[Archives article mars 2009] Roger Simoni nous a quitté trois semaines avant ce nouveau printemps corse. Ceux qui l’ont aimé, estimé ou côtoyé sont dans la peine et le désarroi. Roger fut en effet le syndicaliste corse de l’agriculture le plus remarquable de sa génération.
Je me souviens de ses toujours éclairantes réflexions sur les potentialités et les insuffisances du Code Rural pour la Corse et ceux qui ont connu ces moments n’ont pas oublié le merveilleux « triumvirat » qu’il avait constitué pour la défense de l’agriculture corse avec Maurice Acquaviva et Simon Fazi.
Ces trois là se complétaient comme larrons en foire, l’un était la théorie, le second la synthèse et le troisième l’efficacité en action. Je veux donc aujourd’hui revenir sur les visions fulgurantes de Roger en matière d’agriculture et de développement durable exprimées dans l’unique ouvrage qu’il nous a laissés(1) regrettant qu’il n’ait jamais théorisé sa conception de la fiscalité corse, même s’il aborde cette question dans cet ouvrage, tant ses conceptions, en ce domaine encore, enrichissaient tous les membres de la coordination pour un statut fiscal corse dont il fut un rouage essentiel.
Quelle indispensable vérité nous a léguée Roger ? Il a voulu répondre au « Rapport Glavany » de l’année 1979 qui constituait une somme d’idées préconçues et de fausses explications. Dans une première partie consacrée à l’histoire des faits économiques majeurs de la Corse de 1768 à nos jours Roger Simoni revient sur la législation spéciale qui fut appliquée dans l’île du Traité de Versailles de 1768 à la loi sur la « continuité territoriale ». N’en déplaise à certains négationnistes modernes les lois fiscales et douanières en Corse ont effectivement ruiné l’économie corse et l’agriculture en premier lieu.
L’auteur nous parle de « la volonté de cantonner l’économie corse dans la seule production de matières premières en vue d’alimenter des ateliers continentaux tout en taxant les produits manufacturés, donc la valeur ajoutée, la main d’oeuvre et le savoir-faire… ». Résultat : l’exil de la population insulaire qui précéda le total effondrement dû à la saignée de la guerre de 14/18.
Allait-on en finir avec la dépendance avec la loi dite « de continuité territoriale » de mars 1976 ? Que nenni puisque cette loi « accentue la dépendance de l’île vis-à-vis de la France continentale… ».
Là encore Roger Simoni bat en brèche les idées reçues : « il faut savoir que ce n’est pas le montant de l’enveloppe qui détermine l’efficacité d’un processus mais le ciblage des bénéficiaires… ». Sous prétexte de combler un prétendu « handicap de l’insularité » en matière de coût de transport on a favorisé voire aggravé la dépendance de l’île alors que tous les analystes sérieux préconisaient une « aide sélective » à certains produits et non de faire de la Corse un important client du seul marché continental français.
On voit aujourd’hui les effets de la continuité territoriale sur le « panier de la ménagère » en Corse où tout est plus cher qu’ailleurs mis à part en Guadeloupe ou Martinique et encore pas sur tous les produits ou services ! Roger Simoni n’affirme pas il démontre :
» au niveau de l’économie corse et de l’agriculture en particulier la « continuité territoriale » n’avait rien réglé, bien au contraire. La solution résidait dans la création d’une caisse de compensation style « mini forma » (fonds d’orientation et de régulation des marchés agricoles)… Il s’agissait de permettre une aide à l’importation des produits nécessaires à l’agriculture (engrais, matériel agricole, etc.) et par ailleurs d’aider à l’exportation des produits agricoles excédentaires par rapport au marché local. Cette disposition aurait pu être obtenue par le classement de la Corse en « zone spéciale d’action rurale » telle que prévue dans la loi d’orientation de 1960 et réclamée par l’ingénieur général Ulhen conjointement à l’aménagement de la dette des agriculteurs. Il précisait d’ailleurs, dans son rapport de 1975, que sans cette disposition particulière l’aménagement de la dette serait totalement inopérant. Cette zone « spéciale d’action rurale » aurait pu être dotée de 5 milliards de centimes (soit un sixième de l’enveloppe de la continuité territoriale de l’époque) et permettre, toujours à l’époque, de résoudre le problème de la rentabilité de l’agriculture corse. J’ajoute que ce classement a été appliqué à la Bretagne qui a ainsi bénéficié de 30 % de remise sur le tarif SNCF jusqu’à Paris pour sa production agricole… ».
Roger Simoni analyse tout, les arrêtés Miot, la question de l’indivision, la TVA, la fiscalité actuelle et regrette qu’on ait refusé de doter la Corse au début de la décennie 1990 d’un « POSEI » pour bénéficier d’une aide continue et appropriée de la Communauté Européenne.
Dans une seconde partie intitulée « faux débats et vraies questions » il nous apprend des choses essentielles que le cadre étriqué de cet article ne permet pas de complètement développer. Nos lecteurs doivent savoir cependant : •Que des milliers d’hectares de forêts corses appartenant à des personnes privées ou des communautés furent intégrés arbitrairement au patrimoine de l’Etat français. •Que l’essence en Corse est plus chère qu’ailleurs malgré un taux de TVA de 13 %. •Que les tarifs EDF y sont plus élevés. •Qu’il n’existe aucune politique de développement durable digne de ce nom qui permette « de mettre en oeuvre une vraie chaîne des valeurs dont le tourisme serait en haut de l’échelle et l’agriculture à la base… ».
Il faut lire avec attention l’ouvrage tant il rétablit la vérité sur la politique économique pratiquée en Corse qui ne peut malheureusement qu’être qualifiée de « coloniale ».(2) En annexe du livre deux documents de prime importance : Le commentaire du rapport RACLE sur les forêts corses. Le projet de POSEICOR de la coordination fiscale. Merci Roger pour tout ce que tu nous as appris. Là où tu te trouves il y aura toujours une place pour la Justice.
Vincent Stagnara
(1) Roger Simoni : « L’Indispensable vérité » Editions U Ribombu février 2000 (1) Sur un autre registre l’ouvrage du FRC « Main base sur une île » des années 1970 en avait également fait la démonstration.
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