(Unità Naziunale – 6 février 2018 – 17h00) Ce jour, à l’occasion de la commémoration des 20 ans de l’assassinat du préfet Claude Erignac, M. Emmanuel Macron, Président de la République, en cette qualité garant des institutions et de la séparation des pouvoirs, a déclaré :
«… car ce qui s’est passé ici le 6 février 1998, ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s’explique pas…».
Malgré la douleur de la famille du préfet qui impose le plus profond respect et la plus grande empathie, on ne peut que s’interroger sur cette formulation qui ne peut qu’apparaître comme une atteinte aussi violente qu’infondée aux droits de la défense.
Le Président de la République affirme par ses propos, qui ne peuvent être le fruit d’une improvisation maladroite étant donné la solennité du moment, que certains justiciables ne sauraient bénéficier de l’assistance d’un avocat, au regard des actes qu’ils ont commis et surtout de la personnalité et des fonctions occupées par la victime.
Il s’agit d’une atteinte sans précédent aux Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République, intégrés dans le bloc de constitutionnalité, et dont l’avocat est l’un des piliers essentiels.
« M. Le Président, il est de notre honneur de les défendre tous »
La parole présidentielle, en privant un justiciable du droit d’être assisté et défendu, contrevient à l’État de Droit et fragilise le socle même des valeurs républicaines.
Nous entendons solennellement rappeler, comme d’autres l’ont fait avant nous, que nous avons prêté serment d’exercer notre mission avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, de sorte qu’il nous faut « les défendre tous », sous la seule réserve de notre conscience et du choix des moyens de défense.
Telles sont les valeurs auxquelles nous n’entendons pas renoncer.
Stéphane Nesa, Bâtonnier de l’Ordre
Revue de presse
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Discours du Président de la République Emmanuel Macron – Hommage au Préfet Claude Érignac
Mesdames et Messieurs,
Chère Madame ERIGNAC,
Chers enfants de Claude ERIGNAC,
C’était il y a vingt ans exactement. Le soir du 6 février 1998 alors qu’il se rendait au Théâtre Kalliste non loin d’ici à pied, sans protection selon son souhait, le préfet Claude ERIGNAC était lâchement assassiné de trois balles dans la tête, tirées par derrière à bout portant. Ce fut le premier préfet à tomber en temps de paix, geste sans précédent, sans équivalent. On vit alors la nation se lever, faire bloc autour de cet homme, autour de cette figure de la République, autour de sa famille.
Le président Jacques CHIRAC et les autorités de la République dirent aussitôt leur horreur, leur compassion absolue avec la famille, leur immense estime pour le préfet ERIGNAC et leur détermination à ne rien céder à ceux qui voulaient attenter à la France et à l’Etat de droit. Commençait alors la recherche inlassable des coupables, en vue de leur juste punition.
Car ce qui s’est passé ici, le 6 février 1998 ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s’explique pas, ce fut un assassinat, un attentat
Car ce qui s’est passé ici, le 6 février 1998 ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s’explique pas, ce fut un assassinat, un attentat, rien de plus haut, ni de plus noble, on a tué un homme parce qu’il était un serviteur de la République, on a arraché un époux et un père à une femme et à deux enfants, deux infamies qui à jamais déshonorent leurs auteurs. Comme l’écrivit son ami, le poète Jean ORIZET : ton assassin, cher Claude, est bien plus mort que toi.
Le 11 février 1998, cinq jours après l’assassinat du préfet, partout en Corse, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes ont exprimé leur effroi et leur indignation lors des plus grandes manifestations que l’île n’ait jamais connues. On compta jusqu’à 40.000 personnes bravant les intimidations, surmontant la peur qu’inspire toute barbarie. Ses compatriotes se sont levés pour dire leur colère, leur dégoût, sans banderole, sans discours, dans le silence d’un deuil profond.
Certains d’entre vous, parmi les militants de l’identité corse, vous êtes révoltés devant le dévoiement d’une cause déshonorée par la lâcheté, le sang et la mort. La Corse, terre de fierté et de dignité, a été salie par ce crime, c’est pour cela qu’elle s’est levée, parce qu’elle ne voulait pas qu’on la croie comptable ni coupable de cette ignominie, parce qu’elle ne voulait pas que certains, au nom de la Corse, se fassent une gloire de ce forfait en l’habillant du beau nom de résistance.
Car on sait encore dans toutes les familles de France, et particulièrement en Corse, qui fut le premier territoire français libéré de l’occupant, ce que fut l’occupation, et ce que fut la résistance. La République est sortie victorieuse de la première guerre mondiale et a pu renaître de la seconde, grâce à beaucoup de héros français qui souvent furent des Corses, de vrais résistants, ceux qui ont refusé l’impuissance, la soumission et la résignation, ici, en Corse, on s’est battu pour une indépendance, c’était l’indépendance de la France, et sa place éminente parmi les nations libres.
Nous en conservons le témoignage puissant des anciens, le nom de cette avenue nous le rappelle, qui rend hommage au Colonel Colonna D’ORNANO, avec le général LECLERC, il rallia le Tchad à la France libre et au Général de GAULLE, et il perdit la vie en 1941, en héros pour la France. Il fut le premier compagnon de la Libération, à titre posthume, tout près d’ici, deux ans plus tard, en 1943, dans la citadelle d’Ajaccio, le préfet Fred SCAMARONI, lui-même fils de préfet, périssait pour la liberté, comme un signe annonciateur du martyre d’un autre grand préfet, Jean MOULIN. Torturé par l’occupant, Fred SCAMARONI écrivit sur le mur de sa cellule avec son sang : « je n’ai pas parlé, Vive de Gaulle et vive la France. » Ainsi la République n’oublie ni ses origines, ni son histoire, ni ses principes, ni ses combats, et l’histoire de la Corse en fait partie. Elle a ses morts pour la patrie et ses héros ne sont pas des lâches.
Ce 6 février 1998, des Français se sont retournés contre la nation. Ils ont pris les armes contre la République, avec eux, derrière eux, plusieurs autres ont perdu, dans cette entreprise, leur honneur et même leur âme, ce sont, là, des circonstances aggravantes, un tel acte n’a rien à voir avec une prétendue lutte de libération. C’est la simple trahison des idéaux qui nous rassemblent, c’est un de ces actes de terrorisme dont notre nation eût encore récemment à subir la barbarie.
Malgré cette plaie vive, la République est restée fidèle à elle-même et à sa mission, elle a protégé les Corses de cette violence. Je veux saluer ici la mobilisation engagée par Jean-Pierre CHEVENEMENT, des services d’enquête qui, sous la conduite des magistrats, ont permis, quelques années plus tard, lorsque Nicolas SARKOZY était ministre de l’Intérieur, et je veux saluer ici sa détermination extrême d’arrêter, de mettre à disposition de la justice, et de faire condamner les auteurs et complices de cet assassinat.
En inaugurant cette place Claude Erignac au cœur d’Ajaccio, nous scellons, Mesdames et Messieurs, notre union indéfectible dans la République. Il aura fallu cet odieux attentat pour que nous comprenions combien ce qui nous unit est plus fort, plus durable que ce qui nous divise, la République n’a pas cédé, elle a tenu bon face à la provocation ultime. Et la Corse n’a pas sombré, elle a résisté à la spirale de violences, dans laquelle voulait l’entraîner ces apôtres du crime et je veux vous dire aujourd’hui ma conviction profonde, c’est que la haute figure de Claude ERIGNAC a empêché que le scandale de sa mort n’entraîne à sa suite le pire, car Claude ERIGNAC était cet homme de droiture, d’ouverture, de rigueur et de mérite, de devoir et d’action, dont la mort a révulsé même les adversaires.
Il était de ces préfets qui font honneur à la République et dont la République s’honore bien plus encore. Claude ERIGNAC était préfet, ce qui signifie qu’il était aux avant-postes du service de l’Etat, dans ses différentes fonctions, comme sous-préfet, puis, comme préfet, de la Nouvelle-Calédonie à la Martinique, de la Loire aux Yvelines, en passant par le Gers ou la Meurthe-et-Moselle, il était animé par le souci constant du développement des territoires et par la passion de servir leurs habitants dans la rigueur et la vertu des valeurs républicaines.
Il était un membre éminent de ce corps préfectoral qui assure depuis plus de deux siècles la continuité de l’Etat et l’unité de la nation. Il portait dignement l’uniforme préfectoral dont les parements, ornés du chêne et de l’olivier, représentent la force et la paix.
Je salue ici en ce jour, tous les membres de ce corps préfectoral et tout particulièrement celles et ceux qui ont servi en Corse, qui ont servi et qui servent la Corse, préfets et sous-préfets, chefs de service de l’Etat ici réunis.
Claude ERIGNAC s’était vu confier en 1996 une triple mission : rétablir l’autorité de l’Etat, contribuer au dialogue républicain, et faire avancer les dossiers économiques, sociaux et culturels. Il s’était engagé dans la lutte contre la violence, la criminalité et le terrorisme avec courage et abnégation.
Il œuvrait d’arrache-pied à soutenir l’économie insulaire et son agriculture, la cohésion sociale, l’affirmation de l’identité culturelle de l’île, originaire lui-même d’une terre rude, la Lozère où aujourd’hui il repose.
Il avait trouvé avec la population, le chemin d’un dialogue sans artifice. Il avait gagné la confiance de tous et à tous il donnait l’exemple d’une République juste et attentive.
Son assassinat a fait de Claude ERIGNAC, un de ces martyrs laïcs, qui tombe parce qu’ils ont cru à leur mission, parce qu’ils ont été fidèles à leur vocation. Cette mort inacceptable a résonné si fort qu’elle a pris valeur de symbole, elle aura eu cet effet d’éloigner la tentation de la violence et du sang, elle aura ranimé l’exigence du droit et du dialogue démocratique.
Cela, je crois, les Corses l’avaient déjà compris lorsqu’ils sont venus en nombre et en silence, rendre un hommage poignant à son épouse et à ses enfants au moment de leur départ de l’île.
Merci chère Dominique, Chère Marie-Christophine, cher Charles-Antoine d’avoir eu le courage de revenir ici 20 ans après.
Je sais combien c’était pour vous difficile, mais je sais aussi que la République, vous le devez, et que la Corse l’attendez.
Par votre courage et votre dignité, vous avez sauvé la Corse de ses démons, vous avez su alors que vous étiez si douloureusement atteints porter votre désir de justice avec courage, dignité, retenue et imposer à tous les tenants d’une dérive meurtrière, à tous les artisans du désordre et de la confusion. Je veux ici vous saluer avec la révérence et la reconnaissance de toute la nation.
C’est grâce à vous aussi que la justice de la République a pu être rendue, car c’est la justice de la République qui a été rendue et elle sera suivie, sans complaisance, sans oubli, sans amnistie.
Au moment d’inaugurer cette place, toute l’émotion du 6 février 1998 et de ses lendemains se réveillent. Nous éprouvons cette étrange amertume qui nous rappelle de quel deuil se tisse notre histoire, dans ces épreuves nous trouvons aussi la force de consolider chaque jour notre République.
Madame ERIGNAC a voulu qu’en ces lieux figurent ces mots, « Ce lieu de mémoire lui est dédié, pour que jamais ne s’efface le souvenir d’un homme qui avait choisi librement et dignement de servir au premier rang à découvert au milieu des passions ».
Cette liberté, cette dignité, ce courage de Claude ERIGNAC, ce sont les vertus de la République elle-même, le nom de Claude ERIGNAC apposé ici et cet olivier, symbole de concorde sont un appel à la raison et le serment d’un dialogue renouvelé, refondé, assaini. C’est cela être digne de la mémoire de Claude ERIGNAC et c’est cela que tous ici nous voulons.
Le préfet ERIGNAC savait qu’il venait en Corse pour dissiper un climat de confusions et d’incertitudes, 20 ans plus tard, la République doit conserver cette ambition de ménager à la Corse un avenir qui soit à la hauteur de ses espérances, sans transiger avec les requêtes qui la ferait sortir du giron républicain.
Nous devons sans relâche poursuivre le travail de Claude ERIGNAC et œuvrer à une île réconciliée, tournée vers des lendemains meilleurs, ouverte sur le monde méditerranéen.
C’est le rôle de la République, c’est le rôle de toutes celles et ceux qui veulent ici, préparer l’avenir de leurs enfants, c’est mon rôle comme chef de l’Etat.
Prenant son poste de préfet, en 1996, Claude ERIGNAC rédigea quelques lignes où il résumait sa mission, les devoirs qu’elle lui imposait, mais aussi les craintes qu’elle pouvait susciter. Il redoutait en particulier ce qu’il appelait les faux semblants.
Je suis ici pour rompre avec ses faux semblants et reprendre le chemin de la franchise, de la responsabilité et de la construction de l’avenir, sans non dit et sans détour. C’est ce que la République doit à Claude ERIGNAC pour que son sang n’ait pas coulé en vain. C’est ce qu’elle doit à la Corse, c’est ce qu’elle doit à la jeunesse de Corse, c’est ce qu’elle se doit à elle-même.
Vive la République, vive la France.