Les incendies volontaires en Corse, qui n’en a pas l’exclusivité, remontent très loin dans le temps ; ils étaient il y a plus d’un siècle essentiellement d’origine pastorale et s’expliquaient par la nécessité de renouveler les pâturages. Il existait alors, une certaine maîtrise du feu et, sauf exception, ils restaient cantonnés au lieu choisi.
On notera que l‘élevage corse était surtout constitué par des ovins et des caprins. Puis, progressivement, les bovins ont été introduits dans le cheptel local et on a constaté alors, un développement extensif de cette orientation dont le socle résidait très peu dans la fourniture de viande et de lait. De facto, avec l’instauration par l’Union Européenne des primes à la vache ….1984… 1990…2017), le troupeau bovin a augmenté de façon majeure. ; à telle enseigne qu’il y a eu un basculement majeur ; pendant que le troupeau bovin passait massivement à 45.000 têtes tandis que les ovins chutaient de 160.000 à 90.000 unités !!! C’est le magnifique résultat de la prime à la vache allaitante !!! Qui a, outre l’aggravation des incendies, orienté la Corse de l’élevage, dans une orientation scandaleuse sans aucun avenir ; comme elle l’avait fait, dès 1962, pour la création d’un vignoble artificiel et mort-né.
A l’usage, l’EU a certes permis de maintenir un certain niveau de vie dans la ruralité corse ; mais elle a aussi encouragé et facilité – la démission de l’Etat en Corse étant une constante, renforcée par le fléau du clanisme et l’incivisme de nombreux corses – le dévoiement des aides, des enrichissements sans cause, la divagation des bovins sur nos routes, – avec malheureusement des accidents mortels- , et surtout l’accroissement considérable des incendies volontaires par des pseudo-éleveurs dont la spéculation portait uniquement sur la production ou mieux la cueillette des veaux.
L’UE a bien tenté, en 1995, de redresser ces dysfonctionnements majeurs par des mesures spécifiques et s’est désengagée. Mais l’Etat, craignant la révolte dans un domaine où sa responsabilité était fortement en cause et n’ayant aucune politique de rechange, s’est substitué à l’Union Européenne pour continuer à verser les primes. La Corse payait très cher cette incurie de l’Etat et du clan et son propre laxisme.
Le cheminement contemporain des incendies est balisé de drames : 37 pompiers sont morts depuis 1946 ainsi que des touristes. Ruine économique, écologique, atteinte aux forêts, avec un paradoxe, la croissance importante du couvert végétal, alimentée par le soleil et l’eau qui tombe en abondance en Corse mais est insuffisamment utilisée. Une carence supplémentaire inimaginable…
Le colonel Antoine Battesti, mon ami, a été un des principaux concepteur et organisateur, -surtout de 1980 à 1993, date de son départ-, de la stratégie de lutte contre feux de forêts – utilisée même à l’échelon national – ; il a, en Corse et dans le dialogue avec l’Etat, insisté sur la politique de prévention et sur la nécessité d’avoir sur place des moyens aériens adéquats (Canadairs, hélicoptères bombardiers d’eau …) pour l’attaque des feux naissants ; il insistait beaucoup sur l’implication des citoyens et sur la formation des hommes.
Nous, autonomistes, avons travaillé avec lui pendant des années, dans le cadre du « Collectif contre les incendies » et au sein des démarches, notamment de Jean-François Bernardini – Vargogna à tè chi brusgi à tarra – , des Muvrini et des organisations et militants écologistes. Le colonel Battesti a même figuré sur une liste que j’avais conduite à des élections territoriales ; il a été gravement menacé ainsi que ses hommes par des profiteurs du feu mais, fortement soutenu, il n’a jamais reculé. La politique initiée par le Colonel Battesti, en Corse, a été payante.
Progressivement et lentement, on a assisté à une décrue des incendies alors qu’en 1992 les pompiers traitaient 120 feux par jour. La vigilance s’est atténuée et aujourd’hui, alors que les moyens aériens et terrestres ont augmenté, alors que le nombre des mises à feu a diminué, alors que les superficies brûlées ont chuté, nous sommes interpellés par l’irruption brutale et menaçante de ce dossier qui fait peser une très lourde hypothèque sur l’avenir de la Corse et de son Peuple.
Pourquoi ?
Tout simplement parce qu’il existe une combinaison de facteurs qui se déclinent et se cumulent avec le changement climatique, l’augmentation du couvert végétal de moins en moins hydraté, une urbanisation insuffisamment contrôlée, mais surtout, la croissance majeure, démentielle, simultanée, de mises à feu redoutables.
Il faut désormais comprendre et admettre que le courage, l’abnégation et les sacrifices des pompiers de Corse et de leurs collègues de la Protection Civile, venus en renfort du continent, – reconnus et loués par tous – ne peuvent répondre d’imparfaitement à la nouvelle donne ; il faut comprendre que l’implication des élus, les efforts consentis surtout par l’Etat ne peuvent pas s’opposer de manière radicale à la multiplication croissante des incendies volontaires, déclenchés en différents points du territoire, lors des vents annoncés de force 6 à force 8 ; ces actes criminels, très difficiles à élucider et qui relèvent de multiples causes, sont du domaine de la police, de la gendarmerie et de la justice ; ils sont complexes et très dangereux car chacun sait qu’un incendie allumé à Poggio d’Oletta va finir sur la Côte Est à Biguglia et celui d’Ogliastru à Sisco ! Il est impossible de faire l’impasse sur l’implication nécessaire de toute la population pour résoudre la crise.
Aujourd’hui la Corse qui croule déjà sous des problèmes complexes dont celui des incendies : l’équation non résolue peut nous conduire, par des concours de circonstances, à des désastres majeurs sur tous les plans avec en particulier la perte de nombreuses vies humaines et la ruine de la Corse. L’urgence impose d’en faire une priorité.
Ni les incantations, ni les mises en cause irréfléchies, ni les lamentations, ni les tentations – à proscrire totalement- de justice sommaire ou d’accusations infondées, ne nous permettront d’aborder et de traiter collectivement ce problème dont la dimension insulaire locale et internationale – le changement climatique, les incendies au Portugal, en Californie, en Australie, en Grèce…- est évidente.
Il appartient à l’Assemblée de Corse – l’Exécutif l’a annoncé – de préparer soigneusement l’examen de cette question, sans hâte, dans la réflexion partagée avec tous les élus de Corse, avec l’Etat et en priorité avec les deux SDIS, mais aussi avec l’Union Européenne, – notamment la Méditerranée – et bien entendu avec le Peuple Corse de l’île et de la diaspora ; sans oublier le recours à toutes les forces vives, à tous nos amis, experts et qui se trouvent dans le monde entier.
La méthode retenue, l’organisation, la rigueur, la fixation d’un calendrier, la qualité du dialogue et les échanges, seront déterminants pour aboutir à des résultats concrets, réalistes et pérennes. La Corse a les moyens d’affronter ce challenge avec de bons résultats simplement si elle prend conscience de la gravité des faits et si elle choisit, sans aucune autre alternative, la voie de la volonté, de la responsabilité, de la conscience et de l’engagement.
Je suis certain qu’elle y parviendra.
Ajaccio le 15 août 2017
Dr Edmond Simeoni
Président de Corsica diaspora et des Amis de la Corse