L’importance des Ghjurnate Internaziunale n’est plus à démontrer et ce, depuis très longtemps, elles sont la ligne directrice du mouvement Corsica Libera pour l’année à venir.
Le discours de Jean-Guy Talamoni, Président actuel de l’Assemblée de Corse, au nom de Corsica Libera, démontre s’il en est de la maturité et de la détermination des indépendantistes dans ce processus de paix et de gouvernance.
*Voici le texte :
Cari amichi,
Simu quì sta sera per celebrà a Nazione.
Ma micca solamente incù u ricordu di ciò ch’ella hè stata à l’epica di Paoli.
Micca solamente incù a sperenza di ciò ch’ella serà u ghjornu di l’indipendenza.
Sta sera celebremu a nazione, quella di u passatu chè no veneremu, quella di dumane chè no appruntemu, ma sopra à tuttu quella di oghje, quella chè no femu campà ogni ghjornu dipoi un annu è mezu !
A nostra nazione, venuta da u fondu di a storia, minata à u XVIIImu seculu da e forze straniere, addebbulita da a dimenticanza, hè firmata addurmintata durante anni è anni…
A nostra nazione, svegliata da a giuventù corsa di u settanta, difesa da a lotta naziunale, sustenuta da numarosi sacrifizii, è, infine, cunfurtata da u votu di i Corsi, a nostra nazione hè oramai arritta !
Voilà ce que je voulais vous dire ce soir : trop longtemps à ces Ghjurnate, nous avons dû conjuguer les verbes au passé et au futur.
Nous pouvons aujourd’hui le dire au présent :
a nostra nazione hè viva è ci tocca ogni ghjornu à fà la campà.
Faire vivre la nation chaque jour, pour chaque Corse, c’est affirmer ce que nous sommes, sereinement, sans prétention, et surtout sans la moindre tentation de rejet de l’autre. Pratiquer notre langue, notre culture, et les partager avec ceux qui veulent épouser notre destin.
Faire vivre la nation, c’est soutenir les institutions de la Corse dans leur effort pour faire reconnaître nos droits.
Tout en se rappelant toujours que si cette reconnaissance extérieure est souhaitable et nécessaire, elle ne constitue nullement la condition de l’affirmation nationale. Cette affirmation a été faite clairement et démocratiquement par les Corses eux-mêmes, par le suffrage universel, en décembre 2015 et il y a quelques semaines à l’occasion des élections législatives.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire : en votant massivement pour des candidats nationalistes, nos compatriotes ont dit que la Corse était une nation et ne saurait donc être ravalée au rang de circonscription administrative française. Rappelons-le aux responsables parisiens en citant l’un de leurs auteurs politiques majeurs. Si, comme l’affirme Renan, ils considèrent que la nation existe par le seul effet d’un « plébiscite de tous les jours », alors il leur faudra bien reconnaître que les Corses ont effectué ce plébiscite, tacitement et quotidiennement depuis un an et demi, et, de manière formelle, par deux fois en quelques mois…
Aussi, disais-je, si la reconnaissance de nos droits par la France est nécessaire, elle n’est pas la condition de notre existence comme nation. Car nous n’avons pour cela, besoin de la bénédiction d’aucune instance étrangère.
A ripetu, a nazione hè viva è ci tocca à fà la campà ogni ghjornu !
Le changement en cours
L’an dernier, à cette même tribune, je disais qu’il nous fallait cinq ans pour tout changer dans notre pays. Mon avis demeure le même. Cette première année, nous l’avons mise à profit pour lancer un certain nombre de démarches qui ont vocation à porter leurs fruits dans les quatre années qui viennent :
En premier lieu, une nouvelle manière de faire de la politique, avec la réduction du train de vie des institutions et la transparence érigée en principe de gouvernement, transparence concrétisée notamment par la création d’un Comité d’évaluation des politiques publiques dont Corsica Libera avait pris l’initiative dès la mandature précédente.
En deuxième lieu, l’éducation et la culture au centre de l’action publique, et je veux saluer ici le travail de Josepha Giacometti, conseillère exécutive en charge de ces questions qui ne sont pas seulement des dossiers mais une part de nous-même. L’Assemblée de Corse a voté en janvier dernier un rapport important en faveur d’un cadre normatif spécifique. Il ne pourra y avoir d’émancipation individuelle et collective que par la construction d’un système éducatif plus juste, plus performant, plus technologique, plus adapté à ce que nous sommes et directement piloté depuis la Corse.
En troisième lieu, un développement social et économique fondé sur nos ressources naturelles et culturelles. Je citerai ici la place de la langue corse dans notre projet, le lancement d’une démarche de promotion du tourisme culturel axé notamment sur le XVIIIe siècle insulaire, ainsi qu’une politique de développement agricole conduite par notre ami Francescu Sargentini.
Je pense également à la refonte du système de transports maritimes, au projet de micro-crédit présenté par le groupe Corsica Libera, et aux démarches que j’ai eu l’honneur de porter, en faveur de l’emploi local ou d’un statut fiscal et social spécifique.
En quatrième lieu l’ambition d’excellence écologique qui anime notre majorité. Cela fait partie de l’ADN du mouvement national qui a payé le prix fort, celui de la liberté et parfois de la vie, pour protéger le patrimoine naturel corse. Je veux rappeler ici le rôle essentiel joué durant quatre décennies, en ce domaine comme en d’autres, par le Front de Libération Nationale de la Corse, sans lequel nos côtes auraient été noyées sous des tonnes de béton. On sait qu’il s’agit là d’un enjeu de société fondamental et permanent, et qu’à cet égard la plus grande vigilance est de mise. Il nous faudra par ailleurs nous adapter rapidement à tous les défis posés par le changement climatique qui affectent notre quotidien, nos ressources naturelles, ainsi que la santé et la sécurité des femmes et des hommes. Je veux à cet égard saluer l’immense courage des pompiers qui, ces derniers jours et en ce moment même, prennent tous les risques pour protéger la Corse et les Corses.
En cinquième lieu, l’objectif « Corse nation numérique ». Il s’agit là également d’un enjeu de société. Je pense évidemment aux démarches en cours visant à mettre le très haut débit à la disposition de tous les territoires et de tous les Corses, mais également aux perfectionnements de la démocratie rendus possible par les nouvelles technologies, dans l’esprit du « gouvernement ouvert ». Les emplois et la création de richesses connaissent déjà de profondes mutations et notre adaptation rapide à la nouvelle donne peut faire de la Corse, compte tenu de la qualité avérée de nos pionniers en la matière, un territoire de référence en Méditerranée.
En sixième lieu enfin, la réduction des fractures, sociale, territoriale et intergénérationnelle. Ici, en complément de l’essentiel, à savoir l’action engagée pour un développement économique au profit de tous et équilibré sur l’ensemble du territoire, il nous faut citer le Plan de lutte contre la pauvreté, l’installation du Comité de massif en faveur du rural et de la montagne, la réduction des tarifs de transport pour les retraités et la création de l’Assemblea di a Giuventù pour réduire la fracture entre classes d’âge. Je veux m’arrêter un instant sur ce point car le succès enregistré par cette nouvelle institution est un motif de fierté pour notre majorité.
Je veux saluer ici les 62 jeunes élus qui animent des débats de grande qualité et d’une dignité parfaite. Ils sont, auprès de la jeunesse, des ambassadeurs de la chose publique et donnent de la politique une image de sérieux et de probité intellectuelle qui lui fait parfois défaut dans d’autres institutions.
Mise à part cette Assemblée des jeunes qui donne d’ores et déjà la pleine mesure de sa pertinence, les six orientations politiques majeures que je viens d’évoquer permettront à n’en pas douter d’enregistrer des résultats concrets et positifs dans les mois et années à venir. S’il nous faut, comme nous le pensons, encore quatre années pour changer la vie des Corses, nous voulons poursuivre jusqu’à leur terme les démarches que nous avons engagées. C’est la raison pour laquelle, en décembre prochain, nous demanderons aux Corses de nous confirmer leur confiance.
Notre candidature s’appuie sur une vision politique globale, une vision cohérente de l’avenir de la Corse et de notre action politique.
Notre vision de la Corse
J’ai déjà eu l’occasion de le dire : nous ne sommes pas aux responsabilités pour gérer mais bien pour gouverner. Nous le faisons à partir d’un certain nombre de principes, en conservant un cap immuable : préserver la cohésion du peuple corse et répondre à sa vocation historique qui est indiscutablement une vocation nationale.
Pour le travail déjà accompli au service de la Corse et des Corses, je voudrais féliciter l’ensemble de nos élus, les membres des deux groupes de la majorité et leurs responsables, Jean Biancucci, et le jeune président du groupe Corsica Libera, Petru Antone Tomasi. Mes félicitations vont également à tous les membres de l’exécutif et à leur président Gilles Simeoni, avec lequel je travaille en complémentarité et en confiance depuis un an et demi. Je salue également nos trois nouveaux députés qui sauront, à n’en pas douter, porter la voix de la Corse à Paris.
Pour une négociation avec Paris
Compte tenu de l’ampleur de l’ambition que nous avons pour notre pays, nous voulons négocier avec les nouveaux responsables parisiens. Leur marge de manœuvre est certainement plus large que celle de leurs prédécesseurs socialistes, lesquels étaient déjà en bout de course au moment de notre arrivée aux responsabilités. Dans les semaines à venir, nous mettrons sur la table des discussions les questions essentielles déjà tranchées par l’Assemblée de Corse et appelant une solution politique globale :
- La coofficialité de notre langue, indispensable pour sauver cette part de nous-même.
Le statut de résident, pour préserver notre terre. - Un véritable pouvoir fiscal orienté vers un développement productif.
- Un pouvoir législatif, tant il nous paraît naturel de voter la loi de notre pays.
- L’amnistie pour les prisonniers et les recherchés, car on ne peut concevoir de solution sans la prise en compte de ceux qui ont tout donné pour la Corse.
Paris ne pourra éternellement demeurer sourd aux messages réitérés délivrés par les Corses à travers le suffrage universel. Depuis notre accession aux responsabilités, nous avons développé une politique internationale offensive et nous avons dénoncé ce déni de démocratie tant auprès de Bruxelles que dans les capitales européennes. La solidarité des peuples frères représentées à ces Ghjurnate constitue également un appui considérable pour les institutions corses. Nous pensons aujourd’hui tout particulièrement à nos amis Catalans, à leur gouvernement et à la présidente du Parlement de Catalogne Carme Forcadell, qui m’ont accueilli d’une façon si amicale il y a seulement quelques semaines. Mais cette solidarité n’est pas à sens unique et nous serons avec les Catalans dans les heures décisives qui s’annoncent pour leur peuple.
Visca Catalunya lliure !
Voilà chers amis, cari fratelli, quelles sont nos solidarités, nos forces, nos projets, ainsi que les espoirs, immenses, qui nous animent au seuil de nouvelles échéances politiques.
Je ne doute pas un seul instant que le peuple corse, ainsi que les Catalans et les autres peuples représentés à ces Ghjurnate, chacun à son rythme, avanceront vers l’émancipation, la souveraineté, et naturellement, l’indépendance.
Dans notre pays, les mois à venir seront déterminants et nous allons les traverser avec sérénité vers la victoire.
Car par-delà nos satisfactions, nos joies et nos peines – comme en ce jour, hélas –, chacun a conscience de la possibilité qui s’offre à nous, dorénavant, de construire la nation corse, libre et prospère, de demain. Je veux m’adresser pour conclure mon propos à tous ceux qui ont consenti des sacrifices majeurs pour que vive le peuple corse. Ils sont nombreux, y compris dans cette assistance. Je vois des militants, je vois des familles… Tout ce qui est arrivé depuis un an et demi, tout ce qui arrivera demain, n’aura été possible que parce qu’il y a eu dans ce pays quatre décennies de combat acharné et opiniâtre.
En 1976, au moment où la jeunesse corse s’est dotée d’un nouvel instrument de lutte, rien n’était envisageable par les moyens habituels de la démocratie tant celle-ci avait été abaissée, humiliée et verrouillée par Paris et ses relais dans l’île. À une heure où l’on peut enfin parler d’un gouvernement corse, même si un long chemin reste à parcourir, il n’est pas inutile de saluer tous ceux qui lui auront permis d’advenir.
Je conclurai par des mots répétés durant des années avec insistance, dans nos périodes heureuses comme dans nos années le plus difficiles.
Je les dirai aujourd’hui avec confiance et sérénité :
À populu fattu bisogn’à marchjà !
Evviva a Nazione !
Evviva a Corsica !
Jean-Guy Talamoni
Ghjurnate di Corti
U 6 d’Aostu / 2017
Meeting de Corsica Libera