Jean-Marc Raffaelli, grand reporter à Corse-Matin, a été grièvement blessé lors de l’effondrement de la tribune Nord du stade Armand-Cesari de Furiani, il y a exactement 20 ans. Il raconte.
Jean-Marc Raffaelli est l’une des « plumes » de Corse-Matin. Il y a 20 ans, alors au service des sports du quotidien insulaire, il se trouvait dans la tribune nord d’Armand-Cesari, dans la commune de Furiani, le stade du Sporting Club de Bastia, le jour où cette tribune s’est effondrée. Avec deux vertèbres brisées, il a été arrêté durant un an. Il revient pour nous sur cet événement tragique – 18 morts et 2357 blessés – qui a profondément marqué la Corse.
FRANCE-SOIR. Quelle était l’ambiance lors de l’avant-match Bastia-Marseille, en demi-finale de Coupe de France, ce 5 mai 1992 ?
Jean-Marc Raffaelli. Je me souviens d’une effervescence folle. Ce jour-là, je me trouvais dans la tribune pour couvrir le match. Mais toute la rédaction de Corse-Matin était mobilisée, tant ce match était important. Récemment, Frédéric Antonetti (ndlr : ancien coach du SC Bastia et actuel entraîneur du Stade Rennais) a dit que la catastrophe de Furiani était un drame de la misère. Pour moi, il a raison. Et on en voit toujours les traces : 20 ans plus tard, l’AC Ajaccio est en L1, le SC Bastia y revient, le GFCO Ajaccio va monter en L2, et leurs stades ne sont pas conformes et bénéficient de dérogations. C’est un vrai problème.
F.-S. A quoi ressemblait l’ancien stade Armand-Cesari ?
J.-M.R. A l’époque, il ne ressemblait à rien. Les dirigeants s’étaient dit que, face à l’engouement, il fallait remplacer l’ancienne petite tribune nord. Ce n’étaient que quelques gradins, 600 places seulement. Il arrivait même que des gens montent sur le toit pour mieux voir le match : c’est dire à quel point c’était dangereux. C’est ainsi que les anciens dirigeants du club ont voulu monter une tribune provisoire pour cet événement exceptionnel qu’était la Coupe de France. Les collectivités se sont vues forcer la main pour accélérer les travaux et faire une « vraie » grande tribune, à la place de l’ancienne.
F.-S. Etait-ce une question d’argent ?
J.-M. R. Pour moi, non. J’étais dans le bureau du président de l’époque, Jean-François Filippi (ndlr : mort assassiné peu avant le procès du drame), en compagnie de Bernard Tapie, l’ancien président de l’OM. Tapie lui avait proposé d’accueillir le match au Stade Vélodrome et de donner au club de Bastia l’intégralité de la recette. C’était beaucoup plus d’argent que le SCB ne pouvait espérer en accueillant le match en Corse. Mais l’engouement était tel, dans l’île, que Jean-François Filippi a refusé. J’ai trouvé que beaucoup de contre-vérités ont été dites après coup. A l’époque, la guerre entre nationalistes débutait tout juste et la presse continentale a mélangé beaucoup de choses. L’ancien président n’était pas un nationaliste, par exemple. Il était maire RPR d’un village corse, c’était un gaulliste.
F.-S. Vous rendiez-vous compte que cette tribune montée à la hâte présentait des risques d’effondrement ?
J.-M. R. Mon beau-père, qui était plâtrier, avait sa place dans la tribune d’en face. Il me disait « Jean-Marc, ne monte pas sur cette tribune, elle ne tiendra pas !« . Mais nous étions aveugles. Personne n’a fait attention. Pourquoi mon beau-père a-t-il vu tout ça alors que de nombreux experts sont venus inspecter les travaux, sans rien noter de particulier ? Il faut dire aussi que, par la faute d’une grève de la SNCM (ndlr : société de transport maritime, service public), des matériaux qui devaient servir à finir la tribune sont restés sur le continent…
F.-S. Puis, quelques minutes avant le début du match, la tribune s’effondre. Quelles sont vos sensations à ce moment-là ?
J.-M. R. Comme les autres journalistes, j’étais installé au dernier rang. Derrière nous, c’était le vide. J’ai fait une chute de onze mètres, j’ai eu deux vertèbres fracturées et un an d’arrêt de travail. Mais je n’ai pas été traumatisé outre-mesure. J’étais cloué au sol, conscient, et je ne voyais que ceux qui passaient dans mon champ de vision. D’autres ont été moins grièvement blessés mais ils ont tout vu, les corps, les blessures… J’ai été évacué sur un panneau publicitaire en guise de civière puis évacué vers l’aéroport dans un camion à pizza. La chose qui m’a le plus choqué ? Quand j’étais au sol, mon ami Michel Vivarelli, reporter à RCFM, me demandait comment j’allais. Le lendemain, à l’hôpital, près de Marseille, j’ai appris sa mort. Une hémorragie interne l’avait emporté.
F.-S. Aujourd’hui, le Sporting club de Bastia remonte en L1, premier échelon professionnel en France, un signe 20 ans plus tard ?
J.-M. R. Lors du match face à Metz qui donne le titre de champion de L2, le public a été particulièrement respectueux. Les supporters ont déployé une banderole noire en signe de deuil. Les joueurs ont dédié ce titre aux victimes. C’est au niveau national que je suis plus choqué. Le football corse bataille depuis 20 ans pour que l’on déclare le 5 mai interdit au football professionnel, chaque année. Il a fallu beaucoup d’effort pour annuler tout match pro ce 5 mai 2012. Imaginez si un tel drame s’était produit au Parc des Princes ou au Stade de France, on n’aurait même pas posé la question…
F.-S. Que reste-t-il de cette histoire, 20 ans plus tard ?
J.-M. R. De la joie et de la douleur. Joie, car le club va remonter en Ligue 1. Je ne parle pas au nom de toutes les victimes, mais je crois que très peu se sont détournés du club. Il y a eu 18 morts, plus de 2300 blessés, mais le club est resté plus fort. Mais en Corse, ce drame reste très présent. La plupart des Corses connaissent, de près ou de loin, quelqu’un qui se trouvait dans cette tribune au moment de l’effondrement. Aujourd’hui, on peut regretter que le stade ne soit toujours pas achevé. C’est malheureusement emblématique de ce qui se passe dans l’île : tout prend du temps, et c’est bordélique.
Furiani, le livre.
L’union des journalistes de sport en France publie, à l’occasion du 20e anniversaire de l’effondrement de la tribune principale du stade Armand-Cesari, un livre à but caritatif. L’ouvrage retrace les faits et recueille de très nombreux témoignages. Prix : 15€. Les bénéfices iront à l’achat de lits médicalisés en Corse et en Provence. Site : www.ujsf.fr/
VIDEO DE LA SOIREE EN DIRECT LE 5 MAI 1992 A 20H20
« 20 ans déjà et pour beaucoup d’entre nous c’était hier »
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