Corsica Libera tenait mercredi dernier une conférence de presse devant le Lycée Giocante de Casabianca. Voici le texte de la Conférence de presse
Transfert de la compétence éducative et des ressources à la Collectivité Territoriale de Corse
Les enjeux concernant le système éducatif en Corse constituent aujourd’hui un défi et d’un besoin d’une importance historique rarement égalée.
Cet important défi présente une dimension structurante dans de très nombreux domaines : culturel, linguistique, social, économique, politique, institutionnel.
Mais face à la mondialisation, le système d’éducation imposé par l’Etat français, obsolète par son centralisme et ses orientations, nous conduit droit dans le mur.
En effet, face au chômage, aux violences, partout dans le monde, les études montrent que les pays qui investissent le plus sur l’éducation, sont ceux qui parviennent à créer davantage de richesses et de bien vivre pour leurs citoyens.
Pour développer notre société, pour que nos jeunes ne soient plus condamnés à l’exil ou au chômage, la primauté doit être accordée à une éducation qui prenne en compte nos spécificités.
Le constat est sans appel !
Nous sommes l’académie qui compte le plus de sorties du système éducatif sans diplôme. Un jeune sans formation est un futur précaire. Il aura d’autant plus de mal à s’insérer sur le marché du travail que la crise économique frappe l’ensemble de l’Europe.
Alexandre Gautier, dans un article intitulé « Recensement de la population » décrit la situation corse :
« Une faible scolarisation, en particulier de jeunes majeurs :
Les jeunes insulaires sont globalement moins scolarisés qu’ailleurs. Même s’il a nettement augmenté depuis 1999, leur taux de scolarisation demeure parmi les plus faibles de France métropolitaine. En 2006 en Corse, 43 % des jeunes âgés de 15 à 29 ans sont inscrits dans un établissement d’enseignement. C’est certes 2,5 points de plus qu’en 1999 mais cela reste 3,5 points en dessous de la moyenne nationale. Cette faible scolarisation est particulièrement marquée au sortir du secondaire. Ainsi, le taux de scolarisation des 18-21 ans n’est en Corse que de 60 %, 8 points de moins que la moyenne nationale. En revanche, entre 22 et 24 ans, l’écart se réduit : 25 % des jeunes résidant en Corse sont inscrits dans un établissement d’enseignement, ce qui situe l’île au milieu du classement des régions françaises.
Si les jeunes de plus de 18 ans sont moins souvent scolarisés en Corse que sur le continent, ils ne sont pas pour autant plus insérés sur le marché du travail.
Dans la région, seulement 53 % de ceux âgés de 18 à 29 ans occupent un emploi, soit un taux d’emploi de 5 points inférieur à la moyenne métropolitaine. En effet, en Corse, la part d’inactifs parmi la population jeune est sensiblement supérieure à celle de la France ».
La « politique éducative » du gouvernement français porte une très lourde responsabilité dans cette situation catastrophique. En effet, ce gouvernement persévère dans la mise en place de véritables dispositifs de mise à l’écart, « certifiés » par des décrochages et des échecs scolaires exponentiels.
Il s’appuie sans vergogne sur une fallacieuse « logique comptable », érigée en dogme, pour supprimer, sur notre île, depuis des années des centaines de postes d’enseignants. 350 en tout depuis 2005, et ce, toutes catégories confondues.
Il faut en finir avec cette politique d’économie budgétaire faite au service des puissants sur le dos des élèves et des fonctionnaires de l’éducation.
Face aux nombreuses suppressions de postes d’enseignants, CORSICA LIBERA est partie prenante du front commun de résistance contre les mesures de carte scolaire et de manière plus générale se détermine clairement contre le saccage d’une école déjà moribonde.
Nos élus à l’Assemblée de Corse ont déjà eu l’occasion d’interpeler l’exécutif à ce sujet : Josepha Giacometti le 28 juillet 2011 ainsi Jean-Guy Talamoni le 20 février dernier sur les suppressions de postes dans l’Education Nationale (voir annexes).
Un système éducatif au service des intérêts de l’Etat français
La conception qu’a l’Etat Français de l’éducation n’est pas neutre idéologiquement et le savoir à transmettre n’est pas toujours objectivé.
Non, l’Ecole n’est pas neutre et ne l’a jamais été !
La France a toujours utilisé l’Ecole comme un appareil idéologique d’Etat. Et en Corse plus qu’ailleurs, l’institution scolaire a mis en œuvre pour imposer sa vision d’une république une et indivisible une politique linguistique de substitution, et à l’exception de quelques élites, une assignation à une instruction scolaire minimale par le refus de rouvrir notre université pendant plus de deux siècles.
Ne pouvant plus s’opposer politiquement à une généralisation de l’enseignement de notre langue voulu par l’ensemble du peuple, l’Etat français s’y oppose en ne donnant pas les moyens nécessaires.
Les représentations linguistiques que les Corses se faisaient de leur propre langue étaient alors largement négatives. Or les effets de cette politique éducative sur la psychologie des Corses se ressentent encore de nos jours avec certes une permutation des valeurs faisant de notre langue celle de chacun et celle de notre communauté, même de ceux qui ne la parlent pas. Si l’identification à notre langue est un facteur de cohésion socioculturelle, elle ne suffit pas pour autant à sauver la langue corse. Malgré une plus forte présence dans certains espaces autrefois proscrits, à commencer par l’Ecole, sa pratique demeure en net recul et sa diffusion un enjeu qui dépasse largement celui du nombre de ses locuteurs ou de sa survie. Elle représente une opportunité à la fois en matière de cohésion sociale mais aussi en termes de développement économique eu égard à sa parenté avec les langues latines. Si au cours du siècle passé, la pratique de la langue corse pouvait correspondre à une exclusion sociale et économique, la mondialisation des échanges exclut aujourd’hui les monolingues de tous pays. C’est pour cela que le volet linguistique de notre projet ne se limite pas au bilinguisme français corse. Il se situe dans une vision dynamique, ouverte, ambitieuse et plurilingue.
Outre la substitution et le monolithisme monolingue, le système éducatif français a mis en branle une machine au profit d’une falsification historique durable. Encore en 2003, M. Hamlaoui Mekachera, secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants déclarait à Aiacciu : « Je souhaite que les falsifications disparaissent. Je ne comprends pas, pour parler franchement, pourquoi la réalité tarde tant à être rétablie. »
Aujourd’hui devenue une boutade, « nos ancêtres les gaulois » fut une phrase donnée à apprendre par cœur à tous les « petits colonisés » de Corse et d’ailleurs. Comment ne pas citer également les manuels scolaires qui présentaient jusqu’à peu Bayeux comme la première ville libérée en juin 1944 alors que la Corse fut libérée par son propre peuple dès le 4 octobre 1943 ? Par ailleurs, concernant la seconde guerre mondiale, soit l’on considère que la Corse fait partie de la France et l’on admet que Bayeux n’est pas la première ville libérée, soit l’on reconnait sans hypocrisie qu’Aiacciu n’est pas la France et que nous sommes à part.
De plus, l’institution scolaire n’a eu de cesse de se limiter à une fonction utilitaire pour n’obtenir in fine, comme seul résultat, qu’une faillite de la mission de transformation sociale. La raison en est simple, l’éducation nationale française occulte le développement humain.
Elle reproduit le tri social et donc un système de domination en contradiction avec les intérêts collectifs de notre peuple et de sa jeunesse en particulier.
Nous sommes ainsi passés de la notion d’ascenseur social à la réalité d’un descenseur social aggravée par une économie corse exsangue et un contexte de crise internationale.
N’oublions jamais que la formation et l’éducation constituent le vecteur premier d’égalité des chances et un puissant levier face au clientélisme. C’est la mise en œuvre d’une véritable politique au service de la jeunesse et du développement de la Corse. Plus encore, bien que la formation soit une condition sine qua non à l’insertion professionnelle, et que les familles et la société se déchargent de toutes leurs missions sur l’Ecole, le modèle de la réussite ne passe plus par cette institution. Il faut pour cela revaloriser à la fois la culture et la profession enseignante.
Notre projet éducatif
Notre projet éducatif, comme notre projet politique, prend résolument en compte la dimension socio-économique liée à l’aménagement du territoire et à la défense de la ruralité, et à nos spécificités. C’est l’un des grands enjeux de la carte scolaire et pour nous un objectif politique majeur : celui du rééquilibrage territorial et de l’égalité des chances.
Ce projet de société ne pourra pas faire l’impasse sur la mise en place de l’enseignement de notre langue et de notre histoire car sinon nous ne pourrons pas développer et partager nos particularités culturelles avec les autres peuples.
Le démantèlement du service public d’éducation accélère le déclin du monde rural. Chaque école qui se ferme hypothèque les initiatives associatives, privées et publiques en faveur du développement de nos villages. Pour arrêter le chjam’è rispondi traditionnel entre l’Etat français qui dispose des personnels enseignants et les élus du clan qui crient au loup à chaque fermeture, sans envisager quelque solution pérenne, il convient de dessiner le futur cadre normatif de l’Académie au regard de cet objectif de rééquilibrage territorial.
Construire une école de la réussite au service de tous demeurera une utopie mort-née si l’on ne prend pas en considération les besoins réels des élèves en fonction de leur environnement culturel et social, de leurs difficultés.
Pour CORSICA LIBERA, il est plus que jamais vital d’obtenir, sans plus tarder, le transfert de la compétence éducative à la CTC. En vertu de l’article 72-2, ce transfert s’accompagne du transfert des ressources soit environ 300 millions d’euros. Ce processus nous permettra de proposer des programmes adaptés à notre réalité, de gérer efficacement la formation initiale et continue des personnels de l’Education ainsi que leur carrière, la carte scolaire et à court terme instaurer un système éducatif corse où la démocratisation de l’enseignement n’opposera plus le quantitatif au qualitatif.
Pour un système éducatif au service des intérêts collectifs de notre peuple, les Corses doivent avoir le pouvoir de déterminer les objectifs et les pratiques d’éducation qui engagent leur avenir commun.
Le transfert de ces compétences s’inscrit naturellement dans la lutte de libération nationale et sociale où l’élément dynamique que constitue l’émancipation culturelle passe par l’officialisation de la langue corse.
En effet, l’accès à la langue et à la culture corses constitue la clé d’accès à une véritable culture générale ciment de toute citoyenneté et d’ouverture réelle sur le monde.
Le système éducatif que nous proposons repose sur des points essentiels et complémentaires :
- La mise en place d’une politique de développement de la langue corse qui doit devenir « a lingua di u pane » par l’intégration de la compétence linguistique certifié pour la validation de tous les concours et la formation sur des stages intensifs des employés du secteur privé, débouchant eux aussi sur une certification de niveau B2 du cadre européen commun pour les langues.
- La définition d’une formation initiale et continue en fonction d’objectifs clairement identifiés visant à donner à tous une qualification correspondant à la vie économique et sociale d’une nation qui veut recouvrer ses droits historiques. La formation devra impérativement être en adéquation avec la réalité économique de notre terre et au service des intérêts collectifs de notre peuple.
- Le processus de formation doit s’enrichir d’une relation cohérente et indéfectible entre enseignement et recherche universitaire.
- Etablissement d’un véritable et indispensable service public de l’enseignement supérieur et de la recherche en opposition totale avec une marchandisation des savoirs, marchandisation étrangère à la finalité di l’Università di Corsica : Università Populare.
- Repenser par une concertation entre les praticiens et les partenaires du système éducatif, l’articulation des trois niveaux d’enseignement pour atteindre une nécessaire continuité pédagogique.
- Rationaliser une pédagogie pluridisciplinaire pour l’épanouissement de l’apprenant et son émergence à une conscience critique garante d’une réelle démocratie participative.
- Une nouvelle organisation du temps scolaire visant à améliorer les conditions d’apprentissage, le bien-être et la santé des élèves pour une prise en compte des rythmes biopsychologiques. Actuellement la durée de la journée scolaire en France est la plus longue d’Europe.
- L’adaptation du rythme des apprentissages aux difficultés rencontrées par les élèves.
- Il est aussi nécessaire de privilégier la fin de matinée et le milieu d’après-midi pour les « nouveautés » qui demandent plus de concentration.
- Un calendrier scolaire qui prennent en compte les spécificités de notre climat, de notre culture et qui respectent les grandes dates historiques et religieuses de notre île.
- Renforcement et professionnalisation des moyens humains de l’accompagnement des enfants porteurs de handicap pour un réel parcours scolaire.
- Prise en compte efficace des élèves intellectuellement précoces (EIP) pour répondre à leurs besoins spécifiques.
- Elaboration et mise en place d’une véritable éducation à l’orientation dès la classe de sixième.
- Une refonte des programmes pour une plus grande pertinence.
- Valorisation et diffusion de l’innovation et de l’expérimentation pédagogique, comme par exemple l’enseignement par immersion.
- Le développement des ressources partagées dans le cadre d’un processus de coopérations internationales.
- La baisse significative des effectifs par classes pour un enseignement véritablement individualisé et donc un encadrement à la hauteur des objectifs pédagogiques. L’accompagnement personnalisé renforcera ce dispositif.
- Autonomisation des établissements scolaires favorisant une adaptation plus souple à chaque réalité locale. Mais ce processus ne doit pas être soumis à l’asservissement du libéralisme qui conduit à une ségrégation par l’argent. Le projet de chaque établissement doit être assuré par une véritable péréquation des moyens afin de garantir les mêmes chances entre les individus et les territoires. Il faut aussi associer cette autonomie à une démarche inter-établissements afin d’établir un réseau d’échanges concernant les pratiques et les objectifs pédagogiques.
- Renforcement du rôle de la Commission Administrative Paritaire Académique pour plus de transparence sur les notations, promotions, notations, titularisations et sanctions disciplinaires. Plus globalement, le dialogue social doit devenir une réalité par l’élaboration de mécanismes de gouvernance concertée.
- Une expertise annuelle des besoins en enseignants en relation avec l’Università di Corti (IUFM) pour en finir une fois pour toute avec l’exil forcé de nos jeunes lauréats des concours.
- Le retour des enseignants corses exilés par l’instauration d’un barème spécifique valorisant leurs compétences en langue corse et répondant à un critère de citoyenneté corse.
- Le développement des technologies nouvelles et de l’enseignement technique et professionnel pour une ouverture de l’école sur le monde du travail.
- La consolidation et l’amplification de la place, du statut et de la formation des enseignants.
- Rendre la profession des enseignants attractive par une revalorisation significative de leurs rémunérations.
- La gratuité des fournitures scolaires, des transports, de la cantine et de la garderie pour les familles à faible revenu.
- Dynamique de rénovation et de construction des bâtiments scolaires avec comme objectifs le confort et la qualité de vie des élèves.
- Développement du service aux écoles avec un soutien logistique conséquent (ordinateurs, téléviseurs, tableaux blancs interactifs,…).
Le transfert de la compétence éducative et des ressources vers la Collectivité Territoriale de Corse nécessite la création d’une « Direction de l’Education » à l’Assemblée de Corse qui aura en charge, dans un premier temps, l’adaptation et l’expérimentation des textes réglementaires et législatifs à la réalité de notre pays, missions aboutissant de fait à une autonomie administrative, et dans un deuxième temps à une véritable gouvernance de l’éducation nationale corse. Elle s’appuiera sur une stratégie de pilotage du système éducatif élaboré sur nos spécificités culturelles afin de ne plus subir l’environnement mondialisé qui conduit inexorablement à une mondialisation de l’ignorance.
Ainsi, « L’école devrait toujours avoir pour but de donner à ses élèves une personnalité harmonieuse, et non de les former en spécialiste. »
Albert Einstein.
En conclusion, nous rappelons que contrairement au discours de Le Pen qui considère que la Corse est entrée dans l’Histoire et dans la culture en 1769, nous n’avons pas attendu l’annexion par la France pour créer une Université en Corse. Pourquoi serions-nous moins capables que l’administration française pour faire fonctionner notre « académie » et pour jeter les bases d’une vraie société de la connaissance émancipatrice afin d’assurer l’avenir de nos enfants ?
Corsica Libera
Vous aimez cet article ? Faîtes-en profiter vos amis !
Faites passer l’information autours de vous en cliquant sur :