Jeudi 8 juin, des élections législatives anticipées ont été organisées au Royaume-Uni. Theresa May, la Première Ministre conservatrice, voulait un gouvernement ”fort et stable”. Elle a perdu son pari dans un pays plus polarisé que jamais.
La défaite de Theresa May
Au sortir des dernières législatives de mai 2015, les Conservateurs, menés par le Premier Ministre David Cameron, avaient réussi, à la surprise générale, à arracher une majorité absolue à Westminster (330 sur 650). Mais le référendum sur le Brexit (52% pour le « leave » (quitter l’UE)) et la démission, dans la foulée, de David Cameron avaient porté Theresa May au 10 Downing Street, (résidence du 1er Ministre britannique).
De ce fait, rien ne justifiait l’organisation d’une élection anticipée, le mandat des députés courant jusqu’en 2020. Pourtant, Theresa May a voulu asseoir sa légitimité, élargir sa majorité et humilier l’opposition. Opération complètement ratée, et piteusement même !
Avec 318 sièges, May a perdu 13 sièges, sa majorité absolue et le peu du leadership qu’elle avait. Certes, elle perce en Écosse avec 13 sièges (+12), chose qui n’était plus arrivée depuis 1983, mais elle perd 2 sièges au Pays de Galles et surtout 22 en Angleterre, son cœur de cible !
Pire, avec sa campagne catastrophique et pour éviter des critiques internes, elle a négocié un accord de gouvernement, du moins un soutien politique, avec le DUP, Parti Unioniste Démocrate (conservateur, eurosceptique, pro-britannique d’Irlande du nord) afin d’avoir la majorité absolue d’un cheveu (328/650).
La (presque) victoire de Corbyn
Avec la disparition du UKIP (1,8%) qui en ayant obtenu le Brexit, n’a plus de raison d’être, les Conservateurs pensaient récupérer naturellement cet électorat (12,6% en 2015) mais là encore objectif raté car c’est Jeremy Corbyn, le leader des Travaillistes, qui a réussi là où on ne l’attendait pas.
En effet, Corbyn a prouvé qu’il pouvait attirer de nouveau l’électorat populaire du nord de l’Angleterre en abandonnant les thèses libérales de Tony Blair. En reparlant de justice sociale, d’impôts, de répartition des richesses… Corbyn a su parler à ses catégories défavorisées.
Mieux, les « Blairistes » (l’aile droite des Travaillistes restés fidèles à la doctrine libérale de Tony Blair), et qui n’ont jamais accepté que Corbyn puisse être à la tête du Labour, ont perdu leur bataille contre leur chef. Avec sa campagne et le score des Travaillistes (40% (+9,5 pts) et 262 sièges soit + 30) Corbyn, l’un des seuls députés Travaillistes à avoir voté contre la guerre en Irak et représentant l’aile gauche du parti, est devenu le chef de l’opposition, incontestablement.
Enfin, avec sa campagne résolument tournée vers la jeunesse, il a su insuffler un vent d’espoir chez les jeunes Anglais qui sont allés voter en masse (plus de 70% de participation), une première depuis 50 ans !
SNP premier parti d’Écosse
Le SNP est et demeure le premier parti d’Écosse en voix (37%) et en sièges (35 sur 59). Le SNP dispose de plus de sièges que les 3 partis unionistes réunis (Conservateurs :13, Travaillistes :7, Libéraux-démocrates :4).
Certes, le SNP a perdu des sièges (21), probablement plus qu’il ne le pensait, mais le résultat de 2015 (50,1% voix et 56 sièges sur 59) était une quasi anomalie démocratique ; certes, certains grands noms ont été battus (Angus Robertson, chef du groupe SNP à Westminster et n°2 du parti, ou Alex Salmond, ex Premier Ministre écossais et ex-patron du SNP). Le résultat est bien-sûr un peu décevant par rapport au score des élections locales ou écossaises ; mais les faits sont là, le SNP a légitimement gagné les élections en Écosse. Le SNP est et demeure le seul parti capable de défendre les droits du peuple écossais qui a voté pour rester dans l’UE à plus de 62% !
Le Plaid poursuit sa progression
Au pays de Galles, la bataille Labour-Tories a occupé toute l’attention, ne laissant que des miettes pour les autres partis. Pourtant, le Plaid Cymru, le parti nationaliste gallois, a tiré son épingle du jeu. En conservant ses 3 sièges et en en arrachant même un 4ème, le dernier détenu par les Libéraux-démocrates, le Plaid égale la meilleure performance de son histoire (4 députés en 1992, 1997, et 2001) et redevient par la même occasion la troisième force politique du pays, la seule capable de proposer une alternative aux 2 partis unionistes. Symbole du renouveau, le 4ème siège a été remporté par un jeune militant de 23 ans Ben Lake.
L’Irlande du nord, plus divisée que jamais.
Sur les 18 députés nord-irlandais, il y en a 10 pour le DUP, unionistes, conservateurs pro-britanniques, et 7 pour le Sinn Fein, républicain, progressiste. À l’exception d’un élu indépendant, les autres partis ont été radiés de la carte politique !
La confrontation politique est à son comble. Le DUP (pro-leave) a signé un accord de gouvernement avec Theresa May, insistant sur le fait que l’Ulster ne devait, sous aucun prétexte, avoir un statut spécial dans le Brexit. Autrement dit, l’Irlande du nord, c’est le Royaume-Uni, un point, c’est tout. En face, le Sinn Féin (pro-remain) refuse qu’une frontière vienne couper l’Irlande en 2.
La situation semble insoluble, si ce n’est pas l’organisation d’un référendum pour trancher une fois pour toute la question de l’Ulster. Dans les accords du Vendredi Saint, il est prévu la possibilité d’organiser un référendum d’auto-détermination. Il serait bon de s’en rappeler avant que le pire ne refasse surface en Irlande du nord.
Le Brexit en suspend !
Les négociations sur le Brexit doivent débuter le 19 juin. Il n’est pas impossible qu’elles soient retardées mais la période pour trouver un accord demeure la même : 2 ans à partir de la notification de l’article 50 qui a eu lieu fin mars dernier.
Madame May a voulu jouer avec le feu, elle s’est brûlée et se retrouve dans une situation de faiblesse inouïe au sein de son parti, au sein du Parlement, au sein du pays mais aussi au sein de l’Europe. Pourvu que les Écossais, les Gallois et les Irlandais du nord en profitent !