Tout en restant silencieux « à titre indiviuel » sur les derniers « exploits » du FLNC, le conseiller territorial, qui reste confiant en l’union nationaliste, évoque le programme de son mouvement, et notamment ses propositions économiques.
Après les menaces qu’avait proférées le FLNC lors de sa conférence de presse de juillet 2011, vous attendiez-vous à une riposte comme celle qui a eu lieu le 28 octobre ?
La conférence de presse, qui était très politique, a eu lieu dans une situation difficile où l’un des militants du FLNC venait d’être victime d’une exécution et l’on pouvait s’attendre à quelque chose. Mais pas forcément à ce qui s’est passé.
Et la revendication ?
A titre personnel, j’en pense bien des choses mais, globalement, au niveau politique, on s’est imposé, à titre individuel, un droit au silence pour favoriser exclusivement un discours politique du mouvement. Ce que nous avons fait.
Ce n’était pas l’habitude à Corsica Libera qui, globalement, a toujours soutenu le FLNC, ou, en tout cas, ne s’est jamais désolidarisé de lui.
Non. Contrairement à ce que l’on dit, Corsica Libera ne s’est jamais permis de faire des commentaires d’opportunité sur les déclarations politiques du FLNC. Pour deux raisons. D’abord, parce qu’on considère que par rapport aux militants qui ont choisi des moyens de lutte difficiles et prennent des risques, il ne nous appartient pas, à nous, de porter des jugements sur leurs actions en général. D’autre part, on sait pertinemment que toute interprétation, quelle qu’elle soit, d’une action peut générer des poursuites pénales. C’est pour cela que de manière systématique, et depuis très longtemps, nous n’avons pas de commentaires spécifiques à faire sur les actions du FLNC.
Mais ce type d’action ne va-t-il pas vous gêner, à Corsica Libera, pour continuer vos appels à l’union avec les nationalistes modérés ?
Non. Corsica Libera a continué son travail politique et moi, ce qui me gène bien plus, c’est la situation générale de la Corse. Cet état de chaos. Cette résilience de la société corse qui atteint un point de non-retour. Cette acceptation de la fatalité et donc de cette spirale mortifère généralisée. Cela gène tous les citoyens qui ont encore un peu d’espoir pour ce pays. Tous les jours il se passe quelque chose de dramatique.
Mais cette affaire ne va-t-elle pas peser sur la suite des événements ? Notamment à Corsica Libera ?
On verra. Corsica Libera est aujourd’hui un mouvement incontournable et fait même partie des éléments de stabilisation de la société corse. Notre mouvement suivra son chemin naturel et il n’y a aucune raison pour qu’il soit gêné demain.
Justement où en est l’union avec les nationalistes modérés ?
Notre appel ne répondait pas à une logique électoraliste. C’était un appel à un rassemblement des forces patriotiques afin qu’elles se fédèrent autour d’un projet commun pour avoir une consistance à opposer aux clans traditionnels. Et avant de chercher à ouvrir en direction des progressistes appartenant aux autres forces politiques, il faut être en capacité de présenter un projet cohérent.
Et que pensez-vous du silence de la classe politique, notamment à l’Assemblée de Corse, sur les derniers faits les plus graves : la tentative d’assassinat contre la famille de Manunta, la revendication du FLNC ?
L’Assemblée de Corse a été prise de sagesse. Elle n’a pas voulu faire un débat à chaud sur une problématique très grave qui concerne l’ensemble des exécutions. Elle a privilégié un travail de fond qui passe par une commission violence, et tant qu’il n’existe pas des conclusions écrites de ces travaux, il est prématuré d’initier un débat qui aurait été d’opportunité, donc dévoyé. Cela aurait été une mise en scène théâtrale où beaucoup auraient pris des postures, voire des impostures, au détriment du besoin de sérénité qu’exige ce type de problématique.
Mais cette attitude attentiste n’a-t-elle pas choqué une partie de la population ? Elle donne une image pour le moins bizarre de la Corse.
Moi, je crois que ce qui choque les gens c’est avant tout la permanence de cette situation dramatique, où l’on se demande chaque jour si on ne va pas découvrir un nouveau drame. Et c’est cela qui préoccupe les Corses, avec un climat social très dégradé, une précarité constante et une paupérisation qui constituent des agressions tous azimuts.
Parlons de l’Assemblée de Corse, justement. Vous n’y siégez que depuis les dernières élections territoriales. Pensez-vous que Corsica Libera peut y jouer un rôle important ?
A l’Assemblée, par nous-mêmes, on ne peut pas faire grand-chose, dans la mesure où nous n’avons pas la majorité, donc nous ne sommes pas aux commandes et nous n’avons aucun levier d’action pour influer sur la politique qui est menée. La seule chose que l’on peut faire c’est travailler un peu plus que les autres – mais on n’est pas nombreux – et faire des propositions concrètes. Et sur beaucoup de dossiers, on a été précurseurs des politiques qui voient maintenant le jour. Si je prends le cas du transport, nous avons eu l’idée d’une compagnie maritime régionale qui abandonnerait le service complémentaire en se recentrant, avec des cargos mixtes, sur les besoins des populations corses et des marchandises insulaires. On n’a pas attendu la décision d’un tribunal européen pour dire que le fonctionnement actuel est aberrant et que l’on n’avait pas à financer la haute saison qui devait rester sous le régime concurrentiel. L’enveloppe de la continuité territoriale, elle, doit bénéficier aux Corses, et aux marchandises de Corse, pour circuler à de meilleurs prix. Je crois que l’on a été les seuls à avoir, sur ce problème, un argumentaire fondé avec de vrais chiffres. Tout cela pour démontrer la viabilité du système des cargos mixtes. En matière de foncier et d’immobilier, nous avons depuis longtemps expliqué que les dérives mafieuses, en Corse, prenaient naissance dans la spéculation immobilière et les constructions tous azimuts. Le seul moyen pour nous d’enrayer ces mécanismes, c’était d’imposer de la régulation. Aujourd’hui, tout le monde le dit, même les préfets et les procureurs de la République considèrent que le terreau de la problématique mafieuse en Corse vient de là.
Mais peut-on limiter les règlements de comptes à la spéculation immobilière ? Dans ce domaine, la manne financière n’est pas énorme en Corse…
Non. On se trompe. Le marché de l’immobilier en Corse représente 6 000 constructions par an, 1 000 hectares de nouvelles terres aliénées, pratiquement 1 milliard et demi d’euros de transactions annuelles directement liées aux achats et aux ventes immobilières. À partir de là, l’enjeu est monstrueux. Lorsque l’on passe d’un statut de non-constructibilité à un statut de constructibilité, on passe d’un terrain qui vaut un euro le m2 à 150 euros le m2, voire plus. Donc cela génère des flux financiers qu’aucun trafic au monde ne peut dégager, même la drogue. La réalité c’est que lorsqu’il y a eu ce boom immobilier, il y a eu une lutte effrénée de pouvoir des clans mafieux en Corse.
Oui, mais aujourd’hui il semble qu’une partie des règlements de comptes ne dépende plus de ces enjeux-là. Cela devient des histoires de pouvoir et de vengeance, parfois sur fond de rumeur.
En effet, si au départ il y a sans doute une logique mafieuse affairiste, on est aujourd’hui confronté à des logiques de vengeance. Mais tout est lié. À l’origine ce sont des gens qui sont des gangsters qui nous ont amenés là ou nous sommes…
Justement, pour en revenir à l’assassinat de Philippe Paoli, est-ce qu’il a été abattu pour ses activités nationalistes, y compris au sein du Front, ou pour ses activités dans l’immobilier ?
Il a effectivement travaillé dans la construction et, à partir de là, il a pu gêner les intérêts de certains.
Revenons à l’Assemblée de Corse. Nous avons parlé des transports, du foncier et de l’immobilier, sur quels autres points pensez-vous avoir fait avancer les choses ?
En ce qui concerne l’officialisation de la langue corse, récemment l’Assemblée a accepté un amendement de Corsica Libera destiné à donner plus de moyens à l’officialisation de la langue. L’Assemblée nous a également suivis sur un certain nombre de mesures humanitaires, notamment le rapprochement des détenus. Et en ce qui concerne le foncier et le logement on nous a suivis sur le principe d’une étude sur la citoyenneté corse pour contrer les achats massifs par des personnes extérieures à la Corse, ce qui provoque une flambée des prix. Ce n’est qu’une étape, mais cela signifie que l’on nous écoute.
Sur ces thèmes, les modérés ont à peu près les mêmes positions que vous ?
Oui. Il existe beaucoup de points ou nous sommes en phase. C’est pour cela qu’il est possible d’envisager une feuille de route commune allant vers l’émancipation nationale corse qui passera par une évolution institutionnelle et constitutionnelle qui ira de pair avec l’adoption d’une citoyenneté corse.
Mais, à l’Assemblée de Corse, un certain nombre de conseillers, à gauche, et à droite, semblent vous suivre sur ce terrain ?
Sur le fond, beaucoup ont compris que l’on ne pouvait plus rester là ou on en était. L’absence de règles génère aujourd’hui cette situation de non-droit qui a comme seule règle celle du plus fort. Avec toutes les dérives que cela implique. Et beaucoup d’élus non-nationalistes finissent par admettre la nécessité d’une refonte du statut de l’Île de Corse. Un saut qualitatif qui soit de la même ampleur que celui qui a eu lieu en 1981 lorsque la Corse a obtenu un statut particulier.
Et qu’est-ce qui bloque cette évolution à l’Assemblée ?
L’archaïsme, le tribalisme, l’entrisme qui entraîne la cooptation en matière d’emploi ou de projet, sans qu’il y ait des règles. Il faut une planification des investissements, avec une stratégique globale, et non une suite d’opportunités destinées à favoriser des personnes, des élus, des régions. C’est pour cela que nous demandons en permanence l’établissement de règles sur tous les pans d’évolution financière. Et une vigilance à l’égard des recrutements puisque, ne l’oublions pas, il y a en Corse pratiquement 20 000 chômeurs.
Pourtant, lors du récent vote du budget à l’Assemblée, au lieu de voter contre, comme l’on fait les modérés, vous vous êtes abstenus. Pourquoi ?
Au terme de notre argumentaire technique qui contrait de nombreuses facettes du budget qui ne nous convenaient pas (entre autres la manne financière exceptionnelle destinée aux conseils généraux, notamment celui de Haute-Corse qu’il fallait sauver de la faillite, avec 20 % d’investissement sur les années à venir données par la Collectivité), nous nous sommes effectivement abstenus. La dernière fois, nous avions voté contre, mais on tient compte des évolutions et nous ne sommes pas dans une logique d’affrontement où l’on va additionner nos voies à celles de l’UMP…
N’êtes-vous pas inquiet en ce qui concerne les finances de l’Assemblée de Corse ?
Nous préconisons déjà une mise en synergie de tous les moyens humains pour qu’il n’y ait pas une redondance d’activité et une masse salariale trop importante qui ne génère pas de la richesse. De même qu’il faut avoir une politique d’investissement tournée vers ce qui est fondamental pour la Corse : le rééquilibrage entre le littoral et la montagne, une politique qui permette à tous les Corses de se loger et le plein-emploi. C’est cela la priorité. Les travaux structurants incombent avant tout à l’État, compte tenu de notre retard historique dans ce domaine. On doit revoir les moyens d’utilisation du PEI. La CTC a voulu faire beaucoup de travaux avec peu de financement. L’ensemble des investissements a été fait avec taux moyen de 40 % de subventions, alors que le PEI devait permettre un investissement de l’État avec une subvention de 70 %. Ce qui explique aujourd’hui que la collectivité territoriale a du mal à boucler un programme d’investissement cohérent. D’où notre nouvelle proposition : la collectivité doit lancer un emprunt territorial auprès des Corses qui ont une épargne largement supérieure aux découverts entraînés par les prêts qu’a faits la collectivité. Mais pour cela, il faut que la collectivité se fasse noter par une agence internationale (comme Standard and Poor’s) et qu’elle emprunte avec un taux de rémunération attractif, de l’ordre de 4 %, pour nous permettre de lever nous-mêmes nos fonds sans être tributaire du système bancaire français, qui nous met sous tutelle. La refonte du système bancaire fait partie du programme de Corsica Libera qui prévoit également une banque de développement adossée à une banque de micro-crédit destinée aux plus démunis. N’oublions pas qu’en Corse, 10 % des ménages gagnent moins de 4 000 euros par an et que 90 % des revenus salariés des ménages est inférieur à 35 000 euros par an. Il faut donc une politique qui permette de résorber toutes ces inégalités.
Pensez-vous que, lors des prochaines élections territoriales, les nationalistes puissent avoir la majorité à l’Assemblée de Corse ?
Ce qui est certain, c’est que les nationalistes ont la capacité de gérer les institutions territoriales. L’addition du travail de nos deux groupes montre que nous sommes largement à la hauteur de l’enjeu. Si l’on raisonne mathématiquement, il nous manque 15 % pour y arriver et les Corses doivent se réveiller et se rendre compte que nous préconisons une politique qui peut le mieux préserver leurs intérêts. Il faut se ressaisir dans une dimension aussi bien culturelle qu’économique face à la grande braderie de la Corse qui a lieu actuellement. C’est peut-être la faute à « pas d’chance », ou à la mondialisation, mais nous avons la chance d’être une île et une petite communauté, et il y a matière à faire en sorte que l’ensemble des richesses de l’île profitent à tous. Mais pour cela, il faut inverser la tendance actuelle.
Alors, même si tous les clignotants actuels sont au rouge (criminalité, pauvreté, désertification, perte de foncier et de l’immobilier etc.), vous restez optimiste ?
Oui, je suis optimiste parce que les choses évoluent lorsque des gens qui peuvent avoir été marginaux arrivent à alerter les consciences, modifier les comportements, établir de nouvelles règles. Et cela, c’est le projet des patriotes corses.
Gilles Millet
http://info.club-corsica.com/index.php?rub=poli&art=1&s=052ea770a3ef6fdbd48e52eaec0098e9
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