(Unità Naziunale Publié le 7 mars 2019) Dans un entretien au marin, Alain Mosconi, secrétaire du STC (Syndicat des travailleurs corses) marins et élu syndical de Corsica Linea, revient sur les nouvelles turbulences de la desserte corse et estime que Corsica Linea et La Méridionale doivent disparaître dans leur forme actuelle pour être le socle des futures sociétés d’économie mixte.
La desserte subventionnée de la Corse connaît de nouveau des turbulences en raison du rejet partiel de La Méridionale des négociations utiles sur la future DSP. Estimez-vous que cette compagnie a commis des erreurs en préparant sa réponse à l’appel d’offres ?
Si la Méridionale a été écartée des négociations utiles, c’est que ceux qui sont en charge d’analyser les offres ont considéré qu’elles n’étaient pas conformes au cahier des charges et/ou au droit, et qu’elles étaient donc irrecevables. La direction de cette compagnie a esté en justice pour réintégrer le périmètre des négociations, dont acte. Pour ma part, je considère que le contentieux a fortiori dans ce contexte, entre le concédant du service public et un éventuel concessionnaire, n’est jamais une bonne chose… Quant au fait que, pour le dire gentiment, la direction de cette compagnie et son actionnaire « aient commis des erreurs en préparant leurs réponses à l’appel d’offres », cela relève d’un doux euphémisme…
Alain Mosconi (STC) veut la fin du « 100 % privé »
Le STC ne risque-t-il pas d’être confronté à des revendications différentes chez Corsica Linea et La Méridionale dans un contexte de dissension entre les deux compagnies ?
Pour nous, le contexte de dissension entre les deux compagnies ne peut et ne doit pas entraîner de dissension au sein de notre structure. Nous avons toujours œuvré dans le sens d’une concomitance de vue et d’action. J’en veux pour preuve qu’en amont du conflit, les élus STC du comité d’entreprise de Corsica Linea ont rencontré ceux de La Méridionale. Nous leur avons proposé que je les accompagne dans leur démarche, notamment auprès des autorités publiques. Ils ne m’ont jamais sollicité pour le faire, sans doute ont-ils considéré et cela relevait de leur droit, que je n’étais pas une personne assez qualifiée en matière de transport maritime pour être à leurs côtés. Je ne vois rien de choquant à cela. Nous avons également proposé à ce qu’ils puissent rencontrer en notre compagnie, si telle était leur volonté, la direction de Corsica Linea … Ils ont jugé bon de ne pas le faire. Pendant le conflit, lors d’une deuxième rencontre, nous avons cherché à aller vers une communication commune, c’est avec regret que nous n’avons pu faire synthèse. Le 25 février, par courrier mail, j’ai écrit au délégué de La Méridionale pour lui proposer, en cas de difficultés de celle-ci et afin de protéger les salariés qui n’ont pas à être la variante d’ajustement des erreurs de leur direction, d’aller, premièrement vers une subdélégation, deuxièmement, vers l’affrètement d’un de leurs navires par Corsica Linea, sur un périmètre nouveau pour eux…. À l’heure où je réponds à vos questions, je n’ai toujours pas de réponse aux deux propositions que j’ai faites. Dans tous les cas de figure, les fondamentaux idéologiques de ce que nous sommes doivent être le ciment de nos démarches respectives. Sur cette base exclusive, et en dehors de toute défense d’intérêts privés, nous serons toujours à leurs côtés si tel est leur choix.
Le système précédent, 4 + 3 navires avec un partenariat entre les deux compagnies, était-il à bout de souffle ou faut-il le remettre en selle, comme le réclame la CGT qui appelle à 24 heures de grève le 8 mars ?
Il appartient aux directions, à elles et à elles seules, de définir leur partenariat. Pour nous, et cela est une condition sine qua non, quelle que soit la nature de leur partenariat, les salariés n’ont pas à être la variante d’ajustement qui permet les équilibres financiers.
Y a-t-il un risque que la desserte de Propriano ne soit plus dédiée avec un navire et que la DSP ne compte plus que six navires au lieu de sept ?
Selon nous, la desserte de Propriano et celle de la microrégion du Valinco ne peuvent pas être exclues du service public. Je constate d’ailleurs que la collectivité territoriale de Corse n’en a pas émis le souhait.
Est-il envisageable, pour le maintien d’une concurrence, que Corsica Linea puisse assurer l’ensemble des services, ou au moins les deux ports principaux et un port secondaire, comme le laisse supposer le business plan de la direction ?
Les lignes maritimes de la Corse connaissent depuis de longues années la concurrence. Je ne vois pas comment, à l’heure actuelle, le périmètre de service public de continuité territoriale pourrait échapper à cette règle. Ceci étant dit, je précise que demain, dans le cadre de la mise en place des Semop (NDLR : les sociétés d’économie mixte prévues dans le futur système de desserte, après le 31 décembre 2020), que le dit objet prioritaire n’étant autre que le contrat de service public, celui-ci n’aura pas à subir les méfaits de la libre concurrence.
Le système de Semop est-il le meilleur selon vous ?
Après les quinze prochains mois (NDLR : et la DSP en cours d’appel d’offres qui doit débuter le 1er octobre), la Corse devra de manière irréversible entrer dans un processus de maîtrise de ses transports. Le mécanisme des Semop (partenariat public-privé) voté par l’Assemblée de Corse participe à cet effet. Sans préjuger de savoir s’il est le meilleur ou pas, il améliore de toute évidence significativement le système et rompt diamétralement avec toute volonté hégémonique du privé et ce, quel qu’il soit.
Quelle perspective pour une compagnie régionale ? N’existe-t-elle pas déjà de fait avec Corsica Linea ?
La perspective de la future compagnie régionale sera d’œuvrer vers une desserte maritime de la Corse qui permettra à l’île une pleine maîtrise de ses transports, et le tissage d’un service public de continuité territoriale dans l’arc de la Méditerranée occidentale. La compagnie régionale sera donc un outil d’ouverture de la Corse vers un extérieur nouveau. Corsica Linea ne répond pas, pour l’heure, à ces exigences, elle n’est donc pas, de fait, la compagnie régionale. Je considère d’ailleurs que cette dernière, comme La Méridionale si elle en fait le souhait, n’est qu’une étape vers un partenariat public-privé. Leur système actuel, reposant sur un actionnariat 100 % privé, devra disparaître pour laisser place à une structure exempte des seules logiques financières.
Comment analysez-vous les résultats des trois premières années de Corsica Linea ?
Nul ne peut prétendre, à moins de faire preuve de malhonnêteté intellectuelle, que les trois dernières années écoulées à Corsica Linea ont été négatives. Après Butler et Veolia, dont chacun a en mémoire la gestion qui a débouché sur une trésorerie exsangue, la compagnie connaît une période de bénéfices. Cela a permis la création d’emplois, notamment – et de manière importante – en Corse, ainsi que l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés. Pour autant, ces résultats ne peuvent en aucun cas engendrer un statu quo : Corsica Linea et La Méridionale doivent selon moi disparaître dans leur forme actuelle, pour être le socle des futures Semop.
Propos recueillis par Thibaud TEILLARD
Publié le 07/03/2019 – LE MARIN –