(Unità Naziunale – 06h45 – 18 octobre 2017) Il n’est nullement question de céder à la paranoïa, ou à l’emballement passionnel, compte tenu de la complexité et de la gravité de la situation politique de la Corse ; et ce d’autant plus que la période électorale que nous vivons est propice à toutes les manœuvres et débride les ambitions.
J’éprouve le sentiment de la création, larvée mais certaine, volontaire et dangereuse, d’une situation malsaine qui excède les limites normales de la confrontation politique. Limites que l’Etat a allègrement franchies en Corse depuis longtemps.
Il a eu en 1977 l’idée funeste de créer et d’introduire en Corse « l’Officine de barbouzes Francia », de bas étage, et destinée à contrer la contestation autonomiste légale. L’objectif était clair : susciter la violence de riposte dans nos rangs, attiser la guerre civile et poser l’Etat en régulateur de la paix. Il faut dire qu’il avait une longue habitude de ces pratiques, notamment en Algérie.
Je peux dire sans outrance que le pire a été évité parce que nous n’avons jamais riposté – autrement que de manière légale et mesurée – aux 62 attentats que nous avons subis dont certains particulièrement dangereux. Nous avons porté, sans résultat, ces agissements criminels à la connaissance des parlementaires insulaires, de l’Etat France, – nous en avons informé Chirac et Pasqua à Paris en 1977-du Parlement Européen à Strasbourg ….Le mécontentement populaire, attisé par ces exactions a conduit à des manifestations de masse sans précédent, à Ajaccio en 1981 ; et surtout à l’arrestation en flagrant délit d’un commando de Francia qui préparait l’élimination de militants autonomistes dont notre frère de lutte, le regretté Marcel Lorenzoni. Chacun se souvient du drame de » Bastelica Fesch » et des morts et des troubles graves qu’il a engendrés.
L’élection de François Mitterrand en 1981, a entraîné des novations en Corse dont le Statut particulier, la dissolution de la Cour de Sûreté de l’Etat, la neutralisation de Francia, l’amnistie générale…
Aujourd’hui, la progression légale et démocratique du mouvement d’émancipation de la Corse qui a accédé à Bastia de la Corse réveille les vieux démons, ici et à Paris, et galvanise les ennemis de notre peuple. Certains pensent et disent que les nationalistes ne sont que 40%, tandis que les partisans du statu quo, sont eux 60% ; il suffirait donc de mobiliser ceux-ci. Et ici la situation commence à déraper. On évoque un « Front Républicain » de tous les opposants aux nationalistes, non pas dans un projet cohérent, mais dans une philosophie de revanche et de haine, instrumentalisée par des cercles proches de l’Etat et des boutefeux irresponsables.
Il n’est nullement question de contester le droit à tous les opposants à combattre démocratiquement les autonomistes, à l’Etat de défendre sa position de domination. Mais le constat devient préoccupant : on s’écarte progressivement de la raison pour emprunter des chemins qui ont conduit notre Pays à la révolte et mèneraient inévitablement l’île et surtout notre jeunesse sur le chemin de la radicalisation et de la violence :
*L’Elysée s’agite beaucoup, dans ce contexte trouble et troublé, et il ne faudrait pas voir là la main de l’ancien Préfet de la Corse Monsieur Strzoda, devenu Directeur de Cabinet de Monsieur Macron et dont l’allergie à la Corse et à l’identité de son Peuple est notable. Le problème de la Catalogne, sans aucune comparaison possible avec la situation corse, est un prétexte béni pour attiser les peurs, faire des amalgames entre l’autonomie et l’indépendance.
*L’Elysée a procédé à une tentative d’intrusion grossière et maladroite, dans le prochain scrutin territorial. Pour tenter d’ imposer une liste de son choix. Incorrigible et coutumière du fait.
*Récemment, le Comité Régional de l’Habitat et de l’Hébergement, a choisi la CAPA pour gérer les logements sociaux de la Corse du Sud contre la CTC qui aurait dû normalement et logiquement en hériter. Il est interdit d’y voir la volonté du Préfet actuel qui a entériné…donc la main de l’Etat.
*Le Gouvernement ne tient pas les engagements financiers de l’Etat vis-à-vis de la CTC, pourtant confirmés sous la mandature Hollande.
*La SNCM revient sur le tapis, depuis quelques jours. Cette Société a ruiné la Corse depuis des années et a créé un grave préjudice à nos intérêts collectifs. La saga de Monsieur de Villepin à l’occasion de la privatisation de la SNCM a été opaque ; l’enrichissement de certains prédateurs financiers a été scandaleux et récompensé par des bénéfices majeurs et assurés ; une enquête parlementaire n’a rien apporté bien entendu !!!!L’Etat ne s’en ait jamais ému et a contribué largement à la faillite de cette compagnie avant de sombrer dans un imbroglio judiciaire qui a été une véritable caricature de la justice
*Récemment, avec de grands articles de Corse-Matin et des titres inhabituellement grossis, nous apprenons que la police enquête sur les transactions relatives à la vente de la compagnie à Corsica Linea et sur la CTC, qui aurait « racheté à vil prix » deux navires . Et pour faire bonne mesure qu’il serait possible qu’un député nationaliste soit privé de son immunité parlementaire !!! Alors même que la CTC n’a pas encore réalisé l’achat des bateaux. Et que l’enquête démarre à peine.
On crée ainsi artificiellement un clash médiatique dont le but inavoué est de dévaloriser moralement, à la veille des élections territoriales, la majorité actuelle de l’Assemblée de Corse ; en espérant ainsi faire oublier la politique scandaleuse de l’Etat et du clan dont les turpitudes politiques et financières s’étalent notamment dans des procès en cours. Chacun sait que l’irréprochabilité morale de notre démarche et la démocratie sont nos meilleurs atouts, dans le combat politique que nous menons. Les journalistes ne sont pas en cause dans ces manoeuvres et nombre d’entre eux sont édifiés. Qui exercent leur activité professionnelle normalement et en toute liberté.
Le moment est venu de dire à l’Etat et au gouvernement de rester dans leur rôle ; de dire aux Corses de persister à ne pas souscrire à des informations tendancieuses, de ne pas accepter des attitudes irréfléchies qui portent en germe les affrontements et la violence. Que la justice fasse son travail, dans la sérénité.
La voie est tracée en Corse pour une action pacifique, mesurée, démocratique, de confrontation des idées et d’acceptation du résultat dès lors qu’il est acquis de manière légale. Notre choix est clair, constant, depuis des décennies, depuis 1973 : la revendication d’un statut d’Autonomie Interne au sein de la République Française, sans surenchère ; une revendication totalement légale, l’autonomie étant de surcroit la règle dans l’Union Européenne.
Cette bataille, démocratique, paisible, sera gagnée par la mobilisation du peuple corse de l’ile et de la diaspora, avec sang-froid et détermination. La liberté a déjà choisi son camp. Nous la voulons, nous la revendiquons et nous l’arracherons.
Docteur Edmond Simeoni
Ajaccio le 17 octobre 2017