#Corse #Furiani92 – Furiani 20 ans après: notre journaliste raconte [L’Express]

L’effondrement d’une tribune du Stade de Furiani le 5 mai 1992, avant la demi-finale de la Coupe de France entre Bastia et Marseille, a fait 18 victimes et 2357 blessés. Parmi ces derniers, Philippe Broussard, rédacteur en chef du service enquêtes de L’Express et alors reporter au Monde. Il raconte dans un livre de témoignages. Extrait. 

Une fois, une seule, j’ai voulu écrire sur Furiani. C’était à l’hôpital de Bastia, dans la nuit du 5 au 6 mai 1992. Il devait être une ou deux heures du matin. Allongé sur un brancard, avec l’interdiction d’essayer de poser le pied par-terre, j’ignorais encore la gravité de mes blessures. Mon dos était touché, je le savais, je le sentais. Mais à quel point? Le service de radiologie était saturé. Des cas bien plus urgents devaient être traités en priorité. Il ne me restait qu’à attendre, des heures durant, en redoutant le pire: la paralysie.

Aucun lit n’étant disponible, des infirmiers m’avaient installé sur ce brancard dès mon arrivée. Depuis, j’étais sans cesse déplacé d’un endroit à un autre: un couloir, un bureau, une salle d’attente. Partout, le même chaos, la même peur du lendemain. Les blessés affluaient par dizaines, certains si gravement atteints que je détournais le regard à leur passage, de crainte d’être traumatisé à vie. L’hôpital n’était plus que cris et larmes, et nous étions tous là, victimes, parents, personnel soignant, engloutis par cette nuit sans fin. Je serais bien incapable de dire pourquoi mais c’est à ce moment-là que j’ai voulu écrire un article pour mon journal, Le Monde. Faire mon métier, porter noir sur blanc l’horreur de cette soirée de printemps.

Tandis que les anti-douleur me plongeaient peu à peu dans un état second, ce projet est devenu une obsession. Une manière, surtout, de penser à autre chose qu’à un fauteuil roulant. Je devais, j’allais, écrire un « papier ».

Une infirmière a fini par me tendre une feuille et un stylo. J’ai rédigé une ligne, la plus belle qui soit pour un reporter: « De notre envoyé spécial ». Et puis, plus rien. Soudain prisonniers de ce corps en souffrance, les mots ne venaient pas, les images prenaient déjà le dessus, jouant et rejouant, jusqu’à la nausée, le film de cette maudite journée. Aujourd’hui encore, ces séquences visuelles demeurent les mêmes, des « flash » d’un clarté glaciale, à jamais mémorisés.

La montée vers les derniers rangs de cette tribune de bric et de broc. Les retrouvailles avec mes amis Gilles Verdez (Le Parisien), Jean-Marie Lanoë (France football), Vincent Alix (RMC).

Le craquement, la chute, la mort entrevue. Le silence des premières secondes. La stupeur dans les yeux de Gilles. Et cet amas de ferrailles, briseur de vies. L’attente, l’évacuation, à l’arrière d’un fourgon de police, le dos bloqué. La suite, c’est l’hôpital, et deux visages.

Le premier est celui d’une inconnue d’une cinquantaine d’années, sans doute corse. Elle émerge de la foule massée à l’entrée, et son regard plein de bonté croise le mien à l’instant où des infirmiers me transportent vers l’intérieur. En suivant le mouvement, elle me demande: « Je peux vous aider? Faut-il prévenir votre famille? ». Je lui laisse un numéro. Sans même connaître mon nom, elle téléphonera à mes proches pour leur dire cette simple phrase: « Le petit jeune homme est vivant ». Si elle lit ces lignes, qu’elle sache combien nous lui sommes reconnaissants.

L’autre visage est celui d’un interne. Corse, lui aussi. Penché vers moi alors que j’attends toujours de passer une radio, il me fait part de ses convictions indépendantistes et me lance en substance: « Ca me fait mal d’avoir à soigner un Français! ». Il y a de la haine et de la bêtise dans son regard. S’il lit ces lignes, qu’il sache que le temps n’a pas fait son oeuvre d’oubli, encore moins de pardon.

La nuit s’est éternisée. Au petit matin, un autre médecin, bien plus tolérant, m’a annoncé que je ne serai pas paralysé. Les radios, puis l’IRM, ont conclu à un déplacement du bassin, une blessure grave mais pas irréversible. Beaucoup ont eu moins de chance.

Dans les années suivantes, il m’est arrivé de croiser, dans des stades ou ailleurs, d’autres « survivants » de ce drame: Gilles, Jean-Marie, Vincent… Jamais nous n’avons évoqué, ou très peu, cette souffrance commune. Chacun l’a gardée pour lui, le plus souvent par pudeur, par respect pour les autres victimes. Malgré tout, Furiani est resté en moi, en nous. Jusqu’à cet article, enfin terminé.

Témoignage extrait de Furiani 20 anspublié par l’Union des Journalistes de Sport en France.

 

VIDEO DE LA SOIREE EN DIRECT LE 5 MAI 1992 A 20H20

« 20 ans déjà et pour beaucoup d’entre nous c’était hier »

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