Le 4 avril, le ministre de l’intérieur espagnol Zoido répondait à l’interpellation d’EH Bildu sur la situation des prisonniers gravement malades, assurant “qu’en aucun cas, ces prisonniers malades ne revêtaient la gravité nécessaire à leur libération”.
Le 12 avril, la plate-forme Oiertxo SOS et le collectif Bagoaz, dont Etxerat fait partie, ainsi que le réseau SARE, rendaient publiques de nouvelles informations sur la situation d’Oier Gomez, un des prisonniers politiques basques qui, pour le ministre de l’Intérieur espagnol, ne doivent pas être libérés car leur cas ne « revêt pas la gravité nécessaire ». En janvier, un sarcome d’Ewing lui avait été diagnostiqué et quelque semaines plus tard, des métastases au pelvis et au cerveau. C’est la deuxième fois qu’Oier Gomez souffre d’un cancer depuis son entrée en prison. Les dernières analyses médicales lui donnent une espérance de vie de six mois.
Cancer. Sclérose en plaques. Spondylarthrite ankylosante. Affections cardiaques sévères. Syndrome obsessionnel compulsif avec risque de suicide. Ce sont certaines des maladies dont sont atteints 13 prisonniers politiques basques et auxquelles le ministre de l’Intérieur espagnol, autoproclamé expert médical, retire toute gravité. Les personnes qui, en liberté, subissent ces maladies, et toutes celles de leur entourage qui souffrent avec elles, sont certainement les mieux placées pour juger du mépris et de la brutalité de la déclaration de Zoido.
Quelques semaines auparavant et face à la pression sociale grandissante réclamant la libération des prisonniers gravement malades, le gouvernement espagnol a tenté de blinder leur maintien en prison. Dans cet objectif, une nouvelle circulaire des Institutions Pénitentiaires a été mise en marche, de façon à limiter au maximum l’interprétation de la législation, imposant la lecture la plus restrictive. Selon cette mesure, les prisonniers malades ne doivent être libérés que s’il est établi avec une « certitude raisonnable » qu’ils vont mourir « dans un très court délai ». La cruauté revendiquée.
À l’occasion de la mise en marche de cette nouvelle circulaire, le journal espagnol El País s’est félicité car cela permettrait d’éviter des cas comme celui de Josu Uribetxebarria, qui avait “tardé” deux ans et demi à mourir. Un laps de temps qui, comme ils l’ont démontré à l’époque, est bien trop long pour tous ceux qui se sont arrogé le droit de gérer la souffrance. Et pour tous ceux qui ont des problèmes de mémoire, qui oublient des cas aussi graves que ceux de Rafael Vera y Rodriguez Galindo, quel degré de gravité le ministre Zoido attribuerait-t-il à la dépression et à l’arythmie dont ils souffraient respectivement et qui ont été le motif de leur libération ? C’est une question rhétorique, nous en connaissons déjà la réponse. Mais il est bon de se rafraîchir la mémoire pour mesurer à sa juste valeur ce que le gouvernement espagnol appelle « le respect absolu de la légalité ».
La législation pénitentiaire est continuellement remaniée pour s’adapter à chaque moment à la poursuite de vengeance. De cette façon, le gouvernement espagnol, et avec lui les défenseurs à outrance de la dispersion, s’assurent de leur respect scrupuleux de la légalité. Mais ce qui est légal a cessé d’être légitime. Le fait d’exiger que les prisonniers politiques basques gravement malades soient agonisants pour être libérés, ou la mise en marche d’une nouvelle norme destinée à garantir que la souffrance de personnes malades sera poussée à l’extrême, ne peuvent être comprises que du point de vue de l’acharnement.
Ce même 4 avril, EH Bildu interpellait également le gouvernement espagnol sur l’un des accidents causés par la dispersion. Après une longue dissertation qui ne cache à aucun moment que la dispersion n’est qu’un instrument de pression, le gouvernement espagnol conclut : « aucune politique n’est à l’origine d’accidents, aussi regrettable qu’ils soient, ceux-ci sont causés par une réalité terroriste qui maintient les familles et amis des prisonniers d’ETA comme otages de ceux qui persistent dans la défense d’un idéal terroriste, qui a provoqué tant d’années d’une injuste souffrance ».
Peut-être devrions-nous nous féliciter ? C’est la première fois que le gouvernement espagnol reconnaît notre qualité d’otages. Nous le sommes. Ceux d’une politique pénitentiaire, défendue et exécutée par les gouvernements espagnols et français, qui nous obligent à faire des déplacements risqués, impliquant des victimes, des morts, des maladies physiques et psychiques, de la douleur, de la souffrance. Par le gouvernement espagnol qui nous poursuit, nous criminalise, nous arrête et nous met en examen quand il considère qu’on nous entend trop. Des otages, quand nous sommes insultés, agressés et caillassés. Quand des individus qui se présentent comme des policiers nous font sortir de la route à coups de pare-choc et quand notre plainte est classée sans suite sans la moindre investigation. Des otages, quand nous dénonçons de graves violations de droits et recevons comme unique réponse que nos proches emprisonnés n’ont qu’à se repentir. Maintenant, ils insinuent et vont même jusqu’à affirmer que nous sommes ceux de nos parents et amis prisonniers. Nous n’en espérions pas moins de la part de ceux qui assurent que les cas des prisonniers malades ne revêtent aucune gravité. Il y a quelques mois, pour refuser le rapprochement des prisonniers politiques basques, l’Audience Nationale de Madrid a utilisé un argument presque contraire : c’était notre mauvaise influence qui recommandait l’éloignement. Quand on tente de justifier l’injustifiable, on tombe vite dans le ridicule.
Il y a bien des politiques pénitentiaires qui causent des accidents. Il y a des politiques pénitentiaires qui ont causé 16 victimes mortelles. Il y a des politiques pénitentiaires qui sont constamment remaniées pour élever le degré de souffrance. Il y a des politiques pénitentiaires qui exigent douleur et agonie. Et derrière ces politiques, il y a des responsabilités et il y a des responsables. Quel est l’idéal qui accepte la dégradation des droits humains par ceux qui sont censés les garantir ?
Traduction de l’article d’opinion signé au nom d’Etxerat par Urtzi Errazkin, Patricia Velez, Naike Diez, Muriel Lucantis, Gloria Rekarte, Kepa Petralanda et Jorge García Sertutxa et publié dans le journal “Gara” le 19 avril dernier.