(Unità Naziunale – 20 janvier 2018 – 12h00) Les 3 et 10 décembre dernier, les Corses ont voté clairement et simplement pour l’autonomie de plein exercice et de plein droit. Désormais, la balle est dans le camp de l’Etat français qui ne peut plus ignorer les demandes légitimes et démocratiques du peuple corse. Retour sur une victoire historique!
”Tamanta strada!”
”Oui, ce fut un long, un très long chemin. ”Tamanta strada” (Quel chemin!)… Mais à partir d’aujourd’hui, une autre Histoire commence”. C’est par ces mots que Gilles Simeoni, tout juste élu à la tête de l’Exécutif de Corse, le 17 juillet 2015, au lendemain de la première victoire aux territoriales, achevait son (premier) discours d’investiture. En effet, quel chemin parcouru!
40 années de galère, 40 années de luttes et 40 années d’opposition séparent les événements d’Aleria, moment fondateur du mouvement nationaliste contemporain, et la victoire historique de 2015, confirmée aux législatives de 2017 (3 députés nationalistes sur 4 contre 0 auparavant) et auréolée d’une majorité absolue des voix en décembre dernier.
Pendant 40 ans, les nationalistes ont résisté contre un Etat jacobin fermé à toutes les revendications des Corses. Pendant 40 ans, les nationalistes ont dû subir la violence de l’Etat français et se sont parfois perdus eux-mêmes dans la violence qui ne peut être une solution dans une société démocratique. Pendant 40 ans, les nationalistes ont essayé de réfléchir à l’avenir de leur île afin de présenter un ”avenir désirable” pour l’ensemble des Corses.
On ne peut pas comprendre la victoire de 2017 si on ne décrypte pas celle de 2015 qui prend racine bien amont. Tout d’abord, en 2010, pour la première fois, les nationalistes (Femu a Corsica –liste autonomiste- d’un côté et Corsica Libera – celle des indépendantistes– de l’autre) franchissent, aux élections territoriales (régionales en France) le plafond de verre -considérer comme infranchissable- avec 25% des voix, score atteint une seule fois en 1992. Avec respectivement 26% et 10% des voix, les nationalistes deviennent la deuxième force politique de l’île derrière l’union de la gauche qui remporte une majorité relative avec 24 sièges sur 51 et 37% des voix.
Ensuirte, en 2011, pour la première fois, à Portivechju (Porto Vecchio), un nationaliste, Jean Christophe Angelini, Secrétaire National du PNC (parti autonomiste), remporte un scrutin majoritaire (les cantonales) et cela face à Camille de Rocca Serra, l’incarnation du clan de surcroit!
Puis, en mars 2014, à Bastia, Gilles Simeoni est élu maire de Bastia avec le soutien d’une partie de la gauche (en rupture de ban avec le clan Zuccarelli) et la droite mais sans Corsica Libera (indépendantiste), faisant tomber une citadelle : celle du clan Zuccarelli (le fils Jean devant hériter de la mairie de son père Emile, qui lui-même l’avait reçue de son propre père).
En mai 2014, le FLNC dépose les armes. Dès lors , il n’y a plus aucune raisonpour que les nationalistes ne fusionnent pas au second tour des élections.
Enfin, c’est la victoire aux élections territoriales en 2015 (avec 36% des voix et 24 sièges sur 51). Avec sensiblement le même score qu’en 2010, les nationalistes, unis au second tour dans la coalition Pè a Corsica (Pour la Corse) avec la liste présentée le jour de la fête de la Nation Corse (8 décembre 2015), remportent l’élection le 13 décembre, et le 17, dans une effervescence rare, l’Assemblée de Corse élit Jean-Guy Talamoni (Corsica Libera), Président de l’Assemblée, et Gilles Simeoni (Femu a Corsica), Président du Gouvernement de la Corse.
Pendant 2 ans, cette majortié relative va démontrer que, malgré les faibles compétences dévolues à la Corse, il est possible de mener d’autres politiques publiques que celles qui l’avaient été par la droite et la gauche pendant 30 ans. Que ce soit dans les transports, les déchets, la culture et la langue, l’Europe, l’énergie… l’Exécutif corse se démène pour mener une politique qui soit véritablement dans l’intérêt du peuple corse et non dans celui de Paris. Mais surtout, durant ces 2 années, les nationalistes vont changer les pratiques politiques afin que la transparence et l’éthique prennent le pas sur la ”pulitichella” (magouilles politiques) et les petits arrangements entre ”amis” ou clans.
Démontrer que les nationalistes sont de bons gestionnaires, qu’ils gouvernent dans l’intérêt général et la transparence tout en démontrant que le statut de la Corse est nettement insuffisant, tel a été la quadrature du cercle pour la coalition Pè a Corsica.
”Tamanta vittoria!”
En 2017, pour la première fois, les nationalistes se présentent unis aux législatives sous la banière Pè a Corsica et remportent 3 des 4 sièges de l’île. Pourtant, jamais un nationaliste n’avait été élu au Palais Bourbon, seul Jean Christophe Angelini et Gilles Simeoni, en 2012, avaient réussi à être présentsau second tour, ce qui avait déjà été perçu, à l’époque, comme un exploit, alors, que dire de celui réalisé en 2017, surtout si on regarde les résultats (63%, 61% et 55% des voix et la participation : entre 8 et 12 points supérieure à la moyenne française).
Après cette démonstration de force à une élection piège, l’élection territoriale semblait une formalité, tout le monde s’attendait à ce que les nationalistes l’emportent largement et facilement. Pourtant, la campagne fut courte, dure et intense mais surtout bien plus surprenante que prévue. En partant unis, les nationalistes ont été attaqués par tout le monde, avec comme principalargument celui qu’en partant unis, l’indépendance, pourtant exclue de l’accord stratégique pour 10 ans soit 2 mandatures, était le but de la campagne. Les adversaires se sont trompés de cible, d’adversaire et de campagne.
En sortant avec 45,4% au premier tour, Pè a Corsica a explosé tous les records (jamais une liste n’avait franchi la barre des 30% au premier tour!) etdéjoué tous les pronostics. Les plus pessimistes espéraient, au moins 35% et les plus optimistes, en fin de campagne, osaient parler de 40-41%. Mais le score fut encore plus élevé et l’opposition, reléguée à plus de 30 points (la droite régionaliste faisant moins de 15%!). Avec un tel écart, les 2 listes de droite (15% et 12,8%) et la liste LREM (11,3%) n’ont même pas osé mettre en place l’alliance qu’elles avaient envisagée et qui n’avait comme unique butque de bloquer l’accession des nationalistes aux responsabilités.
2 autres listes (Core in Fronte -indépendantistes radicaux-, Corse Insoumise -PCF et LFI) n’ont pas franchi la barre des 7% pour se maintenir et n’ont même pas voulu essayer de fusionner avec des scores respectivement de 6,7%, 5,7%. Le FN, quant à lui, a été directement éliminé avec un score de seulement 3,3%.
”La victoire absolue”
Avec 56,5% des voix (41 sièges sur 63!), et une participation de 10 points supérieure à celle des élections pour le Parlement français ou européen, les nationalistes ont remporté ”une victoire absolue” comme l’a titré Corse-matin, le quotidien corse. Jusqu’ici, aucune liste n’avait recueilli plus de 40% au second tour et aucune n’avait jamais eu la majorité absolue des sièges. Les nationalistes ont obtenu la majorité absolue des sièges et des voix et donc un mandat clair et net pour négocier avec Paris l’autonomie de plein droit et de plein exercice.
Et c’est bien là le grand changement. Jusqu’à présent l’Etat nous avait reproché la violence, il n’y en a plus. Puis, il nous a reproché de n’être que dans l’opposition, nous n’y sommes plus. Enfin, il a osé nous reprocher d’être aux responsabilités sans majorité claire, et ce n’est plus le cas non plus. Bref, désormais, Paris est obligé d’entendre la soif de liberté et de justice du peuple corse qui a demandé calmement, démocratiquement et pacifiquement la plus simple et la plus évidente des choses : l’autonomie de plein exercice et de plein droit.
Les nationalistes vont désormais gouverner la Collectivité unique, fusion des 2 Conseils départementaux et de la Collectivité Territoriale de Corse (région à statut particulier). Cette Collectivité récupère les compétences, les moyens, les fonctionnaires… mais aussi les actifs et les passifs de ces 3 administrations. Mais ce n’est toujours pas l’autonomie!
Nous demandons ce qu’il y a de plus normal en Europe: adapter la loi, (pouvoir législatif), et adapter l’impôt et les budgets, (pouvoir fiscal), en fonction des réalités de notre pays et dans l’intérêt du peuple corse. Bref, nous ne demandons qu’à être encore plus responsables de notre avenir que nous ne l’avons jamais été. Nous voulons pouvoir exercer notre responsabilité afin de construire notre pays (Un paese da fà -un pays à construire- était le slogan de cette campagne).
Ce que nous demandons, un statut spécial, existe pour toutes les îles et/ou archipels de Méditerranée européenne, que ce soit en Sardaigne, en Sicile, aux Baléares…. Ce que nous demandons, l’autonomie, existe déjà depuis longtemps partout, que ce soit en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni, en Belgique, en Suisse, en Autriche. Bref, ce que nous demandons et qui est d’une cruelle banalité, c’est l’autonomie! Mais cette fois-ci, nous le demandons, forts d’un mandat démocratique, d’une légitimité et d’une responsabilité sans précédent.
Victor Hugo disait qu’il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont le temps est venu. Et les Corses, le mois dernier, sans ambiguité aucune, se sont exprimés pour que l’heure de l’autonomie sonne.