L’irruption récurrente d’une violence multiformes plus ou moins spontanée ou organisée à l’occasion de certaines manifestations nationalistes, notamment celles organisées par la jeunesse nationaliste, ne peut-être réduite à un phénomène de désœuvrés, de voyous ou de fous, caricatures faciles pour certains bien-pensants, elle est désormais une réalité qui tend à s’imposer, nolens volens…
Elle n’est hélas que le miroir d’une société corse dont la jeunesse est en proie au mal-vivre, en pertes de repères, et aux interrogations voire inquiétudes, sur fond d’une arrivée massive de personnes, non-corses, (retraités aisés, affairistes en tous genres, couples jeunes et jeunes cherchant le soleil et la sécurité qu’ils n’ont plus dans l’Hexagone… et qui elles n’ont rien à faire des revendications corses, identitaire ou autres, ne demandant que sa tranquillité dans “ce pays béni des dieux”).
Cette nouvelle donne confirme que notre société, malgré la victoire nationaliste en décembre 2015, est bien malade et qu’elle est une société bloquée, où seule une minorité s’enrichit, tirant son épingle du jeu, s’imposant même au plan de certaines décisions politiques prises par nos élus, et ce alors qu’une part de plus en plus importante des Corses et de sa jeunesse ne vit pas des jours heureux tant au plan économique et financier (expédients, chômage, logement, formation, emploi, exclusion, précarité) qu’au plan psychologique (délinquance, drogues alcoolisme, déstructuration) … NO FUTURE, ce slogan des jeunes allemands durant la guerre froide (même si comparaison n’est pas toujours raison, et qu’on peut juger le trait trop gros) assumé consciemment ou non, semble désormais, son leitmotiv.
Une société malade, et les clignotants sont nombreux, d’où le refuge de nombre de jeunes dans cette violence “anarchique’” s’exprimant sous couvert “d’engagement politique nationaliste”, mais camouflant difficilement leur mal-etre et celui de la Corse et des Corses.
Avec l’arrêt de la violence politique du FLNC, la société corse et les nationalistes perdaient de facto, un référent, un logiciel dont tout dépendait et sans lequel aucune analyse sérieuse des évolutions politiques et sociétales dans l’île ne pouvaient faire l’impasse. Tout le nationalisme dépendait de ce référent, (cordon ombilical du nationalisme moderne) “tout partait de la clandestinité et tout retournait à la clandestinité”, en bien ou en mal, mais celle-ci était incontournable et pesait sur toutes les évolutions dans l’île.
Aujourd’hui, sa disparition a laissé des orphelins “assumés ou potentiels”, surtout parmi les jeunes n’ayant pas connu, si ce n’est par leurs parents, leurs proches ou leurs connaissances d’anciens, ses “années de feu que la Corse a connues. D’où “certains fantasmes et une vision idyllique des choses de ce passé proche si exaltant” pour ces jeunes.
Si les anciens ont majoritairement apprécié l’annonce de l’arrêt du FLNC, confortés qu’ils ont été ensuite (la “bonne conscience” de notre génération d’adultes et/ou de celle qui réussit !!) par l’arrivée des nationalises aux responsabilités, et s’ils ont jugé que désormais la voie… vers d’autres victoires électorales était ouverte, ces analyses optimistes n’ont pas été forcement, plus ou moins ouvertement, celles d’une partie des Corses et des jeunes.. il faut désormais oser le dire, et ouvrir les yeux si l‘on veut pouvoir analyser de façon responsable les évolutions en cours..
Depuis décembre 2015, le “feu couve sous la cendre”, d’autant que la classe politique nationaliste désormais aux responsabilités, les yeux dans le guidon et confrontée aux refus multiples irresponsables de l’Etat et du gouvernement, peine à offrir des résultats concrets au-delà de certaines annonces plus ou moins “mineures” aux yeux de cette jeunesse, qui elle, en contrepoint , est “victime” d’une répression qui la touche à divers niveaux, y compris au plan sportif, et non pas seulement au plan universitaire et politique..
Et là où tout ce complique, c’est que cette jeunesse, au vu de ces événements depuis deux ans, s’est peu ou prou imposée au sein de la contestation corse, comme “le nouveau référent, le nouveau logiciel” qui irrigue toute notre société corse, s’imposant comme problématique centrale et incontournable dans toute perspective évolutive..
Et les élus nationalistes ? et leurs mouvements ?
Et les élus nationalistes (et leurs mouvements) aujourd’hui y sont confrontés, ne la contrôlant pas ou plus…. Aussi se doivent-ils aujourd’hui de veiller à ce que le fossé avec elle ne s’élargisse pas, au risque d’une cassure au sein de notre société déjà si fragilisée et si déstructurée[1], cassure dont le peuple corse aurait du mal à supporter les conséquences. Si certains syndicats de jeunes ont pu plus ou moins pu ces derniers mois, être phagocytés par des mouvements adultes, les médias se gargarisant même d’une université formant les élus de demain, la majorité des étudiants et des jeunes n’ont pas forcement une telle vision de leur avenir professionnel ou autre “fléché”.. Il faut donc voir, certes en usant de pédagogie et de persuasion intellectuelle, mais aussi par des résultats probants, comment les convaincre que si la Corse change, il n’est pas question d’ignorer les jeunes, de les faire taire et encore moins les marginaliser, mais au contraire œuvrer pour leur permettre de pouvoir s’exprimer et participer à la construction d’un avenir plus heureux sur cette terre ?
D’autant que si on n’y prête cas, les récentes manifestations de violence, “spontanéistes ou plus ou moins organisées”, peuvent, si la fracture se développe entre ces jeunes et la classe politique nationaliste, générer des violences plus organisées et plus radicales de type “brigadiste”, qui mettraient alors en grand danger la cohésion sociale et politique du peuple corse
En juillet 2016, suite à la décision du FLNC de l’arrêt de l’action armée, j’écrivais ces lignes[2] dans le Monde Diplomatique. Aujourd’hui, ne paraissent-elles pas un cri d’alarme justifié et un appel au responsabilités de l’Etat, mais aussi des élus nationalistes désormais majoritaires, pour qu’ils prennent conscience des dangers, et qu’ils y apportent, ou montrent leur volonté d’apporter, des réponses en s’inquiétant des problèmes sociétaux et sociaux de l’île et des nécessaires dialogues à initier pour d’éventuelles solutions… Lesquelles certes ne seront pas de nature à résoudre tout, “demain on ne rasera jamais gratis”, mais qui auront le mérite par leur affichage de donner à la jeunesse l’éclairage qui lui manque pour bien situer sa place incontournable dans toute évolution en Corse.. Cela n’est pas facile mais il faut s’y atteler, tous ensemble pour la Corse et le peuple corse !
Pierre Poggioli
[1] […] Quarante ans de lutte armée vont-ils alors s’achever sur une « Paix des Dupes » ? Si tel est le cas, si la réponse à cet « Adieu aux armes » devait se limiter à des miettes de pouvoir concédées à une représentation nationaliste rentrant dans les rangs, l’avenir sera peut-être plus sombre que ne le pensent certains, qu’ils soient angéliques ou cyniques. Les « soldats perdus » du Nationalisme donneront le coup d’envoi à un nouveau type de violence incontrôlée et incontrôlable. Une jeunesse témoin de l’agonie de la culture corse, se sentant trahie et privée d’un Référent historique régulant en fait cahin-caha le corps social, risque de s’égarer dans des positions identitaires brouillées ou une marginalité confortant l’emprise de la Grande Délinquance. N’en déplaise aux tenant d’un discours « anti-violence » politiquement correct, mais hélas simpliste, les visions incantatoires d’une île pseudo-pacifiée pourraient s’ouvrir sur des lendemains bien sombres, dans une île où la société civile a peu de relais et où le débat est verrouillé…
[2] Un clivage s’opère désormais entre « progressistes » et “partisans du statu quo”. D’où le salut et l’approbation unanimes des courants dits « modérés » et « radicaux » face à l’initiative du FLNC. Confronté aux politiques des libéraux corses, français et européens, le peuple corse connaît une précarisation de plus en plus importante, résultat d’une économie résidentielle fondée sur le tout-tourisme et une mise en coupe réglée du territoire par le grand banditisme, liée aux intérêts spéculatifs du BTP et de l’immobilier. Sur fond de délitement du lien social, les Corses voient leurs anciens finir leur vie dans des EPHAD et les plus jeunes être privés de leurs droits élémentaires (emplois dignes, accès au logement et à la culture) nombre d’entre-eux se réfugiant dans la drogue ou la délinquance, ou quittant l’île pour trouver des emplois. Dans un tel contexte, le redéploiement sur le terrain des luttes sociales, environnementales, culturelles, est affirmé dans la communication du FLNC, une certaine défection frappant le terrain des mobilisations de masse depuis quelques années.[…] Si des projets de société commencent à voir le jour dans le mouvement nationaliste, l’opinion attend toujours des propositions concrètes à même de permettre au peuple corse d’exercer pleinement ses choix. L’avenir seul nous éclairera. Pour l’heure, comme au Pays basque, le FLNC met en avant la revendication de l’Amnistie, passant par la libération des détenus politiques et l’arrêt des poursuites vis-à-vis des militants en fuite. Au Pays basque (4) le statu-quo est de mis, y compris sur cet épineux dossier.