Quand nous avons accompagné les cendres de Michel Rocard à l’apaisant cimetière de Munticellu, devant un panorama exceptionnel, nous étions, autour de sa femme, émue mais digne et de sa famille, perdus dans les souvenirs déjà anciens.
En effet, en 1968, le Général De Gaulle dans l’important discours de Lyon, avait dit à la France « qu’il fallait mettre un terme à l’effort multiséculaire de centralisation, longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir l’unité du Pays car il ne s’imposait plus désormais ; ce sont, précisait-il, les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts des activités de demain. » Propos lucide, visionnaire que la France a désavoué en renvoyant le Général à Colombey en 1969 , par la coalition des forces rétrogrades animées par un Sénat ultra-conservateur.
Je n’ai pas oublié non plus que, en 1976, alors que j’étais en prison pour la dramatique affaire d’Aléria, il avait reçu ma famille qui l’a informé de la réalité de cette affaire. L’accueil avait été amical et il avait parfaitement compris ma situation et celle de mes coinculpés, ne ménageant jamais ses efforts pour trouver une issue raisonnable, équitable et préservant l’avenir.
Par la suite, Michel Rocard a dénoué le drame de la Nouvelle Calédonie en construisant la paix et la matrice de son émancipation. Premier Ministre du second mandat de François Mitterand – de 1988 à 1991- il a gouverné, animé par un esprit de réforme et de justice ; il a soutenu Pierre Joxe qui avait la responsabilité de la Corse et préparait son Statut.
C’est sans doute dans une retentissante tribune au Monde, le 31 Août 2000, sous le titre « Jacobins, ne tuez pas la Paix » que Michel Rocard a donné sa pleine mesure d’homme d’Etat. L’analyse, l’argumentation, la conviction traduisaient une parfaite compréhension de la situation de la Corse et la nécessité d’y remédier. Dans une France qi sortait de la colonisation mais conservatrice féroce, il témoignait et de son courage et de sa vision.
Nous avons été en contact permanent, discret mais riche d’enseignements mutuels. L’an dernier, je l’avais longuement rencontré à Ajaccio, l’esprit alerte et l’œil vif, toujours fidèle à ses convictions et à son analyse de la Corse.
Cet ami sincère de la Corse est parti trop tôt mais le souvenir d’un homme d’Etat intelligent, intègre et courageux perdurera.
Ch’ellu riposi in pace in tarra di Corsica.
Qu’il repose en paix en terre de Corse