(article du 29 mars – 7h00) Gilles Simeoni, Président du Conseil Exécutif de Corse, et Jean-Guy Talamoni, Président de l’Assemblée de Corse sont à l’origine du rapport « PACE, RITORNU E LIBERTA ». Il a été présenté et adopté ce jeudi 30 mars par l’Assemblée de Corse.
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Le projet « Pace, ritornu è libertà » souhaite proposer à l’ensemble des institutions de l’île, ainsi qu’aux acteurs économiques, d’adhérer, sur la base du volontariat, à une charte labellisée de retour à l’emploi et à la vie active pour les prisonniers politiques.
Il s’agit donc de s’inscrire dans une démarche souhaitant prendre acte de la situation politique nouvelle créée par la fin de l’action clandestine armée, en réaffirmant notre soutien à la logique de paix aujourd’hui à l’œuvre.
Ce projet se veut être un acte de solidarité, visant l’ensemble du corps social, avec pour but la libération, le retour en Corse et la réinsertion réussie pour les prisonniers politiques corses.
Ce rapport a été présenté à l’Assemblée de Corse lors de la session du 30 mars.
VOICI LE RAPPORT :
Projet « Pace, ritornu, è libertà »
Rapport de M. le Président du Conseil Exécutif de Corse et de M. le Président de l’Assemblée de Corse
Raportu di u Presidente di u Cunsigliu Esecutivu di Corsica è di u Presidente di l’Assemblea di Corsica
Pendant plus d’un demi-siècle pour la période contemporaine, la situation politique interne à la Corse ainsi que les relations entre la Corse et l’Etat français ont été marquées par un conflit présentant des dimensions publiques et clandestines de part et d’autre.
Or, l’île est désormais entrée dans une ère nouvelle.
La situation politique est caractérisée par une dynamique générale de démocratisation et d’apaisement, à laquelle la société corse toute entière aspire et contribue.
Parallèlement, le FLNC a annoncé, en juin 2014, « sans préalable et sans équivoque aucune », selon les termes de son communiqué, sa décision de mettre un terme à l’action clandestine.
Consolider l’ensemble de ces acquis, les rendre irréversibles, continuer d’avancer sur ce chemin d’espoir et de paix : tel est l’un des défis les plus importants que la Corse et les Corses doivent relever dans les années qui viennent.
Cela passe aussi par un effort collectif de responsabilisation et une prise en compte des situations personnelles et familiales de ceux qui ont été des protagonistes de ce conflit.
Les prisonniers politiques font partie du problème corse. Ils doivent nécessairement faire partie de la solution.
Il est ici précisé que la notion de « prisonnier politique » doit être entendue au sens déjà reconnu par la loi d’amnistie n°89-473 du 10 juillet 1989 portant amnistie, et ayant porté amnistie des infractions commises « à l’occasion d’évènements d’ordre politique ou social en relation avec une entreprise tendant à modifier le statut de la Corse ».
La notion de prisonnier politique a donc vocation à s’appliquer à toute personne poursuivie, recherchée, ou condamnée pour des faits de cette nature.
Il est à noter que le principe de l’amnistie est consubstantiel à toute sortie définitive d’un conflit politique ou social, a fortiori lorsqu’il a eu un coût humain élevé et douloureux. L’histoire nous indique que la sortie d’un conflit de cette nature s’est toujours conclue par un processus d’amnistie.
Au plan international, les lois votées et mises en œuvre en Espagne (1977), au Mexique (1994) ou en Afrique du sud (1995) montrent que la réconciliation, pourtant difficile à concevoir lorsqu’on connaît l’histoire tragique des conflits internes de ces pays, est inséparable d’un processus institutionnalisé de renoncement aux poursuites pénales. Plus proche de nous dans le temps, le processus de paix colombien s’est conclu par un accord entre les FARC et le gouvernement.
La France a également, au plan interne, une longue tradition de l’amnistie qui remonte à 1791, et qui s’est prolongée par exemple en suite des accords d’Evian en 1962 mettant un terme à la guerre d’Algérie ou, en 1989, à l’occasion des accords de paix en Nouvelle Calédonie.
La Corse, quant à elle, a connu trois précédents : en 1981, dans le cadre général de l’amnistie présidentielle postérieure à l’élection du Président François Mitterrand ; en 1982, à l’occasion de la promulgation du statut particulier de la Corse et en 1989, lors de l’élaboration du statut de la Collectivité Territoriale de Corse, ceci alors même que la situation était à l’époque caractérisée par une simple trêve de la violence clandestine, et non par un arrêt définitif comme aujourd’hui.
La revendication d’amnistie reste donc plus que jamais fondée et légitime.
Et ce d’autant mieux qu’elle fait l’objet d’une délibération de l’Assemblée de Corse n° 15/089 votée le 28 mai 2015 (48 voix pour, 3 non participations), du Conseil départemental de la Haute-Corse et de délibérations votées par près de deux cents communes de Corse, quelle que soit la couleur politique des majorités municipales des dites communes.
Par ailleurs, la mobilisation des élus et des acteurs se poursuit pour obtenir à titre transitoire le rapprochement et le transfèrement au sein des centres de détention situés en Corse des prisonniers politiques, lequel n’est toujours pas effectif malgré les exigences du droit positif et les engagements formels pris par les Gouvernements successifs et au plus haut niveau de l’Etat depuis plusieurs années.
Dans ces conditions, la situation actuelle apparaît placée sous le signe contradictoire d’une immense aspiration à la paix en Corse, et d’un refus persistant de la part de Paris d’effectuer sa part de chemin dans ce processus.
Cette situation de blocage crée nécessairement un sentiment d’injustice, et donc de colère.
Au regard de ce contexte général, il apparait aujourd’hui nécessaire de faire preuve de détermination et d’inventivité.
Ainsi, et concomitamment à ses demandes réitérées de rapprochement et d’amnistie, la CTC, institution dépositaire des intérêts matériels et moraux de la Corse et de son peuple, considère qu’il est de sa responsabilité et de son devoir de créer les conditions de nature à faciliter la libération, le retour et la réinsertion réussie dans leur île des prisonniers politiques. C’est un devoir moral et humain et un impératif politique.
Le problème est au demeurant, en termes quantitatifs, simple à résoudre : il reste aujourd’hui une trentaine de cas faisant l’objet de poursuites pénales, et les conditions sont créées pour qu’il n’y en ait plus de nouveaux.
Le projet « Pace, ritornu, è libertà » se veut une traduction opérationnelle de cette volonté politique, assortie d’une approche innovante, inspirée d’expériences internationales menées en matière d’éducation, de réinsertion sociale et professionnelle et de développement local pour accompagner les processus de réconciliation. Le programme PEACE mis en place en 1995 et consolidé jusqu’à nos jours par l’Union européenne en Irlande du Nord, au titre tant de la politique régionale de l’Union que des contributions de l’Union au Fonds international pour l’Irlande, fait aujourd’hui figure d’exemple en matière de consolidation de la paix. L’Union a au demeurant la volonté de diffuser cette expérience, en Europe ou ailleurs.
Le projet « Pace, ritornu è libertà » s’inscrit dans la même philosophie d’action. Il s’agit, pour la Collectivité Territoriale de Corse, de proposer à l’ensemble des institutions de l’île ainsi qu’aux acteurs économiques d’adhérer, sur la base du volontariat, à une charte labellisée de retour à l’emploi et à la vie active pour les prisonniers politiques.
Chaque signataire de la charte s’engage à proposer, en fonction de ses possibilités, un emploi que pourra occuper la personne disposant des compétences et du profil requis.
Ces offres auront vocation à s’adresser à trois catégories de personnes poursuivies pour des motifs politiques :
- – ceux recouvrant ou ayant recouvert définitivement la liberté à expiration de leur peine ;
- – ceux qui sollicitent une remise en liberté dans l’attente de leur procès (détention provisoire) ou dans le cadre d’une demande de libération conditionnelle (condamnés définitifs).
- – ceux qui après avoir été recherchés voient leur situation judiciaire solutionnée.
Dans ces derniers cas, la charte et la labellisation qu’elle induit permettent de donner une garantie de qualité, de rigueur et d’effectivité non sérieusement contestable à la promesse d’emploi produite par le détenu et soumis à l’examen des juridictions d’instruction ou de l’application des peines.
De plus, la diversité des signataires garantit un panel d’offres, aussi bien en termes de nature de l’emploi que de localisation géographique, permettant de répondre utilement aux exigences de chaque cas d’espèce.
Enfin, l’existence de cette plate-forme d’offres d’emplois permet également aux détenus de construire leur projet de réinsertion, y compris par la formation suivie en détention antérieurement à leur remise en liberté.
Il s’agit donc, pour la CTC et les autres signataires :
- – de prendre acte de la situation politique nouvelle créée par la fin définitive de l’action clandestine armée ;
- – de réaffirmer leur volonté de soutenir la logique de paix ainsi actée ;
- – de souligner la nécessité du caractère total, définitif, et irréversible de cette décision
- – de réaffirmer la nécessité de consolider la logique d’apaisement aujourd’hui à l’œuvre, et voulue par la société corse toute entière ;
- – d’exprimer solennellement leur volonté d’intégrer la question des prisonniers politiques dans la solution politique globale à construire et à mettre en œuvre ;
- – de traduire cette volonté par la mise en œuvre d’un programme intégrant la libération, le retour en Corse et la réinsertion réussie des prisonniers politiques comme des éléments indispensables de la solution politique globale précitée ;
- – de décliner de façon concrète les valeurs de solidarité du peuple corse.
La diversité des signataires démontre que c’est la société corse dans son ensemble qui se mobilise, fait sienne la cause des prisonniers politiques, de leur réinsertion réussie et ce faisant, qui demande à l’Etat d’en faire de même.
Nous vous prions de bien vouloir en délibérer.