En démocratie, le vote peut être le moyen d’exprimer une préférence. Mais trop souvent, il devient en fait un moyen pour exprimer un ressentiment. C’est tout particulièrement le cas de l’élection présidentielle qui fait disparaître tout lien de proximité entre le vote que l’on exprime et le candidat que l’on appuie. Les gens votent pour une abstraction davantage que pour une conviction.
L’abstraction à laquelle le vote en faveur de Marine Le Pen renvoie est celle du rejet, un sentiment pêle-mêle qui, dans chaque contexte, peut rassembler des électeurs aux situations très contradictoires. On y trouvera aussi bien le Rmiste en grande difficulté qui ne trouve pas d’emploi que le nanti qui veut ne plus payer d’impôt à la solidarité sociale. Pour l’un comme pour l’autre, un seul slogan : assez ! Et l’attirance pour le même vote : Marine Le Pen.
Ce rejet augmente avec la crise qui instille la peur du lendemain. Pour le Rmiste, c’est toujours moins d’espoir de s’en sortir, et, pour le nanti, toujours plus de crainte d’être ponctionné davantage. En votant l’extrême droite, ils ne votent pas pour une solution, ils votent pour être entendus. Il prolongent leur désarroi dans le bulletin de vote.
Les votes en faveur de Nicolas Sarkozy ou François Hollande sont aussi marqués par de tels choix basiques. On vote Sarkozy « contre l’aventure », et on vote François Hollande « pour le changement ». Leur statut de favoris leur permet de capitaliser sur ce choix binaire, qui, in fine, sera le choix du second tour. En fait la frontière est ténue, et le scepticisme est grand. Beaucoup votent Hollande mais ne croient pas vraiment à un changement, tandis que d’autres votent Sarkozy par pur atavisme conservateur, sans vraiment croire que le surplace puisse être une solution. En fait, la crise ébranle pour tous la confiance en l’avenir.
Du coup, l’attention apportée aux programmes devient très secondaire. Les corps constitués de la société -forces politiques, syndicats, lobbys, intérêts locaux, corporations, etc…- cherchent à peser sur la campagne en insistant sur leurs priorités pour qu’elles soient reprises par les candidats, mais cela ne joue qu’à la marge des comportements de leurs propres adhérents. La promesse électorale est devenue de la monnaie de singe. Un programme de qualité n’a pas plus de valeur électorale qu’un catalogue de vagues intentions. Le vote n’est pas ressenti comme un choix démocratique et conscient, mais comme le moyen d’exprimer un sentiment, ou, plus exactement, un ressentiment.
Dans cette machine à broyer, le rôle des médias est essentiel. Le candidat est passé au kärcher médiatique avec d’autant plus d’insistance qu’il résiste aux injonctions de la bien-pensance parisienne. Et il faut aussi s’interroger sur un tournant pris dans la gouvernance des médias français qui n’ont plus de valeur économique -ils sont tous en grande difficulté financière-, mais qui ont pour « sauveurs » les plus grands noms de la galaxie politico-financière : Bouygues, Dassault, Banque Lazard, Bolloré, Lagardère, etc…. Face aux grands enjeux de lobbying – et je pense tout particulièrement à l’accord entre socialistes et écologistes sur le nucléaire qui les a profondément contrariés-, les « patrons de presse » ont utilisé leur pouvoir médiatique pour déstabiliser la candidate Eva Joly, afin d’obtenir ensuite la déstabilisation de l’accord politique entre EELV et le PS.
Dans ce contexte général, le « vote corse » a lui aussi été dilué dans la grande lessiveuse présidentielle. Nous voilà « uniformisés » avec la Provence-Côte d’Azur : Sarkozy devant, Le Pen sur ses talons et le PS troisième. En Corse aussi tout se mélange dans le vote FN, du nostalgique de la CFR qui rêve d’un régime encore plus autoritaire et répressif en Corse, au nationaliste « de base » qui formule son vote pour Le Pen comme un bras d’honneur fait à l’establishment français. Malheureusement un point les unifie trop souvent : un racisme populaire qui envahit les « quartiers » comme les campagnes.
Les élections présidentielles successives ont des relents de plus en plus négatifs. Elles sont devenues un exutoire pour exprimer les rejets de toute une société. Dans ce jeu de massacre, l’extrême droite triomphe.
En fait, le régime présidentiel est l’exception française en Europe. Nulle part, la démocratie ne s’organise dans un tel barnum électoral au cours duquel les bêtes de scène écrasent la concurrence par la surenchère et la démagogie. Par temps calme, c’est sans grande conséquence. Mais alors que la tempête économique et sociale s’annonce, tout le débat est pollué par le populisme.
Le régime parlementaire, qui organise l’élection des gouvernants par l’Assemblée des députés, est la règle générale. Il est en vigueur en Grande Bretagne, en Espagne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, aux Pays Bas, etc…. Il n’évite pas la montée des populismes, mais il en freine la progression : voter pour une Marine Le Pen réputée « dédiabolisée » est une chose ; voter pour son représentant local, le plus souvent un illustre inconnu, est une autre paire de manches !
Après l’épisode mémorable du second tour entre Le Pen-père et Jacques Chirac, la percée réussie de Le Pen-fille s’opère à nouveau par le biais de l’élection présidentielle au suffrage universel, cette parodie de « démocratie absolue » qui ne conduit nulle part.
Il est grand temps de revenir à la norme institutionnelle de toutes les véritables démocraties : le régime parlementaire.
François ALFONSI
Vous aimez cet article ? Faîtes-en profiter vos amis !
Faites passer l’information autours de vous en cliquant sur :