Corse – Yvan Colonna : le dossier à charge et à décharge

Salaud, héros, martyr. Yvan Colonna a revêtu de nombreux masques. Aucun ne sied vraiment à celui qui va, pour la troisième fois, afficher son innocence à la barre. Sa défense naviguera-t-elle à contre-courant, puisqu’elle devra apporter la preuve de sa non-culpabilité. Le droit français impute la charge de la preuve à l’accusation. Celle-ci affirme qu’il est bien l’homme qui a tiré dans le dos du préfet Claude Erignac, le 6 février 1998 à Ajaccio, en se basant sur une instruction qui n’a pas révélé depuis de nouveaux éléments à charge.

Le deuxième procès de 2009 avait été balayé en juin 2010. Cela ne signifie pas que la justice a fait table rase du passé. Car les avocats devront faire vaciller une cour d’assises composée de magistrats. Non de jurés populaires.

Une instance, à deux reprises, l’avait condamné.

Au plus haut sommet de l’Etat, là aussi, la donne a changé. Les déclarations récentes du garde des Sceaux évoquant le rapprochement des prisonniers du commando après le procès, montrent des signes d’apaisement.

Au-delà de ces évolutions il reste l’attente, insoutenable, de la famille Erignac depuis treize ans.

Dès lors, voudra-t-on plaider la thèse de l’innocence à tout prix en distillant les coups de théâtre ou avancera-t-on celle d’un membre passif du commando (qui pourrait écoper d’une peine minimale de quinze ans, comme Joseph Versini qui n’était pas présent) ? Seuls les débats traceront cette voie. Au milieu, Yvan Colonna, marié depuis peu, ouvrira peut-être l’horizon d’un dossier criminel et terroriste qui suinte la politique de toutes parts. Que miseront les parties sur la table ?

Le parquet maintiendra-t-il l’idée qu’il est le tireur ou se contentera-t-il d’un Colonna comme étant simple participant ? Le jeu des pronostics est là encore inutile. Mais il y a fort à parier que la bataille se jouera aussi dans l’opinion.

Nationale et insulaire. Sans anticiper sur l’oralité des débats qui est sacrée devant la cour d’assises, sept arguments à charge mènent à la culpabilité. Sept autres à son innocence.

Une défense à tiroirs
Le deuxième procès avait été débordé par les assauts de la défense. Celle-ci va dans les grandes lignes s’enraciner sur les carences du dossier. Mais de nombreux coups de théâtre sont à prévoir.

1.- Pas de preuve pas de coupable
Dans les 100 000 pages du dossier Colonna, aucune preuve matérielle ne le relie à l’assassinat de près ou de loin. D’ailleurs, son casier judiciaire était vierge avant de devenir l’homme le plus recherché de France. Aucun ADN n’a été retrouvé sur le pistolet semi-automatique, pas plus qu’une empreinte sur un étui. Même la téléphonie n’a rien donné. Enfin, aucun des témoins ne reconnaît le visage d’Yvan Colonna. Bref, les constructions intellectuelles de l’accusation fondent comme neige au soleil devant l’examen des faits. Doit-on condamner un homme sur un faisceau de présomptions ? Le législateur stipule que le doute profite à l’accusé.

2.- Le roman du troisième homme
L’accusation affirme que trois personnes étaient nécessaires dans la rue du Kalliste, à l’aune des premières déclarations des membres du commando. Mais seulement deux auraient pu tirer sur le préfet. Sachant que Claude Erignac n’avait pas de garde du corps, protéger le tireur n’était pas une priorité. Reste aussi la théorie d’un troisième homme qui n’est pas Colonna : un natif de la microrégion assez proche du groupuscule et qui aurait servi de gâchette au commando. Cette thèse a-t-elle été au moins creusée ?

3.- Une enquête bâclée une instruction à charge
On ne fera ici à Roger Marion qu’une place infime. L’ex patron de la direction nationale antiterroriste au cœur de la guerre des polices avait été conforme à sa réputation et à son surnom : Eagle Four (y gueule fort). Car le directeur d’enquête avait fait beaucoup de bruit pour rien. Il s’était arrimé à la piste nationaliste agricole avant que celle-ci ne prenne l’eau. Idem pour la fameuse cellule du Nord des intellectuels, les professeurs Jean Castela et Vincent Andriuzzi, condamnés en première instance, acquittés en appel. Le parallèle avec le berger de Cargèse n’est pas loin. D’autant plus qu’Éric Dupond-Moretti était déjà de la partie. Et puis il y a les enquêtes parallèles, celles des RG, du préfet pyromane Bernard Bonnet ou des gendarmes qui ajoutaient à la confusion. C’est donc finalement la piste des soldats perdus telle que la formulait le commissaire Démitrius Dragacci qui était la bonne. Ces lenteurs n’ont pas permis de tout mettre sur la table.

4.- Un grand rapport de médecine légale pour de petits centimètres
Le soir de l’assassinat, le Dr Paul Marcaggi, médecin légiste à Ajaccio procédait à l’autopsie. Il constatait que trois balles de 9 mm avaient atteint le préfet dans la nuque. Selon lui, le premier tir avait suivi une direction quasi horizontale d’arrière en avant, tandis que les deux autres avaient été faits au sol. Les expertises balistiques noteront un tir à « bout touchant ou bout touchant appuyé. » Mais aucun spécialiste de la balle ne viendra à la barre. Seul le Dr Marcaggi supportera les affres du ministère public. Son hypothèse ? Le tireur est de grande stature, et il avait son bras à l’horizontale. Il était au moins aussi grand que le préfet, soit 1,83 m. Yvan Colonna ne mesure qu’1,72m…

5.- Un coupable en titre
À ses proches, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy susurrait qu’il ne serait un homme d’État à part entière que le jour de l’arrestation d’Yvan Colonna. Le 4 juillet 2003, le ministre, qui a oublié la présomption d’innocence, annonce l’arrestation de « l’assassin du préfet Erignac. »
Ces interventions au plus haut sommet de la Nation ont tout naturellement eu des répercussions sur la machine judiciaire. Depuis 1999, Colonna était la pierre d’angle de l’affaire Erignac. Mais l’édifice judiciaire s’est effondré lors du deuxième procès. Du témoin que l’on empêche de s’exprimer, aux révélations fracassantes de Didier Vinolas, jusqu’aux récusations d’avocats, le prétoire avait implosé.

6.- Un autre tireur s’est désigné
Pierre Alessandri qui avait retiré ses accusations en 2000, s’accuse en 2004 d’être le tireur. S’il vient alors d’être condamné comme coauteur à la réclusion criminelle à perpétuité, l’agriculteur de Cargese revient sur la dimension politique de l’acte et du procès. Ces révélations allaient par la suite mener les enquêteurs au second pistolet dérobé à la gendarmerie de Pietrosella. Le MAS G1 9 mm était dans une cache située près de sa distillerie. Les implications de Colonna en garde à vue ? Seulement, selon Alessandri, des échappatoires aux pressions policières. Rien n’était vrai. À sa suite, les autres se rétracteront, avec plus ou moins de pertinence.

7.- Yvan Colonna est-il capable de tuer un homme dans le dos ?
C’est l’une des questions qui émaillera les débats. Pour la plupart de ses proches, il en est bien sûr incapable. En outre, douze ans après le début de sa cavale, Yvan Colonna n’est plus le même homme. Tout indique que les avocats plaideront sa personnalité. Nationaliste, oui, tueur de préfet, non.

Une accusation sans suspense
L’accusation n’a pas dans sa manche de preuves reliant l’accusé à l’assassinat. Mais une démonstration qui s’appuie sur une causalité soutenue par les premières déclarations des membres du commando. Cette liste n’est pas exhaustive.

1.- Un militant masquant sa clandestinité
Un lien ancien existe entre les hommes du commando originaires de la région des Deux-Sevi Deux-Sorru. Même si Colonna a minimisé le sens de son engagement, il a été un membre de la Cuncolta Naziunalista. François Santoni le situait d’ailleurs parmi « l’élite des poseurs de bombes. » Ce que Colonna a toujours nié, ne reconnaissant être qu’un « sympathisant. » Après l’assassinat du nationaliste Robert Sozzi, le 15 juin 1993, Yvan Colonna se trouve à Corte, aux Ghjurnate internaziunale en compagnie notamment de Pierre Alessandri quand le FLNC canal historique revendique l’assassinat.
Selon Colonna, Sozzi est un « martyr de la lutte ». Ce sera le début de son désengagement et de sa dérive vers le groupe des anonymes.

2.- Le parallélisme des formes.
Au cœur de la « guerre des nationalistes », le 18 juin 1994, Pierrot Poggioli, leader de l’ANC échappe à des tueurs qui le blessent par balle dans le centre d’Ajaccio. Deux mois plus tard, le 5 août, un renseignement anonyme désigne Alain Ferrandi, Pierre Alessandri et Yvan Colonna comme étant les auteurs. Le 12 octobre, les deux premiers sont interpellés, puis mis hors de cause. Yvan Colonna qui était « parti à la montagne pour y chercher des chèvres » se présentera au commissariat d’Ajaccio. Il ne sera pas inquiété dans cette affaire.

3.- Les déclarations des membres du commando
Dès le 22 mai au soir, Didier Maranelli (guetteur devant la préfecture), évoque lors de sa garde à vue un commando de six hommes. Désignant d’abord chaque rôle par un code alphanumérique, il mettra par la suite un nom sur le tireur, « X2 » : Colonna. Par la suite, Martin Ottaviani (le chauffeur), Pierre Alessandri et Joseph Versini confirment son appartenance au groupe et sa fonction. Alain Ferrandi reconnaît qu’il s’agit d’un acte collectif. On évoque les « réunions préparatoires » du groupuscule des anonymes qui s’est réuni entre autres sur la propriété des Colonna, à Cargèse, fin janvier 1998 puis quatre ou cinq jours avant l’assassinat pour attribuer les rôles lors de l’assassinat de Claude Erignac. Seul Joseph Versini, condamné en 2003, mais aujourd’hui libre, avait refusé de participer à l’action.

4.- Trois hommes dans la rue
Dans la rue Colonel-Colonna-d’Ornano, trois hommes étaient nécessaires : un guetteur recevant le top de l’arrivée du préfet (Alain Ferrandi), un tireur (Yvan Colonna), un homme en protection (Pierre Alessandri). Certains témoins corroborent cette version livrée par les membres. Un en particulier consolide cette thèse : José Arrighi, sans reconnaître aucun visage, se souvient quelques secondes après les faits, avoir été dépassé par deux hommes, rejoints par un troisième. L’un d’entre eux avait fait tomber un chargeur par terre puis l’avait ramassé.

5.- Des femmes contre un alibi
La journée du 6 février avait été pour lui semblable aux autres : s’occuper de son troupeau de 250 chèvres. Dans la soirée, sa tante lui avait proposé de rester dîner. Refus : « J’avais le petit à garder. » En rentrant à son domicile, il avait trouvé porte close, sa femme étant sortie et il avait dormi à la bergerie. Tel était l’alibi que donnait Yvan Colonna en 2003 pour le soir des faits. Mais les femmes des membres du commando livrent un autre emploi du temps. La compagne de Didier Maranelli, Valérie Dupuis, se souvient que l’après-midi du 6 février, son compagnon avait emprunté sa Clio blanche pour se rendre à Ajaccio avec Colonna et Alessandri. Le soir, Jeanne Ferrandi se rappelle avoir vu chez elle, peu après 21 h 15 Alessandri et Colonna avec son mari. Le lendemain matin, enfin, Michèle Bruey, la compagne de Pierre Alessandri était venue chercher ce dernier chez Ferrandi. Là encore, elle avait vu le berger de Cargese.

6.- Une lettre encombrante et des rétractations tardives
« J’ai demandé pardon mais ce n’est pas un signe de la culpabilité d’Yvan. » C’est ainsi que le père de l’accusé, l’ancien député de Nice, Jean-Hugues Colonna, tente de justifier en 2003 à la barre la missive adressée à Dominique Erignac, la veuve du préfet. Au-delà de ce contexte, il y a aussi les rétractations massives aussi bien des membres que des femmes du commando.

7.- Méditations sur l’honneur
Yvan Colonna : « Alain, je vais te parler franchement. On m’a accusé à tort, tu le sais, toi. Maintenant, je te demande de dire la vérité, de dire que je n’y étais pas… »
Alain Ferrandi : « Je sais que tu es un homme d’honneur. Si tu as participé à cette action, tu l’aurais revendiquée, par conséquent, je confirme que tu n’y étais pas. »
La réponse sibylline de Ferrandi avait cloué Colonna dans le box. Tout lien de près ou loin avec le commando le condamne avec eux. Lors du deuxième procès, Ferrandi évoquait d’autres membres du commando. Et en 2011 ?

Paul Ortoli (avec son aimable autorisation)

 

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