Italie, les autorités de l’Etat, qui disposent des compétences relatives à la santé publique et aux transports, poursuivent l’évènement avec 15 jours de retard, sans application aucune du principe de précaution et des préconisations de l’OMS. J’en tiens pour exemple le maintien des élections municipales le 15 mars dernier, alors même que nous appelions chaque jour à respecter les gestes barrières, des consignes de distanciation sociale et de confinement et que nous saisissions en ce sens les autorités de l’Etat. À titre d’exemple, l’Assemblée de Corse avait décidé, dès le 6 mars, d’appeler les candidats à l’annulation de tous leurs meetings, ce en quoi elle fut relativement entendue.
Avec 94 000 personnes de plus de 60 ans, soit 29% de la population, de nombreux ruraux, 35% de résidences secondaires qui accueillent de nombreux réfugiés sanitaires qui risquent d’importer de nouveaux cas, de propager la contamination, et qui le moment venu, surchargeront encore notre système de santé déjà fragilisé par un sous-développement ancien, la Corse semble particulièrement vulnérable.
Pour une population de 340 000 habitants, avant la crise, notre île disposait seulement de 18 lits de réanimation, soit un des plus faibles ratios d’Europe. Nos personnels soignants, mais également d’autres corps de métiers potentiellement exposés sont de surcroit démunis en masques et en matériel de protection. Bien que les Corses fassent témoignage de façon quotidienne de leur solidarité avec les soignants, nombre d’entre eux ont déjà contracté le virus au cours de leur activité professionnelle. Faute de place dans les hôpitaux, les futurs malades devront être pris en charge sans dépistage systématique. Certains médecins présentant de sérieux symptômes se voient même refuser un test au risque de contaminer leurs patients.
La doctrine française en matière de lutte contre le Covid-19, déjà défaillante depuis le début de la crise, de l’aveu même de l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn et de nombreux experts, va accentuer les risques car il ne sera plus procédé aux tests de dépistage, allant en cela à l’encontre de vos préconisations lorsque vous déclarez que « la pandémie de Covid-19 ne pourra pas être stoppée si l’on arrive pas à savoir qui est infecté par le virus ».
Le dépistage massif apparait en effet comme une mesure fondamentale dans la lutte contre la propagation du virus. Partout où il est employé, Corée du Sud, Allemagne, Israël, il permet de réduire de façon drastique le nombre de décès et l’impact socio-économique de l’épidémie. Malgré les promesses de l’Etat, la Corse a attendu le 9 mars pour pouvoir réaliser une partie des dépistages sur l’île, l’autre partie étant encore à ce jour envoyée sur le continent, engendrant en cela d’insoutenables délais dans l’obtention des résultats au regard de la vitesse de propagation du virus. À ce jour, l’Etat annonce qu’il réservera les tests aux malades présentant des symptômes avancés. Cette doctrine à rebours des préconisations des meilleurs spécialistes mondiaux comme de votre organisation n’est pas de nature à assurer la protection des Corses.
Enfin, au regard des données présentées par votre organisation, comme par les experts scientifiques, il apparaît que suite aux mesures déjà prises dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, la mauvaise gestion de cette crise engendre dès à présent de nouvelles mesures de restriction des libertés individuelles mettant en cause les principes fondamentaux de la démocratie.
Il était de ma responsabilité, en qualité de Président de l’Assemblée de Corse, de vous alerter afin que toutes les mesures nécessaires à la protection des Corses soient mises en oeuvre sans plus attendre.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur général, l’expression de ma haute considération.
Jean-Guy TALAMONI
à
Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus
Directeur général de l’OMS
Avenue Appia 20
1202 Geneva
Suisse
Copie : Monsieur Edouard Philippe, Premier ministre