Dans une lettre adressée à la presse, FELICE TOMASI, témoigne : « entre deux séances de torture, Broussard me déclare » : « Si tu avoues, tu seras à l’abri de l’élimination physique ».
Interpellé le 23 mars 1983 à 9h sur dénonciation d’un certain J.M. Occupé à ranger le magasin quand 5 inspecteurs du SRPJ se précipitent sur moi, pistolets au poing. Plaqué contre un mur, fouillé, ils m’ont demandé si j’étais armé ? Où était le pistolet?…
Après les perquisitions, à 12h, je suis au commissariat de Bastia, les inspecteurs me conduisent directement dans un bureau au 2ième étage, le SRPJ, sans passer par la fouille, je redescendrai les escaliers 2 jours plus tard, les cellules de repos sont au RDC. Le 1er PV que je rectifierai par une négation qui faussait le sens d’une phrase (le contraire de ce que je déclarais) sera le seul que je puisse lire avant de signer : j’y déclare mon identité, que je suis nationaliste militant d’une organisation publique. A partir de ce moment là, 12h30 jusqu’au lendemain 6h, je vais être interrogé sans relache, sans un instant de repos, sans boire, sans manger. Je vais être battu, roué de coup sans interruption.
TORTURES PHYSIQUES
Ce sont surtout des manchettes, des coups donnés avec le plat de la main sur la nuque, derrière les oreilles, sur les joues, des coups très précis qui ne laisse pas de marque, des pincements du lobe des oreilles par ex, ou de tirer et arracher moustaches et cheveux.
Mais surtout des manchettes sur les côtes, dans l’estomac, dans les reins. Alberghi et Palmesano mènent ainsi leur interrogatoire.
J’ai les bras menottés dans le dos et l’on me force à rester continuellement debout, malgré « les coups », face au mur. Quand je tombe à terre, on me force à le relever en me donnant des coups de pied, en me tirant par les cheveux.
Le tortionnaire Dornier vient souvent s’informer de l’interrogatoire, il me donne plusieurs gifles à la volée, ne pose aucune questions, se contentant de m’humilier.
Il y a dans le bureau sans arrêt un minimum de 3 à 4 inspecteurs, mais le plus souvent, ils sont 8, 10, 15. Ce sont toujours les mêmes qui me battent, Alberghi, Palmesano, les spécialistes des manchettes, Guidi, qui me gifle, me crache une dizaine de fois au visage. Souvent on me retire les lunettes, je reste ainsi des heures la vue très affaiblie, c’est peut être pour mieux me gifler. J’ai des bourdonnements et des vertiges causés par les coups sur ma tête et un tympan crevé. On continue à me forcer à rester debout, la nuit même on baisse les rideaux métalliques des fenêtres pour qu’on ne puisse pas nous voir du dehors.
Pour couvrir cris et hurlement une télévision est en marche continuellement.
Laborie me menace de me tuer si je ne confirme pas les déclaration de J.M. Il sort un revolver chargé de sa ceinture, arme le chien, et m’appuie le canon contre la tempe puis sur la bouche.
Je demande souvent à m’asseoir, à ce qu’on m’enlève les menottes du dos, à pouvoir aller aux toilettes et j’en profite pour boire : chose qui m’est le plus souvent refusé.
Vers 13h le docteur Ghérardi arrive enfin ! Je lui explique que je suis roué de coups depuis plus de 24h, que je n’ai eu aucun repos, rien mangé ni bu et que l’on me force à rester continuellement debout bras menottés dans le dos. Il demande simplement aux policiers si c’est vrai que je n’ai rien mangé depuis 24h. J’ai beau lui montrer les hématomes sur la figure et sur le corps, il me dit « qu’il ne peut rien faire » et déclare aux inspecteurs « que je peux tenir le coup ».
Dans l’après midi,on m’amène un sandwich, on me refuse un café car je ne confirme pas les déclarations de J.M, que l’on me rabâche sans arrêt. Je ne peux pas manger ce sandwich car je suis interrogé sans arrêt et il finit dans la poubelle.
(Janvier 1986 : arrivée de Broussard en Corse nommé préfet coordonnateur des forces de police et gendarmerie. MARS 83 : Tortures au commissariat de Bastia. Avril 83 : Tortures à la gendarmerie d’Aiacciu. Juin 83 : Enlèvement et disparition de Guidu Orsoni)
Le soir, arrive Broussard, il me tiraille par la chemise, puis demande aux inspecteurs de m’enlever les menottes du dos ; me fait asseoir, je lui explique que je suis roué de coups depuis un jour et demi. Il fait alors sortir la dizaine d’inspecteur qui sont dans le bureau, me fait aller aux toilettes et boire.
Puis il me parle un long moment du mouvement nationaliste, d’inspecteurs corses qu’il connait depuis de longues années, des menaces d’enlèvements et d’exécutions qui planent sur les nationalistes : « Tu devrais dire que tu es au Front comme cela on te mettra en prison, tu seras à l’abri des éliminations physiques, je dis ça pour ton bien« .
Mais ensuite, ce sont les inspecteurs qui reprennent avec plus d’acharnement leurs tortures. Vers minuit, on me change de « bureau », je comprendrai par la suite pourquoi : dans la pièce où j’ai été amené on peut me voir de dehors, bien que le store métallique soit levé, portes et fenêtres ouvertes pour faire contre courant d’air, on me retire les menottes que j’ai dans le dos et l’on me force à me déshabiller devant une quinzaine d’inspecteurs. C’est le tortionnaire Dornier qui à plusieurs reprises en avait donné l’ordre, il me gifle et demande aux inspecteurs « pourquoi ils ne m’ont pas retiré les chaussettes », c’est l’unique vêtements que l’on m’a laissé. Je suis interrogé nu, plusieurs heures par une froide nuit de mars… Puis on m’ordonne de me revêtir et je subis un nouveau passage à tabacs par une dizaine d’inspecteurs, et l’interrogatoire continue ponctué de coups de pied, coups de poing… Enfin vers 6h du matin, on me fait redescendre les escaliers que j’avais monté 2 jours auparavant et l’on m’attache à un radiateur près des geôles de repos.
Je sais alors que mon calvaire est terminé. Vers 8 h, avant de me présenter aux juges que je n’ai pas vus pour la prolongation de la garde à vue, 2 tortionnaires viennent me faire signer « des documents sans importance », ce sont des PV falsifiés mentionnant que j’ai eu mes heures de repos, mes repas, etc… Je refuse de signer ces faux, je sais que l’on me fera rien face à la nuée de policiers de l’urbaine.
Présenté chez les juges, je fais constater les traces de coups sur le corps. A la maison d’arrêt de Bastia, le Directeur, M.Cortesi, refuse de m’accepter sans d’abord avoir été examiné par un médecin. Les premières semaines, je peux difficilement dormir ou manger, j’ai mal à la mâchoire, une dent cassée. Je saigne de l’oreille gauche, dont le tympan est percé. J’ai besoin de médicaments pour les maux de tête et bourdonnements ainsi que pour pouvoir dormir pendant des mois. J’ai les yeux injectés de sang, qui larmoient et je n’arrive pas à les garder ouverts.
TORTURES PSYCHIQUES
Pendant plus de 40 heures,pas une seule minute de repos, un instant de répit. Des menaces de me faire fermer le magasin, m’obliger à vendre, que ce serait des « français » qui le rachèteraient, de me faire plastiquer le magasin. On m’a menacé de me tuer en me précipitant du 2ième étage. Mais, plus grave, de plastiquer, de tuer ma famille, mes parents…
Enfin on m’a menacé si je portais plainte : ici on est entre « gens surs », ce n’est pas comme « ceux du dessous », si tu portes plainte, si tu t’en sors, de toute façon on aura ta peau, on t’éliminera ». On ne veut pas de corses comme vous, la Corse c’est la France, de toute façon des corses comme toi, on va vous forcer à partir, on va vous éliminer ».
Cette page est un résumé de ma garde à vue, mais ne peut tout expliquer et faire comprendre.
FELICE TOMASI
- Index (source)
- Une constante de l’histoire du Peuple Corse… L’acharnement répressif
- Liste des prisonniers politiques
- La répression au jour le jour…
- De l’affaire Tomasi à l’affaire Orsoni. De la torture à l’assassinat
- Garde à vue musclée à Paris: c’est là que ça fait mal… »
- Assassinat politique, l’Affaire Guidu Orsoni
- Machinations et intoxications
- Affaire de Balagna
- Affaire Pellier
- Lettres de prisons : La torture par l’isolement – Antone Verdi
- Témoignage de prison – « Les corses, non… » – Paul Istria
- Conditions inhumaines de détention des prisonniers politiques corses