Journée internationale des prisonniers politiques – Intervention de Mireille Fanon-Mendes-France (Paris, 17 avril 2012)

A l’invitation de la section à Paris de l’Assocciu Sulidarità, Mireille Fanon Mendes-France, fille du grand théoricien de le Lutte de Libération Nationale, Frantz Fanon et présidente de la Fondation Frantz Fanon (dont le président d’honneur était Aimé Césaire, poète et anticolonialiste martiniquais reconnu) a accepté d’introduire la soirée internationaliste sur Paris qui s’est déroulée à l’Académie des Arts et Culture du Kurdistan, le 17 avril dernier dans le cadre de la Journée internationale des prisonniers politiques.
Nous vous présentons ci-après l’intégralité de son intervention. 
Associu Sulidarità – sezzione in Pariggi
 
Il m’est demandé d’introduire les deux tables rondes, l’une portant sur «la prison, outil de répression: la résistance des prisonniers politiques face aux traitements inhumains, cruels et dégradants» et l’autre sur «le rôle des prisonniers politiques dans les processus politiques de sortie de crise».
Ces deux entrées posent quelques questions: d’une part, la difficulté à définir cette catégorie du fait de la diversité des formes de coercition et d’autre part, l’impossibilité de saisir son ampleur réelle. Après un recul de la répression politique dans le monde depuis les années 1980, un nouveau tournant répressif s’est amorcé vers la fin des années 1990, et surtout après le 11 septembre 2001.
Je me permets de faire un détour par le nombre exponentiel de prisonniers en France : depuis mars dernier, le taux d’occupation est de 116,13%, soit 66 445 personnes incarcérées, alors qu’elles étaient 65 699 en février dernier et 64 584 en mai 2011 !
S’il n’y a pas de changement de paradigme dans la politique de pénalisation avec pour conséquence, l’incarcération, alors le nombre de prisonniers ne cessera d’augmenter et lorsque les statistiques seront enfin autorisées, il est fort possible que les chiffres fassent frémir tous ceux qui affirment que la France est le pays des droits de l’homme dans lequel il n’y a ni racisme ni xénophobie. En cette journée internationale des prisonniers politiques, il est important de mentionner ce constat, car enfermer à tour de bras est le symptôme d’une société en guerre contre ses citoyens et se posent alors de nombreuses questions d’ordre politique.
Pour revenir à la question des prisonniers politiques, son approche est rendue compliquée car la plupart des Etats refusent de reconnaître l’existence d’une opposition politique ; ainsi des Mapuche, luttant contre l’accaparement et la vandalisation de leurs terres, qui se voient refuser le statut de prisonnier politique ; de Mumia Abu Jamal mais aussi de Leonard Peltier qui n’ont jamais pu obtenir ce statut aux Etats-Unis alors que le premier lutte sans fin pour dénoncer les violations des droits fondamentaux dont sont victimes les Afro-américains et que le second dénonce les conditions d’exploitation des Amérindiens. Sans oublier, bien sûr, les quelque 4 700prisonniers politiques palestiniens dont 300 sous détention administrative, les 200 enfants et les parlementaires qui bénéficient, de facto d’une immunité due à leur statut -il faut rappeler qu’il y a quelques semaines certains d’entre eux ont été enlevés directement dans les locaux de la Croix rouge internationale à Jérusalem ; tous sont retenus par l’Etat d’Israël, en violation totale de la 4me Convention de Genève. Il y a aussi Ameer Makhoul, citoyen arabe palestinien et des prisonniers politiques israéliens, Mordechaï Vanunu, des Refuznik et des militants du camp de la paix. Je pense aussi à Ocalan, aux prisonniers politiques en Russie, à ceux détenus dans de nombreux pays africains, en Chine, en Corée du nord et dans bien d’autres endroits, y compris ceux qui ont été détenus par les Etats-Unis à Guantanamo. Et bien sûr, Georges Ibrahim Abdallah et Jean-Marc Rouillan dont justice refuse la libération alors qu’elle est possible…
Tous ayant en commun d’être marginalisés et détruits par un système qui les oppresse alors qu’eux-mêmes l’ont dénoncé ou le dénoncent encore.
Tous ces prisonniers politiques, gérés par coercition, se voient refuser la qualité de «politique», simplement parce que cette reconnaissance est tributaire du rapport de force national et international et cela plus encore depuis l’apparition de la crise économique, sociale et politique qui exacerbe les conflits nationaux et ethniques, à laquelle s’ajoutent la corruption et la criminalité organisée. Tout cela permet l’application d’un volet sécuritaire nécessaire aux politiques néo-libérales qui limite les droits et les libertés politiques dans tous les pays et qui prend pour cible particulièrement dans les pays occidentaux le migrant et « l’Islam ».
Si ces questions se posent à propos des prisonniers politiques, une autre est aussi essentielle pour identifier une typologie qui devrait permettre de construire des campagnes de mobilisation pour soutenir le combat des prisonniers politiques qui ne peut être dissociée de la lutte qui veulent un autre monde.
Il s’agit des méthodes de subornation de témoins et de prévarication utilisées dans de nombreux procès politiques aussi bien aux Etats-Unis -entre autres lors des procès de Mumia Abu Jamal et de Leonard Peltier-, qu’en Israël qui utilise fréquemment la subornation de témoins pour faire condamner des dirigeants politiques palestiniens -par exemple Marwan Barghouti – mais aussi de simples citoyens palestiniens -ainsi de Salah Hamouri, qu’au Chili où lors des procès contre les Mapuche, certains témoins, lors de leur interrogatoire par la partie civile, affirmaient à la barre que leur témoignage leur avait valu de ne pas être poursuivis dans d’autres affaires de droit pénal, qu’en Turquie et dans combien d’autres pays.
Se trouvent ici questionnées les instrumentalisations et les manipulations de ce qui constitue le droit, et plus généralement des droits, au profit d’une idéologie qui veut légaliser des pratiques liberticides contraires à toutes les normes internationales de protection des droits humains et avec tout état démocratique ou qui s’affirme tel.
Et pour cela, cette idéologie impose l’idée que le terrorisme menace absolument toutes les sphères de la société, particulièrement lorsque des hommes et des femmes revendiquent leurs droits fondamentaux, dont celui à leur souveraineté et à leur terre.
En définitive, cette lutte contre le terrorisme, quelle que soit sa forme et sa gravité, vise à obstruer, à limiter, à empêcher, voire à éliminer l’exercice des droits fondamentaux et plus précisément à criminaliser tout type d’activité, y compris celles qui ont pour base la motivation politique.
Avec cette lutte contre le soit disant terrorisme, le droit national ou international apparaît nettement avec la fonction, non de changer les régimes juridiques ou de les améliorer, mais d’être utilisé, de plus en plus, comme un instrument de répression politico-idéologique et de remise en cause des droits politiques et civils.
Ne doivent pas être aussi omises les conditions d’arrestation, d’interrogation et de détention qui touchent les prisonniers politiques ; elles s’apparentent le plus souvent à de mauvais traitements, inhumains et dégradants dénoncés par les prisonniers eux-mêmes mais aussi par de nombreuses organisations. Cela est malheureusement vrai pour l’ensemble des prisonniers politiques.
Je voudrais revenir rapidement sur la  question des prisonniers politiques palestiniens qui constitue un enjeu important et revêt un aspect politique essentiel car elle s’inscrit dans la lutte du peuple palestinien pour sa libération nationale et son indépendance.
Rappelons juste que depuis l’occupation israélienne de 1967, 650 000 Palestiniens – 20% de la population– ont connu les arrestations et depuis le début de la seconde Intifada, près de 35 000 Palestiniens de tous âges sont passés par les prisons ou les camps militaires israéliens.
Ces arrestations et les enfermements se pratiquent sans que la communauté internationale manifeste ouvertement son opposition à ce qui constitue -au regard de la 4ème Convention de Genève- une violation grave, alors qu’elle a émis des résolutions, dans le cadre des Nations Unies, dénonçant aussi bien les arrestations que les emprisonnements.
Le manque d’autonomie de nombreux pays, qui -que ce soit pour des raisons économiques ou politiques- font allégeance aux pays dits de l’axe du bien, dont les Etats-Unis, pas plus que la lutte contre le terrorisme soit disant international ne peuvent justifier le choix de politiques défensives, offensives et «préventives» qui violent les normes impératives du droit international et du droit humanitaire international, pas plus que cela ne peut justifier l’impunité dont jouissent les responsables de ces crimes alors que la Cour pénale internationale précise, dans le Préambule de ses statuts, vouloir la combattre et «y mettre un terme afin de concourir à la prévention de nouveaux crimes (…) parce que des crimes d’une telle gravité menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde»…
Certes, il y a plusieurs arguments pour dénoncer le silence complice de la communauté internationale, mais elle est aidée en cela par ce que la Cour suprême israélienne s’autorise. Ainsi lors de chaque appel introduit par les Palestiniens contre l’Etat occupant, la Cour suprême ne cesse de répéter que l’Etat, « une démocratie particulière »,  vit dans un état de guerre depuis 1948, dès lors les juges ont introduit « ce paradigme de guerre » dans leurs jugements. Ces juges cherchent à protéger leur Etat et donc à exclure les « ennemis » du régime démocratique.
Signalons au passage que cet argument n’est pas spécifique à l’Etat d’Israël, cela se pratique aussi en Allemagne…
Ce paradigme autorise ainsi à inventer une loi spécifique qui fixe ses propres armes qui attaquent, par exemple dans la basic law israélienne, la liberté d’expression, les droits politiques, la liberté de circulation, l’acquisition de la nationalité, qui tous peuvent être suspendus en situation d‘urgence…et qui autorise l’Etat, avec l’aide la justice, à violer allégrement le droit humanitaire international et le droit international…
Mais là encore ce n’est pas spécifique à l’Etat d’Israël, certains Etats  aussi limitent fortement les droits humains au nom de l’objectif de sécurité. Cela a été le cas dans l’affaire Ocalan….
A cela s’ajoute et se justifie l’utilisation de la torture ou des mauvais traitements, cette «manipulation» concernant les droits humains autorise leur usage au nom de la sécurité de l’Etat…
En fait, ce qu’a réussi l’Etat d’Israël c’est de mettre en balance et de l’introduire dans son droit interne la liberté et la sécurité, et cela depuis 1948…. Année de la Déclaration universelle des droits de l’homme !
Cet arrangement avec les droits humains, et particulièrement au regard de la dignité humaine, se trouve encore plus justifié depuis le 11 septembre 2001, où l’on peut dire que la doctrine juridique israélienne est devenue le modèle à suivre par les démocraties occidentales et leurs alliés….Pensons aux prisonniers de Guantanamo mais aussi à ceux détenus par les soldats américains en Irak…
Dès lors, il est aisé de comprendre que les prisonniers politiques, où que ce soit, sont une des données de la répression et un des moyens trouvés par les dominants pour imposer un nouvel ordre mondial qui lutte contre l’ensemble des peuples afin d’assurer la financiarisation et la marchandisation du monde. C’est bien pour cela que les démocraties répressives cherchent à pénaliser toute forme de solidarité, et cette rapide réflexion ne serait pas complète sans préciser que les militants de la solidarité seront certainement les nouveaux prisonniers politiques….
Ce qui est commun à l’ensemble des prisonniers politiques est le fait que leurs droits humains leur sont refusés, niés. Il est de notre obligation de demander l’effectivité et l’applicabilité de l’ensemble des droits civils et politiques pour l’ensemble des prisonniers politiques à travers le monde.
C’est bien sur cette base que doit se construire une mobilisation pour les prisonniers politiques de convergence pour la solidarité internationale. Ainsi, il faut s’associer à la campagne lancée par les soutiens internationaux pour demander que les droits civils et politiques de Mumia Abu Jamal soient respectés ; il faut rejoindre les soutiens de Leonard Peltier, de Jean-Marc Rouillan et de Georges Ibrahim Abdallah pour obtenir leur libération ; il faut soutenir l’ensemble des prisonniers politiques palestiniens, dont les 1 400 qui ont entamé une grève de la faim pour obtenir la réalisation de leurs droits et la fin de l’occupation illégale –avec la complicité de la communauté inetrnationale- dont l’ensemble du peuple palestinien est victime ; il faut être auprès des Mapuche, mais aussi de tous les hommes et les femmes, qui sont emprisonnés pour avoir dénoncé la spoliation et la vente illégale de leurs terres ou de leurs ressources naturelles.
En ce sens, cette journée internationale des prisonniers est importante, la lutte des prisonniers politiques est notre lutte, car le droit à la liberté d’expression de toutes celles et de tous ceux qui, enfermés, revendiquent le respect et l’effectivité des droits humains pour l’ensemble des peuples du monde et par-dessus tout le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes fait partie de la norme de base qui doit s’imposer à toutes et tous.
Mireille Fanon-Mendes-France 
présidente de la FONDATION FRANTZ FANON
Experte du groupe de travail sur les Afro Descendants au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU
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FRANTZ FANON FOUNDATION-FONDATION FRANTZ FANON 
président d’Honneur: Aimé Césaire
www.frantzfanonfoundation-fondationfrantzfanon.com

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